Il est une idée bien répandue : la Réforme de l’Enseignement, effectuée en 1962, aurait fait engranger d’énormes progrès que le régime militaire aurait détruits. Pourtant, à y regarder de près, il semble que la réalité soit tout autre : durant les dix ans que le CMLN a exercé la pouvoir, il est vrai que les syndicats d’enseignants, tout comme les élèves et les étudiants, ont eu maille à partir avec le régime. Cependant, c’est bien durant cette période que le système éducatif malien a pris la configuration qui sera la sienne deux décennies durant avec la formation de ses meilleurs produits.
L’on ne saurait méconnaître les mérites de la Réforme de 1962. Mais, un fait demeure incontestable : si le régime de l’US-RDA a eu l’idée de la Réforme et en a commencé la mise en œuvre, le CMLN, fort de l’idée selon laquelle l’Etat est une continuité, a poursuivi cette mise en œuvre avec plus d’une initiative dont la création de l’enseignement supérieur.
Avant novembre 1968, notre pays ne comptait que deux établissements d’enseignement supérieur : l’Ecole Nationale d’Administration (ENA), avatar de l’Ecole d’Administration du Soudan créée sous le régime de la l’autonomie interne (1956-1958) et l’Ecole Normale Supérieure, la doyenne des Grandes Ecoles de création authentiquement malienne.
L’ENA comportait deux cycles : un cycle A et cycle B. Le premier recevait las bacheliers pour une formation durant trois ans dans deux filières : Administration publique et Economie. Le second recevait les titulaires du DEF. A l’EN. SUP, les filières de formation étaient : Anglais, Lettres modernes, Philosophie, Mathématiques-Physiques-Chimie, Biologie. L’établissement recrutait à partir du baccalauréat et la formation durait trois ans.
L’Ecole des Travaux Publics (ETP), une école fédérale de la période coloniale, a été rebaptisée Ecole Nationale d’Ingénieurs. Elle recrutait à partir du DEF pour former des ingénieurs de premier degré. En juin 1968, l’Ecole Nationale de Médecine (ENM) fut créée, recrutait des bacheliers pour en faire, non des médecins, mais des assistants médicaux ; en d’autres termes, des intermédiaires entre les infirmiers d’Etat et les médecins titulaires d’un doctorat.
Telle était la situation de l’Enseignement « supérieur » lorsque, à la suite des événements de novembre 1968, le Pr Yaya Bagayogo fut nommé ministre de l’Education Nationale, de la Jeunesse et des Sports. Il entreprit, avec les quelques rares cadres de l’époque qui avaient fréquenté les universités françaises, de lui donner un visage nouveau, celui d’un ordre d’enseignement formant des cadres supérieurs dans les domaines de l’Enseignement, de l’Administration Publique, du Génie Civil-Electromécanique, de l’Agriculture-Elevage, de la Santé.
Ainsi furent, successivement, créés, sous leur configuration actuelle : l’Ecole Normale Supérieure, l’Ecole Nationale d’Administration, l’Ecole Nationale d’Ingénieurs, l’’Institut Polytechnique rural de Katibougou, l’Ecole Nationale de Médecine, de Pharmacie et d’Ondoto-Stomatologie.
L’œuvre de création du Pr Yaya Bagayogo ne se limita pas à cela. Estimant que la structure du système éducatif malien fait songer à un monstre avec une tête gigantesque directement posée sur des membres grêles, en l’absence d’un tronc, il conçoit et crée trois structures intermédiaires dont deux dans l’Enseignement supérieur : l’Ecole Nationale des Postes et Télécommunications(ENPT) ainsi que l’Ecole des Hautes Etudes Pratiques (EHEP). Par la suite, pour des motifs inavouables, l’ENPT, rénovée, fut fermée et, avec la création de l’Université du Mali en 1992, l’EHEP est rebaptisée IUG (Institut Universitaire de Gestion).
Puis, le Pr Bagayogo mit sur pied deux structures d’enseignement supérieur post-universitaire : le Centre Pédagogique Supérieur (CPS), rattaché à l’EN.SUP et l’Institut de Productivité et de Gestion Prévisionnelle (IPGP), rattaché à l’ENA. L’IPGP a disparu, le CPS continue de fonctionner sous la dénomination Institut Supérieur pour la Formation et la Recherche Appliquée (ISFRA). Ultérieurement, la gamme de ses établissements d’enseignement post-universitaire se diversifiera avec la création de l’Institut de Formation et la Recherche Appliquée (IFRA), rattaché à l’IPR de Katibougou qui, du coup, prend la dénomination IPR-IFRA.
Enfin, pour couronner le tout, le Pr Bagayogo a conçu et réalisé, grâce à l’appui du gouvernement, une formule permettant aux sortants du CPS de poursuivre leur formation pour l’obtention du Doctorat d’Etat (cinq ans d’études après l’obtention du doctorat de spécialité encore appelé doctorat du 3è cycle). Il leur était demandé de se trouver une inscription dans une université française et de bénéficier, par ce biais, d’une aide de l’Etat. L’aide consistait à allouer à ceux qui remplissaient les conditions, le bénéfice d’un mois de séjour en France pour une « consultation » auprès de leurs directeurs de recherches et la documentation. Grâce à ce procédé, trois Maliens purent obtenir le rade de docteur d’Etat : deux, en lettres modernes un, en physique.
Il est constamment dit que les militaires, en renversant le régime de l’Union Soudanaise-RDA ont plongé le Mali dans vingt-trois d’obscurantisme. Ils ont leurs raisons car chacun possède ses schèmes d’appréciation. Cependant, au terme d’une analyse objective, il serait difficile de minimiser ou de nier, en matière d’innovations pédagogiques au Mali, la contribution du Pr Yaya Bagayoko, dix ans ministre de l’Education Nationale sous le régime du Comité Militaire de Libération Nationale. Conséquence de son œuvre : bien qu’en son temps le Mali ne disposât pas de structures universitaires, il a été donné aux jeunes Maliens d’effectuer toutes leurs études au Mali, du premier cycle de l’école fondamentale au doctorat sans quitter le territoire national.
Diaoulèn Karamoko Diarra