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Cheick Mohamed Chérif KONÉ, President du SAM À L’AUBE : « Les grands corrupteurs du pays sont au niveau de l’exécutif »
Publié le dimanche 22 janvier 2017  |  L’aube
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« Il faut naturellement des mesures d’accompagnement, des moyens permettant à la justice d’être efficace, et des conditions permettant aux juges d’être à l’abri de certaines tentations », « Les grands corrupteurs du pays, c’est au niveau de l’exécutif », « Tous ces détournements de fonds publics, c’est au niveau de l’exécutif », « Nous mesurons toutes les souffrances des justiciables qui sont nos frères, nos parents… », ce sont là des déclarations fortes de Cheick Mohamed Chérif Koné qui a accordé une interview exclusive.
Il est le président du Comité directeur du syndicat autonome de la magistrature (SAM) qui a déclenché, le lundi dernier, une grève illimité. Déterminés, les magistrats se préparent à porter le combat sur la scène internationale. Déjà, une résolution est en train d’être peaufinée contre le gouvernement du Mali par rapport à sa violation totale des dispositions constitutionnelles et les engagements internationaux. Interview.

L’Aube : Le SAM a déclenché, le 9 janvier dernier, une grève qui devrait prendre fin le mardi dernier. Mais, vous avez décidé d’aller en grève illimitée. Pourquoi ?
Cheick Mohamed Chérif Koné : À demander le commun des Maliens aujourd’hui, ils diraient que les magistrats sont dans toutes les bonnes conditions. Certes, comparé à d’autres, le traitement du magistrat est supérieur. Mais cela est loin d’être suffisant. Pourquoi ? S’il est du devoir du magistrat de rendre la justice, celle-ci doit être rendue équitable. C’est à cette seule condition que nous pouvons être en accord avec notre peuple. Pour l’efficacité de la justice, il faut naturellement des mesures d’accompagnement, des moyens permettant à la justice d’être efficace, et des conditions permettant aux juges d’être à l’abri de certaines tentations.
Nous avons fait comprendre au gouvernement, que nous avons de sérieuses difficultés parce que le secteur de la justice évolue dans des conditions précaires. Et les magistrats n’ont pas les traitements qu’ils méritent. Rappelez-vous. Des parlementaires ont fait le tour des juridictions. Ils ont établi que les conditions dans nos juridictions sont des plus mauvaises. À l’échelle internationale, la justice est un service spécial. Cela ne veut pas dire qu’elle est au-dessus des autres services, mais les fonctions dévolues à elle sont quand même différentes. Raison pour laquelle, à travers le monde, il y a eu des assises qui ont abouti à la mise en place des instruments internationaux. Et des engagements ont été pris par tous les Etats, y compris le Mali, de faire en sorte que des normes minimales puissent être dégagées et accordées aux magistrats pour leurs permettre de bien accomplir leurs missions. On parle très souvent de l’indépendance du pouvoir judiciaire, qui est avant tout dans l’intérêt du justiciable, du peuple. L’aspect économique est essentiellement dans cette indépendance due au pouvoir judiciaire. Dans notre espace, le Mali se classe au troisième rang, au point de vue macroéconomique. Il est donc incompréhensible que le Mali soit incapable d’accorder à ses magistrats, moins de la moitié de ce que des pays moins nantis offrent à leurs juges. Cela dénote de la mauvaise foi et une façon de mettre constamment les juges en déphasage et en désaccord avec le peuple. Cela ne peut pas du tout continuer. Avec tous les arguments, on a démontré que nos revendications sont fondées. Le gouvernement a lui-même reconnu que toutes nos revendications sont légitimes. Mais le côté méprisant, c’est de ne pas faire la moindre proposition ou contrepropositions. Lorsqu’on dit que les actions de l’interlocuteur sont justifiées, il n’y pas de raison qu’on soit incapable de faire la moindre proposition. Surtout qu’ils (ndlr, les gouvernants) disent que le Mali se porte bien économiquement. Le pays ne peut pas se porter bien économique et que cela ne puisse pas avoir des répercussions sur la justice. Cette santé économique ne doit pas profiter qu’aux seuls membres du gouvernement, elle doit profiter à tous. Surtout que nous n’avons demandé que le strict minimum. Dans les pays d’à côté, le salaire du magistrat débutant double celui du magistrat en fin de carrière au Mali. Pourtant, nous évoluons dans le même espace. Notre pays est en déphasage même avec sa propre constitution, qui demande à ce que les magistrats soient mis dans les conditions leurs permettant de faire efficacement face à leurs missions. On n’a fait des études comparatives. Résultat : tous les autres pays ont des efforts pour que leur justice puisse être dans de meilleures conditions de travail.
