secteur est en plein essor mais du fait de son inorganisation et du manque de visibilité, il n’est pas perçu comme activité économique porteuse, créatrice d’emplois et de richesse.
Younoussa Traoré est exportateur de peaux et cuir depuis qu’il est tout petit. Il a appris le métier aux côtés de son père qui est toujours en activité. Pour donner un nouvel essor à son activité, Younoussa veut passer de l’informel au formel pour être un professionnel confirmé du secteur. Pour cela, il a transformé son petit commerce en un établissement agréé. « Je n’ai pas toute la paperasse, mais les procédures sont en cours et, très bientôt, j’aurai une véritable entreprise d’exportation de peaux et de cuir », nous a-t-il confié, au cours d’un entretien qu’il nous a accordé sous son hangar, à Faladié, à côté de la Direction générale des douanes. Selon lui, quand les affaires marchent, lui et ses partenaires nigérians peuvent convoyer 80 camions de 40 tonnes par an, pour un chiffre d’affaires estimé à plusieurs centaines de millions de Fcfa. Mais actuellement, avec le renchérissement du cours du dollar, qui impacte sur la monnaie nigériane, la Naïra, qui a même été dévalué dans la foulée, coïncidant également avec les fins d’année, les affaires se sont, quelque peu, affaissées. Par exemple en temps normal, le chargement d’un camion ne dépasse guère deux jours, mais actuellement, il faut plusieurs semaines pour boucler une cargaison. Ce n’est pas la marchandise qui manque, mais les acheteurs nigérians. C’est la preuve que les affaires tournent au ralenti. Le rythme du trafic a beaucoup baissé. Quand une telle situation se présente, il faut des négociants d’une surface financière assez large pour faire tourner le commerce. Cette période creuse, une fois l’an, comme c’est le cas actuellement, est connue de tous les acteurs de la filière, selon Younoussa.
C’est pourquoi, il garde l’espoir au point de continuer à formaliser son affaire pour en faire une véritable entreprise. Cette mutation traduit l’excellente santé de la filière au Mali. Selon notre interlocuteur, au-delà des aléas du marché, avec de la chance, on peut faire fortune dans la filière peaux et cuir. Au moment de notre entretien, les ouvriers qui travaillent pour son compte chargaient un camion de 40 pieds destiné à des négociants nigérians. Selon lui, le Nigéria reçoit l’essentiel de nos exportations. A côté, gravitent d’autres petits marchés, comme celui du Ghana, qu’approvisionnent certains fournisseurs maliens. Mais, en terme de volume, le Nigéria devance de loin le Ghana, selon Younoussa Traoré entouré de ses partenaires nigérians qui font la navette entre notre pays et le leur.
POUR L’ALIMENTATION ET L’INDUSTRIE – Dans ces pays, la peau, notamment bovine, est essentiellement utilisée dans l’alimentation comme un ingrédient très riche en protéine. Selon notre interlocuteur, ce sont de gros restaurants qui achètent le produit en quantité importante pour constituer des stocks pour faire des sauces au profit de leurs clients, notamment les ouvriers travaillant dans les mines et les industries de transformation. Une partie est également transformée sur place pour faire des chaussures, des ceintures, des sacs pour les femmes et autres objets usuels, etc. Le surplus est exporté en Europe (en Italie ou en Espagne) pour servir de matière première pour les industries de peaux et cuir. Par contre, les peaux des ovins et des caprins sont essentiellement destinées aux usines européennes, notamment espagnoles. Selon lui, le Nigéria dispose d’un plateau industriel assez étoffé pour acquérir d’importantes quantités de peaux de bœufs pour alimenter ses industries en matière première. Notons que les collecteurs nigérians ne se limitent pas aux seuls marchés ouest et centre africains, notamment le Mali, Mauritanie, Burkina Faso, Niger, Tchad, Cameroun, etc. Ils vont jusqu’au Soudan, Ethiopie, Somalie, etc.
Un autre acteur de la filière, notamment un technicien dans une tannerie, ayant requis l’anonymat, est allé au-delà du constat de Younoussa Traoré. Selon lui, les difficultés de la filière s’expliquent par l’austérité de l’environnement économique mondial. « Il y a trois ans, le secteur a eu beaucoup de difficultés. Du fait de la crise mondiale, nos partenaires passent très peu de commandes sans compter que les autorités maliennes qui menacent les entreprises du secteur. Les années d’avant 2012 étaient très favorables pour le secteur qui vient en troisième position après l’or et le coton. Si les affaires marchent comme cela se doit, toutes les entreprises sur place peuvent produire entre 2 et 3 conteneurs par mois. C’est-à-dire entre 60 000 et 90 000 peaux achetées auprès des fournisseurs entre 1. 500 et 8.000 Fcfa l’unité. « Toutes ces peaux exportées se vendaient comme du pain », a-t-il ajouté.
