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Point de vue de Moussa Mara sur les polémiques sur l’expulsion des migrants maliens
Publié le lundi 9 janvier 2017  |  30minutes.net
Primature:
© aBamako.com par mouhamar
Primature: La passation de pouvoirs entre le PM sortant Moussa Mara et le PM entrant, Modibo Keita
Bamako, le 09 janvier 2015. La passation de pouvoirs entre le Premier ministre sortant, Moussa Mara et le Premier ministre entrant, Modibo Keita a eu lieu ce vendredi à la Primature.  
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C’est indéniablement le fait marquant de la fin d’année 2016 et sans doute du début de 2017, le Gouvernement malien a toutes les peines du monde à se sortir d’une polémique ayant entrainé des troubles, créée par sa participation supposée à l’expulsion de certains de nos compatriotes expatriés. La polémique a déjà valu aux autorités de faire face à une motion de censure à l’Assemblée Nationale. Elle a entrainé l’occupation des locaux du consulat général du Mali en France et suscité en d’autres endroits des manifestations hostiles de nos compatriotes, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays à l’égard de l’Etat malien. Cela n’est guère étonnant quand on sait la place de l’émigration pour des millions de familles maliennes aujourd’hui.

Il est souhaitable, eu égard justement à l’importance de la question pour le Mali, qu’on essaie de sortir des polémiques, des passions, des invectives et des échanges non productifs pour poser les vraies questions autour de ce phénomène. Qu’on essaie d’apporter des réponses véridiques, objectives, structurelles et porteuses de valeur ajoutée pour le futur. Autrement dit, au-delà de la situation présente, il est peut-être possible que notre pays profite des troubles actuels pour regarder de manière lucide les réalités du phénomène migratoire et les intégrer dans son intérêt et celui de ses fils !
C’est une tâche à laquelle nos autorités doivent réfléchir. Elles doivent, en cette perspective, agir dans plusieurs directions.

Le Gouvernement doit mieux élaborer sa réponse face aux polémiques actuelles en apportant des réponses claires à certaines questions clés. Y a-t-il eu un accord verbal ou écrit sur le dispositif du Sommet de la Valette sur la migration des 11 et 12 novembre 2015?
Quelle est sa compréhension de la déclaration commune et du plan d’action (5e axe) du Sommet de la Valette ?
Quelle est sa compréhension de l’article 13 de l’Accord de Partenariat de Cotonou sur les Migrations qui évoque clairement la question des réadmissions (expulsion des illégaux) ?
Quelle est sa stratégie pour ne pas appliquer ces dispositions ?
Quid alors des projets et programmes dont doit bénéficier notre pays en application de ces dispositifs ?

Quelle contrepartie nous devons mettre dans la balance face à ces projets ?
A-t-il commencé à appliquer cet éventuel accord ?
Si non quelles preuves concrètes pour démentir les autorités européennes qui l’affirment ainsi que les acteurs politiques et de la société civile qui fournissent des documents, des témoignages et des images de l’implication des autorités maliennes dans les expulsions de Maliens ?

La réponse claire à ces questions, étayée par des actes, contribuera à faire baisser la tension. L’attitude du Gouvernement depuis le début de la polémique le démontre, aucune autorité malienne ne peut s’engager dans la direction de participer à l’expulsion de Maliens vers le Mali. La cause des migrants est une cause nationale au Mali, au même titre que l’intégrité du territoire ou la souveraineté du pays. Les autorités maliennes doivent le dire très clairement à nos partenaires. On ne doit et on ne peut accepter de signer ni Communiqué, ni Accord, ni Convention qui contient des dispositions nous impliquant dans le rapatriement de nos compatriotes au pays. Les autorités doivent l’indiquer aux partenaires avec deux arguments significatifs : le caractère sensible de la question pour la stabilité politique du Mali et l’importance de la diaspora pour l’équilibre socioéconomique de notre pays.
Le Gouvernement doit également convaincre nos partenaires que sur la question de l’émigration illégale, le flux des départs est beaucoup plus important que le stock de migrants illégaux sur leur sol.