Voici ce qui nous apposé au gouvernement. On a fait une première grève de 3 jours, sans résultat. Dans le préavis de cette grève, on avait clairement dit au gouvernement qu’en cas d’insatisfaction, que la grève allait être reconduite pour une période de 7 jours ouvrables. Le gouvernement n’a toujours pas agi. Conséquence : on a déclenché la grève. Dans notre entendement, la voie du dialogue devait aussitôt s’établir. Mais on a attendu 5 jours durant, le gouvernement n’a pas réagi. Ce comportement n’est que le mépris, une banalisation de notre mouvement syndical. Il fallait durcir le ton. Ainsi, on a décidé à l’unanimité, lors de l’assemblée générale d’hier (ndlr : lundi 16 janvier 2017) que cette grève soit reconduite et convertie en une grève illimitée jusqu’à ce que nos légitimes revendications soient satisfaites.

Mesurez-vous la portée (les conséquences) d’une telle décision sur la vie des usagers et les justiciables d’une part et sur l’économie nationale d’autre part?
Nous mesurons toutes les souffrances des justiciables qui sont nos frères, nos parents… Mais, tous ces désagréments incombent carrément au gouvernement qui en est le seul responsable. Si nous avons tout fait pour éviter des situations de grève, c’est parce qu’on a pensé aux usagers. Mais ces derniers aussi attendent de nous des décisions acceptables, des décisions dans lesquelles ils peuvent se reconnaitre. Or, nos conditions de vie et de travail ne nous permettent pas aujourd’hui de faire efficacement face aux besoins de ces justiciables.
Chacun y trouvera son compte, si ce que les magistrats demandent est accordé. En premier, les justiciables. Notre satisfaction ne vienne que lorsqu’eux ils sont satisfaits. Nous sommes tous des Maliens. Et aucun Malien ne souhaite qu’on dise qu’il travaille mal.
Naturellement, ce mouvement a des répercutions sur le plan économique. Cela est indéniable. À ce niveau également, le gouvernement en ait le seul responsable. À l’heure du bilan, chacun devra répondre devant le peuple de ses actes. Et les magistrats auront les arguments pour dire au peuple que nous n’avions autre choix que d’aller à cette grève qui nous a été imposée par le gouvernement.

Quelles sont vos principales revendications, notamment les points de blocage?
Il n’y a eu aucun point d’accord. Tout est point de blocage. On a d’abord demandé que nos salaires soient revus, comme cela a été fait partout à travers le monde. Le gouvernement n’a pas bougé d’un iota. Nous avons demandé des indemnités signifiantes de judicature. Les indemnités de judicature, comme leurs noms l’indiquent, sont liées à la fonction de juge. Savez-vous ? Ce que le juge fait de visible, dans les bureaux, n’est que le quart du travail qu’il accompli à domicile. Le fait de juger demander notamment beaucoup de réflexion qui ne peut se faire que dans la tranquillité. Rédaction des réquisitoires, des ordonnances…tout cela se fait à la maison. C’est donc des nuits blanches que les juges passent pour pouvoir sortir des décisions.
Toutes les fonctions du juge font qu’il a droit à des indemnités. Celles accordées aux juges maliens restent les plus basses au monde. Dans les autres pays, les indemnités de judicature font le double, sinon le triple de celles accordées au Mali. Au Burkina Faso, un magistrat débutant n’a pas moins de 750000 francs CFA comme indemnité de judicature. Au Sénégal, c’est dans l’ordre de 800000 également pour un magistrat débutant. Ici, au Mali, le débutant à 200000 CFA, et un magistrat en fin de carrière gagne 250000 CFA comme indemnité de judicature. Il y a un déséquilibre total.
