Les pays africains doivent savoir qu’il existe en droit international une règle cardinale qui gouverne le comportement des Etats dans les relations internationales. Il s’agit du fameux principe « Pacta Sunt Servanda », selon lequel tout traité ou convention ou accord - n’en déplaise à la terminologie du droit constitutionnel français et malien par ricochet qui voudrait de façon inappropriée faire une distinction entre « traité » et « accord » et partant soumettre malencontreusement le premier à la « ratification » et le second à « l’approbation » en tant que procédures différentes, distinction qui n’a aucune pertinence au regard du droit international - en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi. Le terme « parties » désigne les Etats qui ont consenti à être liés par le traité et à l’égard desquels le traité est en vigueur. L’expression « exécuter le traité de bonne foi » signifie : 1- s’abstenir de tout acte visant à réduire à néant l’objet et le but du traité ; article 18 de la convention de Vienne de 1969 ; 2- éviter toute tentative de « fraude à la loi » ; 3- jurer fidélité et loyauté aux engagements pris ; 4- faire prévaloir le but du traité et l’intention dans laquelle les parties ont conclu celui-ci sur son application littérale ; 5- appliquer le traité de façon raisonnable et de telle sorte que son but puisse être atteint. Or, il se trouve que les pays africains ont conclu avec l’Union Européenne un accord de partenariat, qui a été signé à Cotonou le 23 juin 2000 pour une période de 20 ans à compter du 1er mars 2000, puis modifié deux fois, le 25 juin 2005 à Luxembourg et le 04 novembre 2010 à Ouagadougou. Les pays africains doivent donc strictement respecter le principe « pacta sunt servanda » à l’égard de ce traité. Mieux, ils doivent respecter de bonne foi et sans détour les obligations juridiques qui sont clairement mises à leur charge par l’article 13 de l’Accord de Cotonou en matière d’immigration illégale.
Les obligations juridiques des pays africains ayant ratifié l’Accord de Cotonou
Il faut savoir que l’article 13 paragraphe 5 de l’Accord de Cotonou met clairement à la charge des pays africains les obligations juridiques suivantes : 1- accepter le retour ; 2- réadmettre leurs propres ressortissants illégalement présents sur le territoire d’un Etat membre de l’Union Européenne ; 3- à une double condition : a) à la demande de cet Etat et, b) sans autres formalités ; 4- fournir à leurs ressortissants des documents d’identité appropriés à cet effet ; 5- appliquer ces obligations seulement à l’égard des personnes qui, doivent être considérées comme leurs ressortissants au sens de leurs législations nationales respectives ; 6- s’assurer que les droits et la dignité des personnes sont respectés dans toute procédure mise en œuvre pour le retour des immigrants illégaux dans leur pays d’origine ; 7- accorder les facilités administratives nécessaires au retour ; 8- à la demande d’une partie, engager des négociations en vue de conclure, de bonne foi et en accord avec les principes correspondants du droit international, des accords bilatéraux régissant les obligations spécifiques de réadmission et de retour des ressortissants africains ; 9- prévoir dans ces accords, si l’une des parties l’estime nécessaire, des dispositions pour la réadmission de ressortissants de pays tiers et d’apatrides ; 10- préciser dans ces accords : a) les catégories de personnes visées par ces dispositions, b) ainsi que les modalités de leur réadmission et retour ; 11- en contrepartie, les pays africains ont le droit de bénéficier d’une assistance adéquate en vue de la mise en œuvre de ces accords. Commentaire : il est indiscutable qu’en ratifiant l’Accord de Cotonou, les pays africains se sont formellement engagés à respecter : 1- le principe du retour et de la réadmission, 2- le principe de la négociation et de la conclusion d’accords bilatéraux de retour et de réadmission, 3- la déontologie fondée sur la bonne foi et les principes correspondants du droit international.
Les obligations juridiques des pays africains ayant seulement signé l’Accord de Cotonou
L’Accord de Cotonou n’est pas un accord en forme simplifiée. C’est bien un traité en forme solennelle. Dans le premier cas, la seule signature suffit pour engager juridiquement l’Etat. Dans le second cas, il faut en plus de la signature, accomplir la procédure de ratification dans sa double dimension interne et internationale pour engager juridiquement l’Etat. C’est le lieu de rappeler qu’il n’existe pas en droit international une obligation coutumière générale imposant aux Etats de signer puis de ratifier un traité ou d’y adhérer ; ici c’est le règne de la souveraineté et du pouvoir discrétionnaire des Etats.