Il est compréhensible que leurs populations et notamment leurs électeurs soient plus sensibles à l’image d’immigrés qu’ils côtoient mais il ne sert à rien d’engager des efforts immenses pour expulser quelques dizaines d’individus quand ce sont des vagues de milliers d’autres qui déferlent chaque jour sur l’Europe. Les efforts doivent donc être mis sur la question des départs. Et dans ce domaine, nous devons être actifs car il s’agit avant tout de nous. C’est là où le Gouvernement doit se tourner vers la population malienne avec la pleine participation de la diaspora.

L’émigration est profondément négative pour le pays de départ. Elle le prive d’une partie de ses bras valides, de ses intelligences et surtout installe une culture de départ qui est dramatique pour nos terroirs. Les citoyens inscrits dans un projet de départ, souvent depuis le bas âge, ne s’intéressent pas à l’essor de leur collectivité qui se trouve privé de ses ressources, totalement orientées vers d’autres horizons. Si nous recevons des revenus de l’extérieur, nous perdons nos hommes, notre créativité, nos énergies qui sont indispensables au développement de nos villages et de notre pays. Tous doivent être convaincus de cela, dans un contexte où la situation est difficile dans les pays d’accueil, que ce soit en Europe, en Asie ou en Afrique dont certains pays font subir aux Maliens des supplices bien plus intolérables qu’en Europe.

La lutte contre les départs, la fixation des Maliens au Mali, l’accueil de nos expatriés qui souhaite revenir comme la protection de nos compatriotes dans les pays d’accueil ou encore l’amélioration de leurs conditions de vie (obtention de pièces d’identité, respect de leurs droits…) doivent constituer des objectifs majeurs de notre pays sur cette question des migrations. C’est tout l’intérêt de la Politique Nationale des Migrations (PONAM) qui a été adoptée en 2015 par le Gouvernement et dont il serait inspiré de profiter de la situation actuelle pour faire la promotion. Cette politique, dont l’existence est ignorée par l’essentiel des Maliens, y compris parmi les élites, doit être expliquée, débattue et surtout doit enfin bénéficier d’un financement adéquat pour être mise en œuvre.

Nous devons définir ensemble les objectifs que nous voulons atteindre dans ces différents domaines et engager des actions dans ce sens. Nos partenaires doivent nous aider à mettre en œuvre les stratégies que nous nous-mêmes nous décidons et n’ont pas à nous dicter ce qu’ils souhaitent nous voir faire. Si l’émigration illégale est une perte, elle l’est d’abord pour le Mali et non pour la France où la Belgique. Ce sont les jeunes maliens qui meurent dans les océans et les déserts, ce sont les familles maliennes qui sont endeuillées et c’est la société malienne qui perd en premier lieu.

C’est donc au Mali de fixer le cap en matière de lutte contre les mafias de passeurs et leurs complices à différents niveaux et de montrer sa détermination à agir sur tous les segments susceptibles de limiter les flux de départs.
Au-delà, les autorités maliennes doivent engager un vrai partenariat avec notre diaspora, forte de plusieurs millions de personnes, et qui peut induire de profonds changements au Mali. Cette collaboration doit recouvrir plusieurs aspects et s’installer dans la durée. Il doit contenir des aspects politiques et institutionnels à travers la profonde association des maliens de l’extérieur à la gouvernance du pays. Il doit se traduire par des initiatives concrètes dans les domaines administratifs, économiques, sociaux (éducation, formation, santé…), culturels…Il est temps que les autorités convainquent les maliens de la diaspora que leur place au pays et leur rôle dans son essor sont plus que jamais indispensables à occuper, à exercer et à tenir.

C’est à ces conditions que toutes ces polémiques s’avéreront finalement très productives pour le Mali. Gageons que cela puisse être le cas et en ce début d’année, période de vœux, prions pour ce faire !

Moussa Mara
Ancien Premier ministre
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