« Excellences, Chers Frères, « Voici enfin vécu ce rêve longtemps rêvé : celui d’une Conférence qui réunirait, fraternellement, tous les Chefs des Etats indépendants d’Afrique. C’est un grand pas en avant. Vous êtes d’accord, nous n’avons pas le droit d’échouer. Ce rêve vécu, nous devons maintenant le réaliser sous peine de trahir et nos peuples respectifs, et l’Afrique-Mère. « Il est temps de bâtir sur notre terre : sur nos réalités. « Ce qui suppose que nous commencions par rejeter tout fanatisme racial, linguistique, religieux. Alors, mais alors seulement, nous pourrons définir notre but, lucidement. « Le but que nous devons assigner (…) ne peut être que (…) le développement par la croissance économique. Je dis le développement. J’entends par-là la valorisation de chaque Africain et de tous les Africains ensemble. Il s’agit de l’Homme. « Dans le passé, le colonisateur a pensé que nous étions des sous-hommes et il nous a traités comme tels. « Si la guerre froide a amené les Grands à nous courtiser, (…) c’est surtout que le Tiers Monde a uni ses faiblesses pour en faire une force.
Mais ne nous faisons pas d’illusions, la peur n’est pas le respect, et on n’a même pas peur de l’Afrique. « C’est dire qu’il nous faut faire plus. Il ne suffit pas que l’union de nos faiblesses apparaisse comme une force. Il n’importe pas de faire peur. L’important, c’est que nous transformions chacune de nos faiblesses en force, que nous fassions, de chaque Africain, un homme qui mange et s’instruise à sa faim : un Homme développé parce qu’il aura consciemment cultivé, en lui, corps et âme, toutes les vertus de l’Africanité.
Il s’agit, par et par-delà la croissance économique, par et par-delà le mieux-être, de porter chaque Africain à la limite de ses possibilités : à son plus-être.
Alors, au dire des économistes, l’Afrique pourra nourrir 3 milliards d’hommes.
Je dis qu’alors, ressuscitant les vertus de Saint Augustin et d’Ibn Khaldoun, ressuscitant les vertus de nos bâtisseurs, de nos sculpteurs, de nos peintres, de nos poètes, au Nord et au Sud du Sahara, l’Afrique contribuera puissamment à l’édification de la Civilisation de l’Universel. Par son unité, elle aura été, auparavant, un facteur de paix : de cette Paix sans laquelle, il n’est pas de civilisation. « Il y a, au premier abord, des obstacles à franchir.
Encore qu’ils soient bien visibles, nous devons leur prêter attention. Je rappelle les Fanatismes -racial, linguistique, religieux- dont nous nous débarrasserons pour commencer.
Il y a ensuite les micro-nationalismes. Songeons-y, des nations européennes de 30, 50, 60 millions d’habitants en sont venus à découvrir que leur territoire était trop étroit, leur population trop peu nombreuse pour organiser une économie, voire créer une civilisation qui ne soit pas mutilée. Que dirons-nous des nôtres dont la plus nombreuse ne dépasse pas 40 millions d’âmes ? « Si nous pouvons, assez facilement, surmonter nos diversités religieuses, en nous souvenant que nous sommes tous des croyants, des fidèles de religions révélées, osons encore le dire, les diversités ethniques, linguistiques culturelles ne sont pas je ne dis pas effacées (ce qui serait un appauvrissement), mais harmonisées demain.
« Dans un premier temps, nous reconnaîtrons ces diversités complémentaires.
Nous aiderons même à les organiser en Unions régionales.
J’en vois trois : l’Afrique du Nord, l’Afrique Occidentale, l’Afrique Orientale – en attendant que soit libérée l’Afrique du Sud. Chacune de ces unions pourrait, à son tour, se diviser en unions plus petites. « Notre lutte pour l’indépendance des territoires africains est loin d’être terminée, je le sais.
J’irai même plus loin, contre les colonialismes portugais et sud-africain, nous avons, jusqu’ici plus parlé que nous n’avons agi. Il est temps que le blocus diplomatique et économique préconisé soit méthodiquement organisé, encore plus appliqué. « J’ai insisté sur les obstacles qui se dressent, devant nous, sur la voie de l’Unité Africaine. Vous me le pardonnerez. J’ai pensé que c’était la meilleure méthode. Ces obstacles, il va falloir, maintenant, les circonscrire, puis les écarter, au moins les réduire pour progresser. Nous le ferons en donnant, à nos institutions, des structures rationnelles et réalistes.