Dans le domaine des relations interindividuelles, auquel on attache la plus grande importance, les salutations occupent évidemment une place de choix. Elles suivent des règles minutieuses, une sorte de rituel, au travers desquels s'exprime la situation respective des deux interlocuteurs. Chaque matin, l'enfant bambara salue son père en pénétrant dans sa chambre et sa mère en s'accroupissant devant sa porte, du côté gauche ; il apprend à ne jamais aborder un vieillard de face, mais du côté de sa gauche en se tournant légèrement vers lui.
Savoir saluer correctement, c'est replacer les personnes que l'on apostrophe dans un cadre à plusieurs dimensions : souvent, on se réfère au moment de la journée et au lieu où s'opère la rencontre, à l'état et aux occupations des interlocuteurs, à leur statut social, le tout selon des catégories bien établies, des gestes et un vocabulaire très stéréotypés, en respectant des règles de priorité et des considérations d'âge, de rang, de distance ou au contraire de familiarité.
La forme des salutations que l'on attend d'un enfant varie avec son âge, elle se complique à mesure que son sens des relations s'affine et qu'il parvient à opérer dans son environnement humain ces classifications subtiles qu'exige l'adresse adéquate. Il y a évidemment dans l'apprentissage qui s'opère à ce sujet une part d'explication volontaire donnée par l'adulte selon les circonstances ; mais là encore l'essentiel se réalise par imitation et par transposition : quand un enfant entend son père apostropher un autre homme en lui disant "mon fils", il saura qu'il devra à son tour l'appeler "mon frère".
L'enfant chaga apprend au cours de ses deux ou trois premières années les termes dans lesquels il doit s'adresser à l'ensemble des membres du groupe familial- apprentissage dûment contrôlé par son père ; celui de la politesse et de la correction dans les manières ne se réalise qu'entre trois et six (06) ans.
Des simples termes d'apostrophe, on passe alors aux locutions. Entre gens côtoyant sans cesse, il s'agit d'instaurer une certaine distance. Les époux se soumettent à des règles précises pour s'adresser l'un à l'autre ; il peut en être de même quand ils s'adressent à leurs enfants.
Un frère aîné est en principe objet de marques de respect plus grandes pour montrer par exemple combien certains gestes expriment la méfiance, le désir de tâter l'autre et de neutraliser la menace virtuelle que contient sa présence.
Du fait que la salutation comprend en plus des gestes des intonations de voix et des mimiques parfois très maniérées, elle s'inscrit jusque dans le schéma corporel et marque ainsi la personne à un niveau particulièrement profond.
Chaque ethnie se distingue par son style, par sa manière de se présenter et d'aborder l'autre, plus ou moins droite, fière, voire brutale, ou courbée, penchée, obséquieuse. Le voyageur même non prévenu peut se rendre compte qu'il passe d'une population à l'autre rien qu'en observant le maintien des gens à son contact ou simplement à sa vue.
A l'opposé de la salutation se trouve l'invective moqueuse ou offensante
En apprenant, par exemple, à réagir aux différentes formes d'insultes très courantes dans la société des jeunes, l'enfant s'imprègne de tout un ensemble de catégories aussi bien intellectuelles qu'éthiques. Il apprend d'abord à les hiérarchiser et à les classer par degrés de gravité sans que personne ne l'en instruise directement : une injure concernant un défaut physique sera ressentie moins fortement qu'une autre portant sur une imperfection morale, et l'intensité de la réaction de l'individu montera encore d'un cran si l'insulteur miniminise sa valeur sociale ou celle de sa famille.
Le sommet de l'offense est atteint quand l'expression employée porte atteinte aux parties génitales de l'intéressé, de ses parents, car c'est toucher aux racines de la vie en ce qu'elles ont d'éminemment respectable et de sacré, aux fondements mêmes de la société.
L'enfant apprend aussi à discerner d'où vient l'insulte, car entre parents à plaisanterie, par exemple, des injures bien précises, mais parmi les plus grossières, sont non seulement de mise, mais presque obligatoires, exigées par la rencontre.
Source : Pierre ERNY (L'enfant et son milieu en Afrique)