Que dire des indemnités de logement ? Dans les engagements pris par le Mali à l’endroit des juges, l’Etat a l’obligation de loger les magistrats de façon décente, à défaut il doit leurs verser des indemnités suffisantes pour pouvoir se loger. À l’heure où je vous parle, l’indemnité de logement accordée à un magistrat malien est 50000. Ce montant comprend le logement, l’électricité et l’eau. Un tel montant est très insignifiant pour permettre à un magistrat de se loger décemment. Il ne s’agit donc pas de donner des miettes à des gens, pour dire que l’Etat a trop fait pour un corps en oubliant les autres. Alors qu’au Sénégal l’indemnité de logement fait 400000 CFA pour le jeune magistrat, contre 1 million pour le magistrat de la Cour suprême. Le décalage est patent.
Et quand nous partons dans des rencontres internationales, il appartient aux magistrats de se loger. Les autres pays soutiennent leurs magistrats. Mais le nôtre ne participe à rien, si bien qu’on ne peut pas être logé dans les mêmes hôtels que nos confrères. Tout cela justifie qu’on ait demandé à l’Etat de voir ce qu’il faut faire.
On a aussi demandé le passeport diplomatique pour les magistrats de la Cour suprême, les premiers présidents de Cours d’appels et le directeur de l’Institut de formation judiciaire. Ce n’est pas pour le luxe. Lorsque les magistrats de la Cour suprême partent dans des rencontres internationales, avec d’autres pays, c’est l’humiliation totale, la désolation pour le Mali. Les autres magistrats des cours suprêmes sont directement conduis dans les salons d’honneur, sur la base du passeport diplomatique. Mais pour que les magistrats maliens puissent y avoir accès, c’est toutes sortes d’arrangement, de négociation entre les organisateurs et les services de police. Cela n’est pas à l’honneur d’un Etat tel que le Mali qui a un peuple d’honneur. C’est inacceptable que nous essuyons, à chaque, fois de telle honte sur la scène internationale.
Sous d’autres cieux, mêmes les membres des Cours de cassation ont chacun un passeport diplomatique. Naturellement, une Cour suprême est au-dessus d’une Cour de cassation.
Dans les institutions maliennes qui ont le même niveau que la Cour suprême, chaque membre a son passeport diplomatique. Il n’y a pas aujourd’hui de député à l’Assemblée nationale qui n’a pas son passeport diplomatique. Il n’y a pas un seul ministre qui n’a pas aussi son passeport. Mais, ces gens, du point de vue rang, ne viennent pas avant les magistrats de la Cour suprême. De tel traitement ne doit pas être encouragé dans un Etat respectueux des principes de séparation de pouvoir. On a aussi demandé des passeports de service pour les autres magistrats. C’est de droit. Quand un magistrat Malien est tout de suite invité à une rencontre internationale dans un pays européen, il ne pourra pas y participer. Le temps de remplir les formalités pour le visa, il serait déjà en retard. Parce qu’on ne peut pas faire de note verbale au niveau du ministère des affaires étrangère avec un passeport ordinaire. C’est la raison pour laquelle nous avons demandé un passeport de service pour tous les magistrats. On demande ces passeports pour certaines commodités, pour éviter des situations de désagrément.
Nos revendications n’ont pas concerné que les aspects d’argent. Nous avons aussi demandé que le conseil supérieur de la magistrature, qui est l’organe de veille, soit revu. Mais, ça n’a pas fait l’objet d’accord. Alors que c’est un organe qui permet d’assurer la discipline des magistrats.

On vous qualifie d’«enfants gâtés » de la République. Mais vous revendiquez encore toujours plus. Le peuple ne comprend pas.
