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Gouvernance au Mali: Une Administration Erigée en Mafia
Publié le mardi 24 janvier 2017  |  Le Républicain
Conférence
© aBamako.com par mouhamar
Conférence de presse du Ministre de la Réconciliation Nationale et du Développement des Régions du Nord
Bamako, le 11 février 2014 (cité administrative). suite aux événements tragiques du jeudi 6 février 2014 dans la localité de Djébook dans la région de Gao, le Ministre de la Réconciliation Nationale et du Développement des Régions du Nord, M.Cheick Oumar Diarrah a donné une conférence de presse, ce soir au sein de son département.
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- Une dérive inquiétante pour le Mali

L’administration malienne coûte cher au contribuable. Plus de la moitié du budget de l’Etat est consacré au payement des salaires et au fonctionnement de l’administration –bâtiments, parc automobile, télécommunication, déplacements, consommables, etc. Pour chaque franc investi (en infrastructures de base, routes, écoles, etc.), l’état dépense 1,37 franc supplémentaire rien que dans l’administration. De 2010 à 2017, le budget malien a plus que doublé – passant de 1101 milliards FCFA à 2270 milliards FCFA, soit 106% d’augmentation– sans grand impact sur les secteurs vitaux comme éducation et la santé, ou encore l’efficacité des services administratifs. L’impact aurait dû être positif, vu que la croissance démographique n’a été que de 23,1% sur la même période – la population passant à 18,6 millions d’habitants. L’administration malienne est très improductive, mais pire, même les fonds alloués aux investissements disparaissent ou sont utilisées à d’autres fins. Une véritable mafia s’est mise en place pour faciliter l’enrichissement de certains par la fraude et le vol.

Frauder pour s’enrichir
L’état est pauvre, aime-t-on répéter, mais l’administration ne se prive pas. Les rapports du Bureau du Vérificateur Général (BVG) sont assez éloquents ; Dans son rapport de 2007, le BVG avait épinglé le ministère de l'habitat et de l'urbanisme sur des dépenses « alimentaires »; voici un passage de son rapport (page 37) :
La moyenne annuelle des « dépenses en alimentation » s’élève à 34 000 000 de FCFA. S’y ajoutent 500 000 FCFA pour l’acquisition de savon, d’huile et d’ustensiles de cuisine, l’achat de 2 645 boîtes de lait « Nido », et près de 3 millions de F CFA pour l’achat de 141 sacs de sucre. Il s’ensuit que les « dépenses d’alimentation » du département sont excessives.
Il est difficile de concevoir un rapport entre l’huile de cuisine et l’urbanisme ; faut-il rappeler que ces 34 millions FCFA pourraient être utiles dans le service de pédiatrie de l’Hôpital Gabriel Touré ? L’image est pathétique ; des fonctionnaires se gavant de lait « Nido » alors que des enfants meurent de malnutrition !

La fraude n’a même plus « froid aux yeux ». Dans son rapport de 2012, le BVG disait ceci à propos du ministère des mines (page 81) :
L’analyse quantitative des acquisitions de consommables au regard des besoins démontre que tous les achats ne sont pas justifiés. A titre d’exemple, la DFM [note : Direction des Finances et du Matériel] a acheté 813 cartouches d’encre pour imprimante, toutes marques confondues, pour 52,29 millions de francs CFA hors taxe sur 9 mois alors qu’elle ne dispose que d’un parc de 23 imprimantes, en majorité de type HP 2055. La quantité ainsi dégagée correspond à une consommation moyenne de quatre cartouches par imprimante et par mois. De plus, des cartouches d’encre ainsi payées ont des caractéristiques techniques ne correspondant pas aux imprimantes disponibles au niveau de la DFM.

Les nombreux rapports du BVG se suivent et se ressemblent mais restent généralement sans suite ; tout le monde accuse tout le monde, rejetant la responsabilité sur autrui ; le pouvoir exécutif accuse la justice de lenteur, la justice se défend et accuse l’exécutif ou même le BVG. Pendant ce temps, la fraude et la corruption continuent à grande échelle. Et le tissu sociétal est touché au plus profond, au point ou rien ne choque. Même au plus haut sommet de l’Etat.

