La jeunesse n’est pas seulement l’avenir d’un pays, elle est aussi son présent, sa substance vitale. Tel est le postulat que tente de développer le professeur Clément Dembélé, à travers une longue et fine réflexion, où il évoque la situation des jeunes maliens, confrontés à des problèmes de formation et de chômage.
La jeunesse n’est pas seulement l’avenir d’une nation, elle est surtout son présent, sa substance vitale, ou du moins sa colonne vertébrale, qui lui permet de tenir et de survivre ; négliger ce paramètre, c’est se tourner vers un précipice de la violence et du désespoir.
Cela dit, la jeunesse africaine est un cas particulier. Car la population africaine est majoritairement sinon quasiment jeune. L’Afrique n’est pas juste un continent jeune, mais un continent qui se rajeunit de jour en jour. Elle est encore plus jeune que ce que l’on imagine, vraiment. Cependant, si certains experts (dans leur esprit étroit) voient cette jeunesse comme un potentiel à exploiter, ils oublient parfois, et de façon tout à fait inquiétante, de proposer des pistes tangibles entre cette jeunesse africaine et les outils de développement.
Penchons-nous sur le cas malien. En effet, les jeunes, entre 18 et 35 ans, représentent 76% de la population malienne ; laquelle comprend trois catégories essentielles : les jeunes diplômés sans emploi ; les jeunes en activités formelles, et majoritairement dans l’informel ; les jeunes non-diplômés et sans emploi.
Depuis une trentaine d’année, la jeunesse malienne est devenue une priorité politique. Parce qu’elle est devenue un problème pour elle et pour les différents régimes successifs.
79% de jeunes maliens en chômage
Entre le chômage, la pauvreté, le manque de niveau d’études, la délinquance, l’exode rural, les suicides, les violences, l’immigration, les jeunes n’ont cessé de chercher un repère identitaire qui leur permet de retrouver le sens même de leur existence dans une société soumise à une forte mutation sociale, économique et culturelle. Au Mali, le ministère des Affaires étrangères annonçait en 2012 que 80% des jeunes maliens sont candidats à l’immigration, et plus de 40% tentent cette mésaventure au moins une fois dans leur vie. A l’intérieur du pays, plus de 60% des jeunes maliens sont en chômage, et quand on tient compte des activités informelles (non déclarées), on atteint 79% de jeunes maliens en chômage.
Si ces chiffres sont alarmants et exigent sans doute une urgence à prendre en compte, ils expliquent une mauvaise politique des différents régimes concernant les jeunes.
D’abord l’éducation : le Mali met en place en moyenne une nouvelle méthode pédagogique tous les trois ans. De la méthode syllabique à la méthode expérimentale en passant par l’APC (Approche par compétence), l’école malienne est devenue un véritable nid d’expérimentation de tous les systèmes. Sans tenir compte le plus souvent de la réalité sociologique des apprenants. Mais le mal ne se limite pas seulement à la méthode, il ronge le pays dans son choix de formations même.
Je m’explique :
L’école malienne forme des jeunes à devenir chômeurs. Le drame est que non seulement le niveau académique est très bas à cause de l’absence totale d’un système d’actualisation des connaissances (la plupart des enseignants donnent les mêmes cours depuis une trentaine d’années sans tenir compte de l’évolution de la connaissance), de l’absence quasi-totale de recherche et de la disponibilité de bibliothèques universitaires dignes de ce nom. En fait, un étudiant malien apprend sans comprendre ce qu’il apprend. Ainsi, dès qu’il sort du Mali, ou qu’il se retrouve dans un environnement compétitif, il est complètement perdu. Parce qu’il n’a ni méthodologie de la recherche, ni connaissance de base.
Un autre aspect dramatique, et qui explique véritablement le chômage des jeunes, réside dans l’inadéquation entre le cadre pédagogique et le cadre d’emploi. On forme des jeunes dans les domaines qui peinent à employer : la socio-anthropologie, les sciences de l’éducation, la géographie, les sciences juridiques pour ne citer que ceux-ci. Le niveau de développement du Mali dans son évolution verticale et horizontale n’exprime aucun besoin massif dans ces domaines d’études.
