Jamais, la salle Union africaine du Sofitel de l’Amitié de Bamako n’avait mobilisé autant de jeunes filles et garçons. Le samedi, 16 février 2013, fera date dans l’histoire du 7ème art au Mali. Car, c’était la projection en avant-première d’un film réalisé à 100% par la réalisatrice Soussaba Cissé, la fille de l’une des icônes du cinéma malien, Souleymane Cissé, qui a deux Etalons du Yennenga à son palmarès, record jamais battu par un cinéaste sur le continent noir. C’est dans une salle acquise à la cause qu’a été présenté « Ngunu-ngunu Kan » de la jeune réalisatrice Soussaba Cissé. Un film vraiment pas comme les autres, car il est basé sur les rumeurs qui circulent depuis le début de la crise dans le septentrion malien.
Un film sur les folles rumeurs du conflit malien. Ce qui fait que les Maliens, disons les jeunes, ne pouvaient se retenir de rire. Cela, tout au long de la projection qui était présidée par le ministre de l’Artisanat et du Tourisme. Le film commence avec la date du 17 septembre 2012 où un jeune animateur de radio tabassé par les islamistes se retrouve à Bamako pour les soins. L’un des temps forts de l’occupation des régions nord du Mali par les fous de Dieu, où se multipliaient les exactions, avec des amputations des mains et des pieds, la destruction des mausolées qui tombaient un à un à Tombouctou. « Ngunu-ngunu Kan » signifie donc rumeurs de guerre. Des rumeurs que n’importe quel citoyen peut véhiculer dans son « grin » ou regroupement d’amis, au coin d’une rue ou dans un marché. Dans le film de Soussaba Cissé, les grins sont nombreux. Dans l’un d’eux, une jeune fille s’exclame : « Ce n’est pas le Mali qui va libérer le nord, mais le nord qui va venir nous libérer ! ». Et un autre d’ajouter : « Souleymane demande à ses compères, s’ils sont vraiment des patriotes ! ». « Les femmes, lorsqu’un intégriste les épouse, ce sont tous ses camarades qui lui passent dessus ». Et un autre de tancer la Cédéao : « La Cédéao, c’est comme un CD. Dioncounda est le Disc Jokey et la France, le propriétaire de la boîte ».
Tous ces propos relayés, affirmés avec force par X ou Y, comportaient leur lot de vérité, ou d’interrogations. Il fallait bien une catharsis collective, un débit de paroles incontrôlable, propre à la culture malienne, mais qui, dans un contexte de crise, donnait le baromètre de la situation du pays.
« Ngunu-ngunu Kan » est un film qui parle de la vie de Souleymane Touré dit Soul (26 ans), un passionné par le slam et animateur dans une radio de Tombouctou. Il a été laissé pour mort par les terroristes, pour avoir motivé les jeunes du nord à la résistance. Un voyageur en route pour Bamako lui porte secours et le conduit à l’hôpital où il recevra des soins. Son histoire fait le tour du Mali et les médias internationaux en parlent. Soul réalise alors qu’il peut se servir de cette mésaventure pour aider dans le sens de la sortie de crise et de la réconciliation. « Ngunu-ngunu Kan » est son témoignage, enrichi de nombreux autres, pour que la vérité soit dite et pour que le Mali ne connaisse plus jamais la crise, comme celle qu’il traverse actuellement. Le patriotisme foulé au sol par les jeunes militaires et civils, occupe une place de choix dans ce film. Tout autour de l’acteur, donc de Soul, déplacé du nord par la force, après y avoir été battu, sa femme violée, est recueilli à Bamako, c’en est de trop ! Sous l’effet de cet acte qui le traumatise, le jeune se trouve dans un milieu qui ne lui rend pas la vie facile. Il est dépassé par ce que les gens disent le concernant. Ce qui le pousse à décider de retourner au nord du Mali. Car, le nord lui est plus que cher. En regardant »Ngunu Ngunu Kan », tout le monde trouve son compte : jeunes, vieux, militaires, femmes, policiers, politiciens. « Oui, nous avons tous commenté cette crise qui nous dépassait, sans savoir de quoi demain sera fait. La question touarègue est débattue. La réalisatrice s’interroge sur celle-ci devenue récurrente. Je pense que cette question doit être débattue vraiment, sans faux-semblant et sans tabou. Il faut que nos parents, ceux qui savent, nous disent les fondements de ce problème. Parce que, nous les jeunes, ne comprenons pas ce qui se passe », commente un jeune. Soussaba est convaincue que ce sont les non-dits qui aggravent la situation. Et quand le secret entoure quelque chose, la place est faite à la rumeur. D’où le titre de sa nouvelle œuvre « Ngunu Ngunu Kan » (les rumeurs). Dans ce film, on retrouve Haïra Arby et Koko Dembélé qui chantent ; Fatoumata Coulibaly dite FC et beaucoup de jeunes comédiens, dont certains sont à leur premier film.