Alors qu’un journaliste lui demandait s’il était normal que la famille du premier ministre Modibo Keita reçoive des logements sociaux – un programme prévu pour faciliter l’accès au logement aux ménages à revenu faible et intermédiaire– le président Ibrahim Boubacar Keita acquiesça. Le premier ministre, après de bons, loyaux et honnêtes services comme fonctionnaire de l’administration méritait bien ce « cadeau » (en tout 6 villas, pour sa femme et 5 enfants). Avant IBK, le président Amadou Toumani Touré aurait dit qu’il fallait faire attention « à ne pas gâter le nom » des fonctionnaires épinglés par les rapports du BVG.

L’ubiquité de la fraude lui confère un tout autre sens dans la gestion du bien public. Le citoyen lambda l’accepte comme norme ; la justice s’en occupe très rarement, même quand l’abus dépasse la « norme ».Mais le cas de l’agence de régulation des télécommunications mérite d’être évoqué et expliqué.

L’AMRTP et la fraude à ciel ouvert
L’Autorité Malienne de Régulation des Télécommunications et Poste(AMRTP) est chargée de gérer et règlementer la télécommunication au Mali. Elle assure l’application de la politique du gouvernement, garantit la concurrence loyale entre les opérateurs et protège l’intérêt des utilisateurs. Elle jouit également d’une autonomie financière et ses ressources proviennent (essentiellement) d’une taxe de 2% sur le chiffre d’affaires des opérateurs télécom. Et cela fait beaucoup d’argent – près de 46 milliards FCFA se trouvaient dans les caisses de l’AMRTP à la fin de l’année 2015. Et comme on est au Mali, cela crée beaucoup de convoitises.

En 2008, Choguel Kokalla Maiga est nommé directeur général de l’AMRTP (alors connue comme Comité de Régulation des télécommunications) ; selon sa biographie officielle, Choguel Maiga est titulaire d’un doctorat d’Etat en télécommunications ; il a été ministre de l’industrie et du commerce entre 2002 et 2007 et dirige le parti MPR (Mouvement patriotique pour le renouveau). Le 10 Janvier 2015, Dr. Maiga revient au gouvernement comme ministre de l’économie numérique, de l'information et de la communication, et aucun remplaçant n’est nommé à l’AMRTP. Il cumule alors les deux postes et dirige de fait ces services de l’état jusqu’à son limogeage du gouvernement le 7 Juillet 2016.

Courant Juin 2016, l’AMRTP reçoit une mission du Contrôle Général des Services Publics– un des nombreux organes en charge de déceler les irrégularités de gestion et le non-respect des procédures financières. Les contrôleurs finalisent leur rapport le 21 Juin 2016. Ce document, dont nous avons obtenu une copie, expose des éléments d’abus des biens de l’Etat et d’enrichissement illicite couvrant la période 2012 à 2015.

Abus des biens de l’Etat
Les revenus de l’AMRTP sont partagés entre un budget de fonctionnement et le Fonds d’Accès Universel (FAU) dont le but principal est de créer un service minimal (téléphonie, Internet, etc.) accessible à tous les Maliens (à un prix abordable). Les excédents du budget de fonctionnement sont également reversés dans le FAU.Le rapport épingle plusieurs dépenses difficiles à justifier pour une autorité de régulation; voici quelques exemples:
• Organisation d’une colonie de vacances à l’étranger pour les enfants du personnel de l’AMRTP ; coût : 494 035 707 FCFA
• Achat de 227 tablettes iPad, 80 téléphones iPhone et 100 ordinateurs pour les ministres, les services de la présidence et de l’assemblée nationale, les fonctionnaires de l’AMRTP, ainsi que d’autres services administratifs ; coût : 468 169 000 FCFA
• Frais de communication des membres du conseil d’administration de l’AMRTP ; coût : 28 100 000 FCFA
• Cumul de salaire et émoluments du poste de directeur général par le ministre Maiga ; coût : 86 272 390 FCFA – Dr Maiga aurait, dit-on, remboursé cette somme. En cumulant les deux fonctions, Dr Maiga (le ministre) était de fait le supérieur du Dr Maiga (le directeur général)

