Dans cette zone, l'armée française est aux prises avec d'anciens alliés de plus en plus hostiles et doit faire face à une recomposition du paysage terroriste
Point névralgique de la crise sécuritaire malienne depuis 2012, le nord du pays fait planer une ombre indélébile sur le sommet Afrique-France de Bamako qui doit se tenir vendredi et samedi. Quatre ans après le début de l’intervention militaire française destinée à stopper l’avancée des groupes terroristes et les déloger de la zone, celle-ci reste une véritable poudrière.
« Success story » égratignée
Jour après jour, les soldats français de l’opération antiterroriste Barkhane, les casques bleus de l’Onu ainsi que l’armée malienne et les populations civiles sont les cibles d’embuscades et d’attentats meurtriers. Désignée comme la mission onusienne la plus dangereuse pour ses membres, la Minusma dont les responsables ne cessent de déplorer le manque de moyens pour affronter des menaces asymétriques fait face à des attaques répétées aux explosifs contre ses véhicules. Le 24 décembre, l’enlèvement d’une humanitaire française, Sophie Pétronin, installée dans la ville de Gao, a ravivé le mauvais souvenir des prises d’otages qui ont longtemps constitué le principal fond de commerce des groupes terroristes au Sahel. Le Ministère des Affaires étrangères français a réagi en modifiant quatre jours plus tard sa fiche « conseils aux voyageurs », appelant à plus de vigilance et invitant les ressortissants français résidents dans les zones marquées en rouge à les quitter au moins temporairement. Des troubles qui entachent de plus en plus visiblement la « success story » bâtie par l’Elysée autour du « sauvetage » du Mali.
Félicitée sur le plan tactique, l’intervention de la France fait en effet désormais l’objet de critiques sonores quant à sa réussite sur le long terme. « En 2013, les groupes terroristes ont bel et bien été repoussés à Konna lors de leur descente vers le sud. Les volets politique et diplomatique n’ont en revanche pas suivi. Aucune solution concertée et véritablement inclusive n’a été envisagée pas plus qu’une coordination avec le volet développement » note un diplomate occidental.
Barkhane au milieu du gué
Une absence d’accompagnement politique qui plonge les troupes françaises dont le retrait n’est pour l’instant pas évoqué dans une situation délicate de tiraillement entre les parties en conflit. Au début de l’opération Serval lancée en janvier 2013, les militaires avaient essuyé nombre de réprimandes de la part des autorités maliennes au sujet de leur proximité avec certains groupes indépendantistes touaregs du nord, précieux informateurs dans cette zone difficile d’accès. En février 2013, la reprise de Kidal par l’armée française sans les militaires maliens avait provoqué l’ire des représentants de l’Etat central qui n’avaient pas hésité à accuser les forces françaises de complicités avec les rebelles notamment par voix de presse. Un épisode suivi d’une campagne de dénigrement qui avait contribué à semé les germes d’un sentiment anti français aujourd’hui encore perceptible dans les mentalités maliennes au sud du pays.
Pourtant aujourd’hui le vent semble avoir tourné à la faveur des soupçons de complicités entre certains rebelles de la CMA et les groupes terroristes présents sur le terrain. Dans un rapport intitulé « Aqmi et Al-Mourabitoun, le djihad sahélien réunifié » publié le 6 janvier par l’Ifri, le chercheur Marc Mémier pointe l’existence de « liens, qu’ils soient idéologiques, humains ou financiers, entre AQMI et ses affiliés et des groupes armés maliens signataires de l’Accord de paix d’Alger. Ils seraient particulièrement explicites entre Ansar Dine et certains éléments du Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) ou encore entre AQMI et le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) qui cohabitent dans la région de Taoudéni (Nord-Mali) ».