Former des techniciens
Aujourd’hui, le Mali et tous les autres états africains doivent former avant tout des techniciens dans les domaines pratiques et non théoriques ; l’urgence veut qu’on cesse le classicisme théorique des formations pour une vraie réforme de l’éducation et de la formation professionnelle en rapport avec la réalité du marché d’emploi.
Cela passe sans doute par un certain nombre de volets dans lesquels les pays africains, notamment le Mali doit former les jeunes :
le domaine agropastoral avec toutes ses branches d’activité telles que l’agriculture, l’élevage, l’agrobusiness, les conseillers en agroéconomie, le transport et la logistique, l’agro-marketing et la gestion agricole, etc… ; le domaine des mines (le Mali est le troisième producteur d’or alors qu’il n’y a aucune école de mine pour former les jeunes permettant une autonomisation progressive d’exploitation des ressources minières) ;
le domaine du bâtiment et des infrastructures : il n’y a pas de développement économique et culturel sans route. Il faut que les populations soient mobiles. Et la mobilité donne naissance à l’échange économique, culturel et humain. Elle est au cœur de tout le processus du développement d’un Etat. Sans route et sans bâtiment, l’économie patine et reste sous perfusion d’aide internationale dans les domaines tertiaires qui ne produisent pas ;
le domaine de l’énergie renouvelable : l’essor économique des africains viendra le jour où l’on commencera à véritablement exploiter les potentiels naturels de ce continent, notamment l’énergie propre. Excepté des pays comme le Maroc, les états africains ont du mal à comprendre que l’énergie est une source de puissance, et s’ils le pensent, ils n’appliquent aucune politique courageuse et encourageante en ce sens. Il faut doter les familles, les villes, les industries d’énergie renouvelable. Si le coût semble élevé au départ, rien n’empêche d’évoluer progressivement mais sûrement vers le solaire pour permettre aux hommes et aux secteurs d’activités de se développer. Au Mali, la société EDM (Energie du Mali) finance plus de 120 millions de francs CFA (185 000 euros) de publicité pour sensibiliser ses clients à consommer moins d’électricité alors que le pays est l’un des plus chauds de la planète avec une capacité d’exploitation infinie en énergie solaire. En somme, chaque malien peut avoir presque gratuitement de l’électricité dans sa famille, sans compter le nombre de milliers d’emploi que cela peut générer directement et indirectement (en moyenne 1,5 million d’emplois sur deux ans).
L’industrie de transformation : les pays africains, comme le Mali doit son salut dans la formation des jeunes dans le domaine de l’industrie de transformation mais aussi dans la création et l’accompagnement des acteurs économiques dans ce domaine. Grâce aux ressources naturelles énormes, le Mali peut et doit s’orienter vers la transformation industrielle des matières premières (minières, agricoles…) ainsi que leur commercialisation de façon structurée. En outre, il faut faire appel aux investisseurs étrangers en mettant en place un système d’avantage fiscal très intéressant et en contrepartie l’emploi massif des jeunes comme ouvriers, techniciens, employés et cadres dans le but d’atteindre un « knowledge management » (transfert des compétences) efficace.
Des jeunes ouverts et connectés
En conclusion, c’est par la jeunesse que l’Afrique survivra ; et les Etats africains ne pourront lutter efficacement contre la pauvreté, la misère, les guerres civiles, le terrorisme, les violences urbaines, l’immigration clandestine, les suicides qu’en considérant leur jeunesse comme un véritable outil de développement. Aussi est-il impératif que les mentalités changent, notamment celles qui accusent les jeunes de fainéantise ou d’inaction. Sachant que contrairement à leurs aînés, les jeunes africains sont aujourd’hui ouverts et connectés au reste du monde ; ils savent ce qui se passe partout ; ils sont plus efficaces et plus ambitieux, plus dynamiques et plus intelligents que leurs prédécesseurs. Ils ont juste besoin de deux choses : qu’on les comprenne et leur fasse confiance !
Clément Dembélé
Source Africains Mag
Entrepreneuriat jeunes au Mali