Comment expliquer une dépense de 500 millions FCFA pour des vacances d’enfants dans un pays où 43% de la population vit dans le dénuement total, et où près de 2000 personnes meurent de paludisme chaque année parce qu’elles n’ont pas 500 FCFA pour la dose de maloxine ? Seuls les responsables de l’AMRTP pourraient donner une explication. En tout c’est 1 076 577 097 FCFA du contribuable que les responsables de l’autorité ont dépensé sans justification et en toute illégalité. En outre, entre 2012 et 2015, l’AMRTP a passé 108 marchés et contrats totalisant 8 706 947 247 FCFA ; certains contrats ont été payés avant livraison, d‘autres n’ont jamais été déclarés (ou partiellement déclarés) aux services des impôts. En tout, les contrôleurs ont relevé 18 manquements aux principes de gestion saine.

Quand le DG Maiga paye le ministre Maiga
En cumulant les deux fonctions, Dr Maiga (le ministre) était de fait le supérieur du Dr Maiga (le directeur général) ; et en mars 2015, le ministre Maiga décide de lancer un appel à candidature pour remplacer le DG Maiga. Quand la commission de dépouillement est mise en place, le nom du Dr Maiga n’y figure pas ; 7 membres sont nommés (décision n°2015-023/MENIC-SG du 1er avril 2015) et l’AMRTP octroie 12 millions FCFA sur ses comptes pour couvrir les frais de la commission ; le chèque est signé par Dr Maiga lui-même (en sa qualité de directeur général de l’AMRTP). Le 3 Avril 2015 – soit 2 jours après la mise en place de la commission – le secrétaire général du ministère de l’économie numérique, Mamadou Hady Traoré (lui-même président de la commission), octroie à son ministre 4 millions FCFA pour 8 jours de futurs travaux en tant que « superviseur » de la commission.

De fait, Dr Maiga (le DG) a payé son supérieur hiérarchique, Dr Maiga (le ministre), 500 000 FCFA par jour – soit 500 fois le salaire minimum garanti par l’Etat. Pour un travail qui n’avait absolument aucune raison d’exister et qui en toute vraisemblance était fictif.

Fraude Bancaire ?
Au moment où le rapport des contrôleurs a été établi, l’AMRTP possédait18 comptes courants et 12 comptes dits « dépôt à termes » (DAT) ; un DAT est un placement sur une période fixe qui génère des intérêts plus ou moins importants en fonction de la durée et du montant placé. Il est considéré comme sans-risque et selon des experts que nous avons contactés les taux pratiqués sont basés sur le taux de placement interbancaire, le taux de refinancement de la banque centrale (BCEAO) ou le taux d’intérêt des bons du Trésor.

Durant toute l’année 2015 le taux de prêt interbancaire (sur 12 mois) a fluctué entre 3,78% et 6%.Et une enquête menée auprès de plusieurs banques à Bamako sur leurs taux de DAT donne une fourchette comprise entre 4,5% et 5,5% pour un dépôt d’un milliard FCFA sur 12 mois. Donc, au-delà de la taxe perçue sur les activités des opérateurs télécom, l’AMRTP devrait engranger d’énormes revenus sur les intérêts de ses comptes DAT. Pourtant, en 2015, le taux moyen que l’AMRTP a perçu sur ses comptes DAT dépasse à peine 2% – les intérêts perçus ne s’élèvent qu’à 914 millions FCFA, soit un taux de 2,13%– moins qu’un simple compte d’épargne.

