Depuis le putsch qui a renversé ATT, les membres de la garde présidentielle sont tombés en disgrâce. Deux anciens bérets rouges témoignent de leur débâcle après l’échec cuisant de leur contre-offensive du 30 avril à Bamako.
Le mardi après-midi 1er mai, deux hommes en fuite sont assis dans le salon d’un logement de la rive droite du fleuve Niger, à Bamako. L’un est caporal, l’autre sous-officier. Tous deux sont des bérets rouges membres de la garde présidentielle. Ils ont pris part le 30 avril à l’attaque contre plusieurs lieux stratégiques de la capitale tenus par le CNRDRE, la junte au pouvoir dirigée par le capitaine Amadou Aya Sanogo depuis le coup d’Etat du 22 mars. Ils n’ont pas mangé depuis la veille, n’ont aucun papier d’identité, n’ont pu donner aucune nouvelle à leurs familles, ont abandonné leurs uniformes et leurs téléphones et ont peur pour leur vie.
Le caporal, 33 ans, porte un jean à effet délavé et une chemise ouverte sur un col italien. Le sous-officier, barbe rase grisonnante, n’a pu trouver qu’un vieux t-shirt et un pantalon troué bien trop large pour sa corpulence d’enfant. Après leur fuite, ils sont venus dans ce logement où loge une connaissance du frère du caporal. Ils souhaitent le quitter au plus vite.
De l’autre côté du fleuve, à la sortie du pont Roi Fahd, les militaires du CNRDRE fouillent les voitures et contrôlent les identités de certains passagers. À quelques centaines de mètres de là, les tirs d’armes lourdes résonnent à proximité de Djicoroni Para, le camp des bérets rouges, en repli et en fuite.
Dans une voiture qui les mène au bord du fleuve, sur la rive droite, ils racontent les récents événements. Le 22 mars, ils ont aidé le président renversé Amadou Toumani Touré, sa femme et l’une de ses filles à s’enfuir du palais présidentiel assiégé à descendre à pied la «colline du pouvoir». «Après avoir accompli notre devoir de protéger le président, on s’est rallié au CNRDRE. On a patrouillé avec eux dans la ville», raconte le sous-officier dans un bon français.
Le 24 mars, ils se rendent à Kati avec certains officiers de la garde présidentielle pour officialiser leur ralliement. Les militaires du CNRDRE n’en veulent pas. Certains sont frappés. «Ensuite, on a été écarté de toutes les réunions. Quand on nous voyait en ville on avait toujours des problèmes.»
Une opération militaire sans espoir
Ils ressentent une humiliation qui perdure après l’arrestation mi-avril de personnalités politiques et militaires réputées proches de l’ancien président ATT. «Ils sont venus à Djicoroni-Para pour fouiller les logements de nos familles et prendre nos armes. On les a laissé faire. Lundi [30 avril] on a attaqué avec des vieux pistolets mitrailleurs israéliens.»
Selon leur récit, l’ordre de sortir du camp est venu du camp même : «Treize hommes sont partis dans deux véhicules vers l’aéroport, dix hommes sont partis dans un véhicule en direction de l’ORTM, successivement.»
Le caporal, embarqué dans l’équipe de l’aéroport, prend la parole. «On est sorti du camp sans connaître notre mission. C’est seulement quand nous sommes arrivés à proximité de l’aéroport, après la ville, qu’on nous a ordonné de le prendre d’assaut.» Six militaires du CNRDRE y ont été tués, affirme-t-il. Leur chauffeur est également décédé. Il se souvient n’être resté pas plus de dix minutes à l’aéroport.
«Nous ne voulions pas prendre l’aéroport et l’ORTM pour les garder, pas plus que nous voulions renverser Sanogo», explique le sous-officier, demeuré à Djicoroni Para pendant ce temps. «C’était pour montrer notre mécontentement par rapport à la façon dont on nous traitait. Nous sommes tous des militaires.» Il précise que les hommes du CNRDRE ont à chaque fois tiré les premiers. «Nous avons eu les premiers morts.»
Remonter le fleuve Niger
Vient ensuite le temps de la fuite. Le caporal regagne Djicoroni Para sous les tirs des militaires du CNRDRE qui arrivent en masse. «On a abandonné nos armes au camp quand ils sont arrivés avec plus de quinze pick-up et dix BRDM 2», détaille le sous-officier. «Nous avons pris une pirogue au bord du fleuve. On nous tirait dessus on devait se mettre à plat ventre dans la pirogue. On a atteint une petite île sur le fleuve. Là on a jeté nos uniformes dans l’eau. On a repris la pirogue pour rejoindre l’autre rive. Ça continuait à tirer. Arrivés de l’autre côté, un jardinier nous a donné ces vêtements. On lui a laissé nos Rangers.»
Ils appellent ensuite le frère du caporal qui les amène chez une connaissance.
Le récit prend fin alors que la voiture arrive en fin de journée au bord du fleuve, dans un quartier excentré de la capitale malienne. Ils ont souhaité venir à cet endroit où ils pensent pouvoir embarquer dans une pirogue pour remonter le cours du Niger en direction de la Guinée. Le moyen le plus sûr de s’échapper, pensent-ils.