Agacée, l’armée française a finalement pris ses distances avec les ex rebelles mi-2016, au prix d’une montée inquiétante des diatribes anti françaises alimentées par certains cadres du HCUA dans la zone. En avril dernier plusieurs arrestations menées par les troupes de Barkhane à Kidal avaient déclenché une vague de manifestations dans la ville et l’occupation de l’aéroport pour protester contre la force française. Pire, la mort de l’influent chef touareg Cheikh Ag Aoussa connu pour sa proximité avec les militaires français, dans un attentat contre son véhicule à la sortie du camp de la Minusma a fomenté des soupçons d’implication de l’armée française dans cet assassinat donnant lieu à une campagne de dénigrement extrêmement hostile.
Prise en tenaille entre les différents acteurs du conflit et les fragiles équilibres stratégiques qui tiennent aujourd’hui le pays, la force Barkhane doit par ailleurs faire face à une recomposition de paysage terroriste malien.
Union des groupes terroristes
Malgré d’importantes frappes qui ont considérablement affaibli et déstructuré Al Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) depuis 2013 en privant notamment l’organisation de matériel et de plusieurs de ses chefs, les groupes terroristes actifs dans la zone sont parvenus à maintenir une importante force de frappe en unissant leurs forces. C’est en ce sens que plusieurs observateurs ont interprété le ralliement annoncé le 4 décembre 2015 de Mokhtar Belmokhtar à Aqmi dont il s’était désolidarisé en octobre 2012. « Poussé dans ses retranchements, AQMI est donc contraint de poursuivre une logique de regroupement avec d’autres formations pour continuer d’exister et rester visible. C’est ce message de rassemblement que fait passer Droukdel dans son discours audio de décembre 2015 dans lequel il invite les djihadistes à s’unir sous la bannière d’Al-Qaïda » relève Marc Mémier. » Dans cette stratégie de coalition, Belmokhtar représente indéniablement un atout essentiel pour AQMI. Il bénéficie tout d’abord d’une image de marque et d’une légitimité historique : il est le djihadiste qui a mené le plus grand nombre d’actions dans la région ces vingt dernières années. Ensuite, en adoptant une stratégie de non affrontement face aux forces françaises en 2013, il a pu conserver, au moins dans un premier temps, une partie de ses hommes et de son commandement. »
Une stratégie d’union qui s’étend aux autres groupements djihadistes présents sur le sol malien et qui gravitent autour d’Aqmi comme le mouvement Ansar Eddine du chef touareg Iyad Ag Ghali. Toujours très influent au nord du pays d’où il est originaire, Ag Ghali agit désormais comme un relai d’Aqmi dans le centre et le sud du pays jusqu’au Burkina Faso où d’autres mouvements radicaux ont vu le jour ces derniers mois.
Figure incontournable des luttes armées au nord Mali et un temps proche des services secrets algériens, Iyad Ag Ghali est par ailleurs soupçonné de bénéficier d’une protection dans cette zone que l’Algérie considère une aire d’influence privilégiée. « La dualité algérienne est sous-jacente aux problèmes du nord Mali ». « Kidal est alimentée en produits de première nécessité et en carburant via l’Algérie » rappelle une source sécuritaire malienne. « Cela pose au moins la question de la responsabilité des autorités algériennes dans la survie des groupes armés qui sévissent toujours ».
Face à ces difficultés de terrain, les dispositions prévues par la feuille de route instaurée par les accords dits d’Alger ratifiés à Bamako en juin 2015 ont bien du mal à se traduire en mesures concrètes. « Le processus de désarmement, démobilisation et réintégration n’en est qu’à ses balbutiements » regrette notamment un responsable malien. Trop instables, plusieurs localités du nord dont Kidal n’ont pu tenir de scrutin lors des élections communales de novembre dernier. Le déroulement des élections a par ailleurs été perturbé par de graves violences dont des vols et des destructions d’urnes. Dans ces conditions, les quelques 136 000 réfugiés maliens éparpillés en Mauritanie, au Niger et au Burkina Faso ne peuvent toujours pas envisager de retour au pays.