Pourquoi l’AMRTP perçoit aussi peu d’argent sur ses comptes DAT ? Le rapport des contrôleurs ne dit rien sur cette incongruité. Et il est difficile de répondre à cette question sans avoir le détail des accords signés avec les banques. Selon des informations que nous avons pu corroborer, certains banquiers reverseraient des fonds « hors-circuits » aux responsables d’entreprise contre un taux en-dessous de la « normale »; est-ce le cas pour l’AMRTP ? Un simple contrôle diligenté auprès des banques et/ou de l’AMRTP lèverait le voile sur cette question. En tout cas, le manque à gagner pour l’AMRTP est assez important ; il pourrait s’élever à plus de 1,4 milliard FCFA pour la seule année 2015. Le tableau suivant montre une simulation à plusieurs taux, le montant que l’AMRTP aurait perçu, ainsi que le manque à gagner.

Taux d’Intérêt Montant Perçu Manque à gagner
2,13%* 914 587 573 CFA 0 CFA
4.00% 1 720 954 317 CFA 806 366 744 CFA
4,50% 1 936 073 606 CFA 1 021 486 033 CFA
5,00% 2 151 192 896 CFA 1 236 605 323 CFA
5,50% 2 366 312 186 CFA 1 451 724 613 CFA
* Taux moyen perçu par l’AMRTP

Le rapport des contrôleurs fait état du nombre anormalement élevé de comptes ouverts par l’AMRTP et y voit un « risque de non-maîtrise du mouvement des ressources ». Il pourrait tout simplement s’agir d’un subterfuge tentant à masquer le manque de « performance » que nous pensons être délibérés.

Quand le Dr. Choguel Maiga nomme Mr. Choguel Maiga…
Rien ne choque à l’AMRTP ; ce qui suit est encore une autre bizarrerie. Choguel Maiga n’est pas reconduit lors du remaniement ministériel de Juillet 2016 ; il est également limogé de son poste de directeur général de l’AMRTP par un décret du président Ibrahim Boubacar Keita. Le décret (n°2016-0660/P-RM du 31 Août 2016) du président met fin aux fonctions du Dr Maiga à l’AMRTP avec effet rétroactif au 10 Janvier 2015.Si la légalité de la rétroactivité n’est pas contestée, alors tous les actes signés par Choguel Maiga (en tant que DG de l’AMRTP) de Janvier 2015 à Août 2016 sont nuls et illégaux. Cela pourrait poser beaucoup de problèmes administratifs et juridiques. Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

Après ce limogeage rétroactif, Choguel Maiga se retrouve alors sans job, mais n’a pas dit son dernier mot ; il procède tout simplement à sa propre nomination comme « Chef de Département » le 23 Septembre 2016, soit 3 semaines après sa révocation comme DG de l’AMRTP. La décision 16-0076/AMRTP/DG, signé par lui-même, lit comme suit :
Monsieur Choguel Kokalla Maiga, Directeur Général sortant de l’AMRTP, réintégrant l’effectif du personnel permanent de l’AMRTP, est classé à la catégorie A16 et bénéficie des avantages d’un Chef de Département.

C’est du jamais vu. On assiste de fait à un manquement aux principes de fonctionnement d’une administration saine ; un président qui « oublie » d’abroger un décret, une primature qui laisse faire malgré l’appel à candidature lancé en mars 2015 pour remplacer le siège « vacant » à l’AMRTP, et surtout un haut-fonctionnaire qui perçoit deux salaires (et autres avantages)et finit par se nommer lui-même à un poste de responsabilité. Et il a fallu 19 mois pour que l’administration corrige cette anomalie. Avec un décret dont la légalité pourrait être mise en doute. Tout se passe comme dans un monde à l’envers. La légèreté est déconcertante et ne va pas sans rappeler le défaut de payement de la quote-part du Mali aux Nations-Unies.

