Des politiciens, depuis de nombreux mois, répondant aux attaques des groupes terroristes contre les forces de la Minusma, de Barkhane ou contre les Forces Armées Maliennes et de Sécurité (FAMAS), ressortent toujours la même rengaine de la négociation avec ceux qu’ils appellent les «djihadistes maliens». Ils indiquent qu’il faut séparer ces derniers des «djihadistes étrangers» pour réduire l’insécurité et contribuer à pacifier les endroits du pays qui subissent régulièrement les forfaits des groupes terroristes.
Ces suggestions visent principalement Iyad Ag Ghali et accessoirement quelques leaders des groupes terroristes qui écument le Nord et d’autres parties du territoire national. Nous avons même assisté récemment à un épisode rocambolesque de la trêve annoncée par une supposée lettre d’Iyad suivie d’un démenti publié par son groupe, en rapport avec une initiative du président du Haut Conseil Islamique. Il est également rapporté ici ou là que certains services de l’Etat ou certains responsables évoluant à la lisière de l’Etat s’emploient à engager des discussions avec Iyad, toujours selon le principe de le «séparer» de AQMI ou d’autres groupes à combattre. Les initiatives visant à négocier avec les terroristes sont aussi hasardeuses qu’improductives et, surtout, encouragent la persistance dans la terreur qui sera ainsi perçue comme un moyen d’obtenir des contreparties.
C’est exactement comme la négociation avec les preneurs d’otages, à la base de la multiplication de ce phénomène. N’importe quel apprenti sorcier verrait dans cette possibilité l’opportunité de prendre en otage la communauté nationale en s’érigeant leaders d’organisations terroristes, ayant comme signature des actes violents pour ensuite monnayer sa reddition contre des faveurs indues. Il faut éviter de mettre son doigt dans cet engrenage compte tenu de notre contexte, du trop grand nombre d’hommes en arme au Nord du Mali, des nombreuses possibilités qui y existent de lever des groupes violents et surtout de l’existence de nombreux bandits qui ne trouveront pas leur compte dans la mise en œuvre de l’Accord de paix issu du processus d’Alger.
La communauté nationale et internationale devrait savoir qu’Iyad n’existe pas sans la force de frappe de AQMI et tout ce qui lui est lié. Il ne peut pas réclamer un leadership politique quelconque, ce qui l’a amené à choisir la voie du terrorisme. Sa force est celle des terroristes. Penser qu’il se séparera d’eux c’est faire preuve d’une certaine cécité. Il ne se séparera pas de ceux dont il dépend, sinon il n’aura plus d’influence socio-politique et cessera donc d’exister. Il ne peut plus prétendre à un quelconque leadership au sein de sa communauté pour plusieurs raisons. L’évolution sociologique de ce milieu (les communautés Kel tamasheq de Kidal) constitue un de ces facteurs. Ensuite, ajouter à cela la démographie et le rajeunissement subséquent de la population pendant les 25 dernières années, accompagnés par une redistribution des cartes de leadership au sein des communautés du Nord. Le retour de nombreux acteurs de Libye qui ne s’inscrivent pas dans les dynamiques classiques et remettent en cause certaines réalités passées, change également la donne. Il ne faut pas négliger non plus les ravages de l’argent du narcotrafic qui a créé de nouveaux petits barons dont l’influence est réelle. Il faut enfin ajouter l’existence d’autres mouvements politico-militaires qui, à la suite de la dernière crise et de la signature des Accords, bénéficient de quelques redistributions de pouvoirs liées à la mise en œuvre desdits Accords. Ce sont des réalités perceptibles qui font que Iyad n’a que AQMI pour exister, la violence pour s’affirmer et compter sur la persistance dans cette voie pour être crédible. Comment négocier avec quelqu’un qui est dans une posture similaire ?
Négocier avec les terroristes sous-entend proposer des contreparties, quelles contreparties pouvons-nous proposer ? Que peut-il demander ? Son discours est radical et incompatible avec la laïcité et la République. On ne peut décemment pas lui proposer de postes dans la République ou même de manière officieuse, il est inscrit sur la liste des terroristes à éliminer par les États-Unis et une bonne partie de la planète, et continue à revendiquer la mort des soldats venus aider le Mali sans parler de nos propres soldats. En réalité, la proposition de négocier avec Iyad est l’exemple même de la fausse bonne idée. Elle est dangereuse en soi. Elle est injustifiable. Elle sera même difficilement envisageable compte tenu de la position du principal concerné. Peut-être faudrait-il voir dans l’épisode de la lettre et de sa dénonciation la preuve de cette posture difficile pour lui ! Lui comme de nombreux autres terroristes maliens pouvant être concernés par les éventuelles négociations partagent la même position et doivent être considérés de manière similaire. Un terroriste est un terroriste ! qu’il soit Malien ou Afghan, il est un acteur de terreur qui s’exprime par la violence aveugle et gratuite et se réalise par la désolation sociale qu’il crée par ses actes. Il doit être traité de manière similaire à Mossoul, Maidougouri ou Menaka. Son élimination doit être une priorité pour limiter les pertes civiles et militaires qu’il nous inflige ou rêve de nous infliger à chaque instant.
Le Mali doit en faire une priorité aux côtés de ceux qui nous aident et s’employer à bénéficier du soutien de notre voisin algérien dans cette optique. Combattre les terroristes, notamment ceux qui dirigent les mouvements terroristes, ne veut pas dire assimiler à eux tous les jeunes désœuvrés enrôlés, souvent à leur corps défendant. Nous le savons tous, la majorité de ces jeunes ne sont pas des fous furieux, loin de là ! De nombreux rapports indiquent pertinemment que certains parmi eux se sont engagés pour trouver un emploi et avoir une rémunération, d’autres par peur de représailles ou pour protéger leurs familles. Il se trouve parmi eux, même des jeunes qui ont embrassé la cause terroriste pour simplement exister, être considérés et avoir quelques faveurs au sein de leurs communautés. Nous devons traiter cette réalité à sa dimension et engager les voies et moyens permettant de retirer ces jeunes d’entre les griffes de marchands de morts fanatisés. De nombreuses actions doivent être envisagées dans cette perspective. Il faut mettre à profit le caractère intégré de nos communautés, convier les leaders traditionnels, religieux et les mécanismes disponibles pour identifier et convaincre certains de nos jeunes à abandonner la voie des terroristes. Le processus de paix peut être mis à profit pour les inscrire dans les dynamiques Désarmement Démobilisation et Réinsertion (DDR).
L’initiative algérienne de la loi sur la concorde civile peut aussi être envisagée pour amnistier certains auteurs de délits mineurs et faire bénéficier aux auteurs de crimes de peines atténuées afin de les soustraire de la dynamique jusqu’au-boutiste du terrorisme. Le Mali est constellé de réseaux, d’organisations traditionnelles, de leaders influents et de mécanismes appropriés pour nous permettre de faire un travail fouillé sur la question de nos jeunes embrigadés et obtenir quelques résultats appréciables sur ce segment. Cela constituerait idéalement la démarche à suivre pour contribuer à affaiblir la dynamique terroriste et d’insécurité qui nous préoccupent en ce moment. Il n’est pas utile de se focaliser sur des leaders inscrits dans d’autres trajectoires.