Pour en revenir à la question spécifique de la portée juridique de la signature, les pays africains doivent savoir que le simple fait d’avoir signé l’Accord de Cotonou implique un comportement bien déterminé, à savoir : 1- s’abstenir d’actes qui priveraient l’Accord de son objet et de son but, tant que l’Etat n’a pas manifesté son intention de ne pas devenir partie à l’Accord ; 2- que cela ne signifie pas que l’Etat signataire est tenu de respecter les dispositions de fond de l’Accord ; 3- que cela signifie seulement que l’Etat signataire ne peut pas adopter un comportement qui viderait de toute substance son engagement ultérieur lorsqu’il exprimerait son consentement à être lié par l’Accord ; 4- que l’Etat signataire doit examiner le texte de l’Accord de bonne foi en vue de déterminer sa position définitive à son égard.
Le règlement des différends relatifs à l’Accord de Cotonou
Il faut savoir que les différends nés de l’interprétation ou de l’application de l’Accord de Cotonou sont réglés suivant la procédure ci-après : 1- Ils sont d’abord soumis au Conseil des Ministres de l’Accord ; 2- entre les sessions du Conseil, ils sont soumis au Comité des Ambassadeurs ; 3- enfin, en cas d’échec du Conseil des Ministres, l’une ou l’autre des parties peut demander que le différend soit réglé par voie d’arbitrage. Cela dit, rien n’interdit aux parties de recourir à la panoplie des modes de règlement pacifique des différends, prévue à l’article 33 de la Charte de l’ONU, y compris les bons offices qui n’y figurent pas nommément.
Conclusion : 1- Parce qu’ils ont ratifié l’Accord de Cotonou, les pays africains sont juridiquement tenus de respecter le principe « pacta sunt servanda » qui veut dire respecter la parole donnée, en en respectant strictement l’esprit et la lettre ; 2- le fait pour les pays africains de ne pas accepter le retour et la réadmission des immigrants illégaux, constitue une violation de leur obligation en vertu de l’article 13 de l’Accord de Cotonou, sous réserve de la question de savoir si tel ou tel pays africain a assorti son acceptation de l’article 13 d’une déclaration interprétative ou d’une réserve stricto-sensu, et de l’effet éventuel de celle-ci sur la portée juridique de son engagement; 3- il y a violation d’une obligation internationale par un Etat lorsqu’un fait, comportement consistant en une action ou une omission, dudit Etat n’est pas conforme à ce qui est requis de lui en vertu de cette obligation, quelle que soit l’origine ou la nature de celle-ci, coutumière ou conventionnelle ; 4- étant entendu que l’Etat doit être lié par ladite obligation au moment où le fait se produit ; 5- les pays africains doivent en tout état de cause savoir que tout fait internationalement illicite de l’Etat engage sa responsabilité internationale, qui comporte des conséquences juridiques ; 6- aussi est-il important et utile de rappeler aux pays africains que le cadre juridique général de règlement des problèmes posés par la responsabilité de l’Etat a été défini par la Commission du droit international de l’ONU en 2001.
Celle-ci a rédigé un projet de Convention de 59 articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, annexé à la Résolution de l’Assemblée générale A/RES/56/83 du 12 décembre 2001. Ce projet de Convention comprend quatre parties portant respectivement sur : le fait internationalement illicite de l’Etat, le contenu de la responsabilité internationale de l’Etat, la mise en œuvre de la responsabilité internationale de l’Etat, et les dispositions générales.
Il s’agit d’un travail de codification de la coutume internationale, mais aussi de développement progressif du droit international ; 7- c’est le lieu de rappeler que nous avons personnellement eu le privilège de participer aux travaux de la Commission du droit international sur cette question centrale du droit international, pour avoir été membre de la célèbre Commission onusienne durant 15 ans.
Dr Salifou Fomba
Professeur de droit international à l’Université de Bamako,
Ancien membre et vice-président de la Commission
du droit international de l’ONU à Genève,
Ancien membre et rapporteur de la Commission
d’enquête de l’ONU sur le génocide au Rwanda.