Une administration érigée en mafia
Il suffit de lire les rapports des différentes structures de contrôle ; l’Etat malien est pillé de maintes manières – les euphémismes comme irrégularités, erreurs de gestion, écart de chiffres, non-collecte de redevances, non-fiabilité des chiffres, etc., ne ramènent qu’à une seule chose : un système frauduleux entretenu pour enrichir certains fonctionnaires aux dépends de l’Etat.

Les incompétents sont nommés sciemment pour faciliter la fraude et promouvoir le système mafieux. Et l’audace de certains fonctionnaires ne connait aucune limite ; assurément la palme revient à des agents du ministère des mines, non pas par le montant de la fraude mais par la témérité et le sang-froid affichés (page 89, rapport BVG 2012) :
En ce qui concerne les véhicules, il se trouve des fiches d’entretien qui indiquent, par exemple, que pour une seule et même réparation : plus de 150 pièces ont été́ installées sur un véhicule ; 3 pare-brise avant, 3 filtres à huile, 3 filtres à air, 3 filtres à gasoil, 4 amortisseurs avant et 4 amortisseurs arrière ont été́ installés sur un véhicule ; 2 pare-brise, 4 amortisseurs avant, 4 amortisseurs arrière, 2 radiateurs, 4 jeux de pattes-moteur, 4 pattes-moteur, 4 pompes d’alimentation et 6 phares ont été́ installés sur un autre véhicule. De telles énonciations étaient devenues courantes et habituelles.

Cela peut faire sourire, mais c’est le nœud du problème. Le vol est organisé et ordonnancé non pas pour échapper aux autorités de contrôle – puisque la punition n’est jamais à l’horizon – mais dans le but de soutirer le maximum d’argent aux comptes. Dans son rapport de 2014 – le dernier à être publié – le BVG a effectué plusieurs contrôles dont les exemples qui suivent.

À l’Autorité́ Routière, c’est quasiment 11,8 milliards de FCFA qui ont simplement disparus, dont presque 4 milliards subtilisés par un seul individu (page 106) :
Il résulte des travaux que, sur un montant total de 7,86 milliards de FCFA recouvré au titre de la RUR [Note : Redevance d’Usage Routier] sur les produits pétroliers de quatre relevés de recettes, le Receveur du Trésor auprès du BNPP [Note : Bureau National des Produits Pétroliers] n’a pas reversé à l’AR [Note : Autorité Routière] un montant de 3,96 milliards de FCFA. Il n’a fourni aucun document justifiant ces manquants sur versement.

En fait, partout où passe l’argent du contribuable, se trouve un fonctionnaire qui se sert allégrement. Ce sont 667 millions FCFA qui disparaissent à l’Office de la Haute Vallée du Niger, dont 183 millions volés par le responsable de la commercialisation (page 118) :
Des Chefs SDR [Note : Secteur de Développement Rural] n’ont pas justifié des montants perçus de 63,77millions de FCFA destinés aux coopératives. Le Chef de la Section Commercialisation n’a pas justifié des demandes de fonds d’un montant total de 182,99 millions de FCFA par des états de paiement, au titre de la commercialisation du sésame.

Au Centre Hospitalier Universitaire Gabriel Touré, la période que couvre le rapport 2014 du BVG coïncide avec une rupture du stock de films radiologiques que la presse avait alors évoqué ; pendant 2 semaines (du 20 Septembre au 3 Octobre 2013), les patients du HGT n’avait simplement pas accès au service radiologique pour manque de film. La réalité découverte par le BVG est carrément d’ordre criminel ; les films manquaient mais pour une toute autre raison ; ils ont simplement été détournés par les responsables de la radiologie (page 125) :
Le Chef de service de la radiologie n’a pas justifié l’utilisation de films radiologiques de 114,80 millions de FCFA. En effet, il a réceptionné 185 000 unités de film numérique AGFA toutes dimensions confondues, alors qu’il n’a pu justifier que l’utilisation de 156 300 films pour les exercices 2010, 2011 et 2013. Il en résulte une différence de 28 700 films non justifiés, valorisée à 114,80 millions de FCFA.

