L'humanitaire française, qui dirige une ONG d'aide à l'enfance, a été enlevée samedi en pleine rue par des hommes armés. Elle vivait dans la ville malienne depuis 2001.
«Toutes les femmes de Gao pleurent le rapt de Sophie»
Malgré la montée de la violence dans le nord du Mali, malgré les avertissements du Quai d’Orsay, elle était restée à Gao. Sophie Pétronin, 66 ans, s’est installée définitivement au bord du fleuve Niger il y a quinze ans. La Française d’origine ardéchoise y a construit sa maison et a fondé sa propre ONG, l’Association d’aide à Gao, en 2004. «C’est la seule humanitaire française qui était là, avec nous, en permanence, raconte Yacouba Sangaré, de la Direction régionale de la santé, partenaire de l’association de Sophie Pétronin. Elle était très consciente du risque, mais elle avait instauré une relation de confiance totale avec la population. Pourtant, on ne peut jamais être sûr à 100%. Un seul individu peut suffire pour tout gâter.»
Sophie Pétronin a été enlevée samedi, vers 16h30, en pleine ville, par trois hommes armés, «qui l'ont embarqué dans un 4x4 de couleur kaki», selon une source policière contactée par Libération. Le rapt a eu lieu devant le local de son ONG. L’Association d’aide à Gao est active dans le domaine de la nutrition infantile. «Toutes les femmes de Gao pleurent son enlèvement : elle s’occupait des nouveau-nés, des orphelins. Il y a quelques jours, je lui ai encore adressé un bébé, explique Aissatou Fangho Haidara, directrice régionale de la protection de l’enfance. Elle n’aimait pas, d’ailleurs, qu'on dise "le centre de Sophie". Elle voulait qu’on dise "le centre de la ville de Gao". Mais pour tout le monde, ici, c’était "chez Sophie".» L’humanitaire, qui parle couramment le songhaï (la langue de la région de Gao), avait sous sa surveillance «plus de 30 enfants» et ses distributions de nourriture, le samedi, rassemblaient «une centaine de bouches».
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Une enquête a été ouverte par le parquet de Paris pour enlèvement et séquestration en bande organisée. Elle a été confiée à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et au commandement de gendarmerie prévôtale, la police judiciaire militaire qui accompagne les soldats français à l’étranger. Le kidnapping s’est en effet déroulé sous le nez de la plus importante base de la force Barkhane au Mali, qui compte 1 200 hommes. Les soldats français et maliens ont été immédiatement mobilisés pour mener les recherches. Dans ce genre de rapt, les premières heures sont cruciales : les principaux axes routiers sont facilement contrôlables (une seule route goudronnée traverse la ville), mais Gao est aussi une des portes d’entrée du désert du Sahara, où peut rapidement «disparaître» un véhicule isolé.
Les soldats de la Minusma (Mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali) ont également participé aux recherches. Samedi, une fouille de «tous les 4x4 de la ville» a été menée, tandis que les forces maliennes étaient mises en alerte aux principaux points de contrôle, a précisé la source policière. «Dimanche, on pensait que madame Sophie pouvait être encore dans la ville», car les moyens aériens de Barkhane n'ont pas détecté de véhicule suspect en direction du désert. Le gouverneur de la région de Gao a en outre appelé la population à faire part de tout renseignement aux autorités.
L’enlèvement n’avait toujours pas été revendiqué mercredi soir. Il constituerait une première depuis l’intervention française au Mali, en 2013. Plusieurs groupes jihadistes sont actifs autour de Gao, notamment Al-Mourabitoune, lié à Al-Qaeda au Maghreb islamique et dirigé par l’Algérien Mokhtar Belmokhtar. Lors de la prise de la ville par ses hommes, en avril 2012, Sophie Pétronin avait réussi à fuir, in extremis, à travers le désert pour gagner l’Algérie, puis la France. Elle avait raconté son aventure dans un livre, le Fil de lumière, publié au Mali. Ce samedi, d’après les témoins, ses assaillants ne lui ont laissé aucune chance de s’échapper.