Je comprends parfaitement leur position et je la respecte. Ce qui a manqué, ce sont les explications. Que le peuple comprenne que le magistrat bénéficie d’un statut autonome qui est lié à la nature même de juger. Et ce statut autonome exige des avantages spéciaux, dérogatoire du statut général de la fonction publique. Lorsqu’on se cantonne à faire des comparaisons de façon mécanique, on dirait que le magistrat est l’enfant le plus gâté de la République. Loin de là. Il ne s’agit pas de prendre un membre de tel corps et de le confronter au juge. Le juge doit plutôt être comparé à des gens qui se situent à d’autres pouvoirs, par exemple les députés. C’est vrai notre pays a eu le luxe de fonctionnariser la profession de parlementaires. Et quand on fonctionnarisait les députés au Mali, ce sont les magistrats qui ont servi de repères. Ainsi, ils ont été alignés sur les juges. Mais aujourd’hui, le traitement d’un député peut payer combien de magistrats? Pour vous dire que nous ne sommes pas les enfants gâtés de la République. Personnellement, je suis magistrat de la Cour suprême. À ma qualité d’avocat général, ce que j’ai comme carburant, quand on fait la division, revient à moins de deux litres d’essence par jour. Quel service peut-on rendre avec une telle quantité de carburant. Et comparé cela à la part réservée à un membre du gouvernement ou un député. À la limite, c’est le mépris. On ne peut pas comprendre que le gouvernement ne puisse pas ouvrir les yeux pour voir la réalité. Aussi, le gouvernement, n’étant pas le propriétaire des fonds publics, n’a pas à se confondre au peuple. Il est tout juste le gestionnaire, le gardien. Les biens doivent être utilisés de façon équitable. À la limite, nous voyons une complicité entre le gouvernement et les députés qui ne font que se servir. Et à la longue, ça va nous amener à parler. Pourquoi le gouvernement ne veut pas mettre les magistrats dans les conditions ? La raison est très claire. C’est pour que les juges ne soient jamais efficaces dans la lutte contre la corruption. Les grands corrupteurs, c’est au niveau de l’exécutif. Tous ces détournements de fonds publics, c’est au niveau de l’exécutif. Et quand la justice est saisie de ces affaires, ça se termine en queue de poisson. Certains pensent que la faille se trouve au niveau de la justice. Pas du tout. C’est parce que la justice n’a pas de moyens d’investigation. Dès fois, nous avons besoin de faire des déplacements. On ne peut pas les faire à nos frais. C’est pourquoi nous avons demandé à ce que les moyens puissent être mis à la disposition des juges pour les permettre d’être efficaces. Ça y va notre crédibilité.

Qu’envisagez-vous au cas où le gouvernement ne cèderait pas, malgré cette pression ?
Le gouvernement ne peut rester sur sa position, parce que nous allons utiliser tous les moyens, aussi bien à l’interne que sur le plan international. D’ailleurs, nous sommes en train de préparer une résolution contre le gouvernement du Mali par rapport à sa violation totale des dispositions constitutionnelles, par rapport à son non-respect des engagements internationaux et sur l’indépendance du pouvoir judiciaire. Le gouvernement ne peut pas signer au plan international des engagements et refuser de les honorer. Cela est inacceptable. Ce qui est sûr, nous allons nous trouver devant la scène internationale, si le gouvernement ne devenait pas objectif dans le traitement de nos revendications. Nous avons avoir les arguments, les moyens intellectuels et juridiques pour faire fléchir la position inacceptable du gouvernement.

Un message à l’endroit des magistrats et le peuple malien ?
Que le peuple comprenne que les magistrats sont des hommes et des femmes responsables, objectifs. Et nous savons que le peuple malien est un peuple qui comprend, qui est digne d’honneur et de considération. Lorsque les Maliens optaient pour la voie démocratique, c’était en toute connaissance de cause. Aujourd’hui, cette démocratie est en mal du fait du gouvernement qui viole tous les principes prévus par la constitution malienne et refuse d’honorer les engagements internationaux pris par le Mali.
Tous les travailleurs du pays souffrent. Mais, je ne peux pas parler au nom des autres corporations. Il faut que les gens soient solidaires. Les autres pourraient d’ailleurs prendre notre exemple pour présenter des doléances objectives et qui seront soutenus au moment opportun. Les magistrats, de tout temps, ont toujours soutenu les revendications légitimes de toutes les catégories de profession, sans exception. Les traitements au Mali doivent être revus, en vue de permettre aux travailleurs de vivre dignement. Le salaire doit permettre à tout travailleur de vivre, et non pour entretenir la précarité.
Nous comptons sur la compréhension du peuple qui est aujourd’hui pénalisé par cette rupture dans la distribution de la justice. Cela est indépendant de notre volonté. Et tous les désagréments incombent au seul gouvernement de la République du Mali.
Propos recueillis par Issa B Dembélé
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