Au total 1,4 milliard FCFA ont été subtilisés des comptes de l’hôpital sur la période ; pour rappel cette somme représente les budgets combinés de l’hôpital de Ségou (Hôpital Nianankoro Fomba) et celui de Kayes (Hôpital Fousseyni Daou) tels qu’alloués dans le budget de l’Etat en 2016. Encore aujourd’hui la presse accuse la direction de l’hôpital Gabriel Touré d’avoir passé un marché gré-à-gré pour l’achat d’un scanner qui ne répondait aux normes souhaitées par les médecins et qui tombe en panne fréquemment.

Ces pratiques, comme souligné plus haut, sont omniprésentes même où on s’y attend le moins. Par exemple, au Centre International de Conférence de Bamako(CICB) – qui l’aurait cru – le contribuable a perdu presque 995 millions FCFA ; le comptable s’était tout bonnement érigé en guichetier bancaire pour le ministère de la culture dont les agents se servaient gaiement en liquide et sans inquiétude (page 131):
L’Agent comptable [du CICB] a procédé à̀ une annulation non justifiée de prêts et avances de fonds. Il a soustrait du rapport financier de 2012, sans justification, un montant total de 107,92 millions de FCFA accordé à̀ titre de prêts et avances de fonds aux agents du Ministère chargé de la Culture.

Quel avenir pour le Mali…
Cet article est consacré en grande partie à l’AMRTP ; selon nos estimations le contribuable malien y a perdu au moins 2,5 milliards FCFA et personne n’a été inquiété. Ce n’est malheureusement pas un cas isolé ; tous les services publics et parapublics sont concernés –sans risque de se tromper, on peut affirmer que la quasi-totalité des achats effectués par l’Etat malien est frauduleux. L’idée récente de créer une centrale unique d’achat public n’y changera pas grand-chose ; la fraude se déplacera tout simplement. Le problème est la nature même de la fonction publique au Mali. Les incompétents sont nommés à des postes stratégiques et névralgiques non par népotisme mais pour perdurer l’anarchie et faciliter la fraude.

Les fonctionnaires honnêtes ne restent jamais longtemps aux postes de responsabilité. Tous les maliens sont victimes de cette situation, qui n’est que l’œuvre de quelques milliers de nos concitoyens ; des fonctionnaires qui n’ont pas compris qu’un Mali mieux dirigé bénéficiera à tous, eux y compris. Le scanner de l’Hôpital Gabriel Touré qui ne fonctionne pas affecte tout le monde ;la voiture qui pollue mais passe l’inspection technique contribue aux ennuis pulmonaires de tout le monde ; la route mal-faite accroit le coût du transport et le prix de la tomate pour tous ; le système éducatif miné par la corruption grève la croissance économique ; tout le monde est victime. Le préjudice n’est pas simplement financier ; nous assistons à une dénaturalisation de la société où l’anormal est devenu la norme.

Les 2270 milliards FCFA du budget 2017 de l’Etat malien mettent le Mali en peloton de tête dans la zone UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine) – seuls la Côte d’Ivoire et le Sénégal ont un budget plus important. Pourtant, tout manque au Mali ; le Malien paye toute sorte d’impôts et de taxes – tout simplement pour faire vivre une administration qui ne la sert pas. Peut-on vraiment dire qu’on vit mieux en 2017 qu’en 2010 ? Pourtant le budget de l’Etat n’était que 1101 milliards FCFA en 2010 ; on pourrait diviser nos impôts par deux, revenir au niveau 2010 et tous les Maliens seraient soulagés – la TVA passerait à 9% au lieu de 18% ; tout le monde vivrait mieux, sauf l’administration qui s’est habitué à vivre chichement sur le dos du paysan de Diapaga ; véhicules, téléphones, et même colonies de vacances pour leurs enfants. Le contribuable est le dindon de la farce.

Par A. Karim Sylla
MaliLink Investigative Reporting Group
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