EXPORTATION DE LA MATIè RE BRUTE – Les cargaisons qui partent du Mali ne sont pas traitées. Ce sont des peaux brutes destinées à faire tourner d’autres usines ou à approvisionner le marché de consommation alimentaire. Le secteur est en constante croissance. Selon les statistiques collectées auprès du service informatique de la Direction nationale du commerce et de la concurrence (DNCC), en 2011 le Mali a exporté 5 412 319 kg pour une valeur marchande de 6 139 228 948 Fcfa. En 2012, les exportations se sont élevées à 7 661 229 kg rapportant à l’économie nationale 9 997 478 046 Fcfa. En 2013, du fait de la crise politico sécuritaire, le volume des exportations s’est quelque peu affaissé avec 6 045 398 kg pour 9 900 832 989 Fcfa. La régression s’est étendue sur les résultats de 2014 également, avec seulement 4 938 402 kg pour 6 814 773 756 Fcfa. Les chiffres de 2015 et 2016 n’ont pas encore été validés. Mais, tout porte à croire qu’avec la crise, ils ne sont pas meilleurs à ceux de 2014. Une sortie urgente de cette crise, qui n’a que trop duré, permettra à l’économie de respirer, notamment le secteur des peaux et cuir, une source importante d’approvisionnement de notre pays en devises étrangères.
Actuellement, il y a six usines qui font le pré-traitement de la peau au Mali : une à Ségou, quatre à Bamako et une à Sandaré, dans la région de Kayes. Toutes ces usines produisent du « wet-blue » (bleu humide) qui est un produit semi-fini. Pour cela, elles utilisent des produits chimiques importés d’Europe, de Chine en plus de celui acheté sur le marché local. « Il y a des négociants et collecteurs de peaux qui approvisionnent les usines en peaux. Nous avons des fournisseurs de l’intérieur du pays et même du Burkina Faso », a indiqué notre interlocuteur.
Notons qu’aucune des usines ne fait de la finition, encore moins des chaussures. Avant la privatisation des années 1990, les Nouvelles tanneries du Mali (ex TAMALI) faisaient de la finition. Il existait des ateliers de chaussures, de maroquinerie. Mais après à la privatisation, les nouveaux propriétaires ont fermé ces ateliers à cause des difficultés d’écoulement de leurs produits sur le marché local, a fortiori sur ceux de la sous-région.
BONNES RELATIONS AVEC LES CLIENTS – « Dès réception des produits, les partenaires qui prennent nos produits payent cash. Quant aux fournisseurs de peaux, nous avons avec eux des contrats. Il y a même certains que nous préfinançons », assure notre interlocuteur. En termes d’emplois créés par sa société, notre technicien se dit incapable de dire, avec précision, combien d’emplois le secteur crée. « En tous les cas, c’est beaucoup de personnes », dit-il. Les usines seules emploient beaucoup de personnes (les employés et les manœuvres journaliers) sans compter les emplois créés par les bouchers, les négociants de bétail et les éleveurs. Autour desquels, gravite toute une cohorte de personnes. « Mais en dépit de son impact sur l’économie, la filière peaux et cuir souffre d’abord de son manque d’organisation, malgré l’existence d’une fédération des professionnels de peaux et cuirs », déplore notre technicien sous le couvert de l’anonymat.
La filière souffre également du manque de visibilité. La preuve ? Lors de la Journée de l’industrialisation de l’Afrique, tenue les 19 et 20 novembre 2016, au Centre international de conférence de Bamako (CICB), sous la présidence du Premier ministre, Modibo Kéïta, toutes les unités industrielles étaient représentées, sauf les tanneries. « Pire, aucun orateur, à commencer par le Premier ministre, le président de la Chambre de commerce et d’industrie du Mali (CCIM), Youssouf Bathily, le président de l’Organisation patronale des industries (OPI), Cyril Achkar, le ministre du Développement industriel, Mohamed Aly Ag Ibrahim, n’a daigné parlé du secteur dans son discours, alors que le secteur souffre », a-t-il déploré.
Or, de son point de vue, le secteur a un avenir certain. A condition que les autorités le portent à bras le corps, comme un secteur pourvoyeur de recettes. « Mais, hélas il est perçu comme le secteur le plus polluant ». A l’en croire, la création de l’Agence nationale de gestion des stations d’épuration du Mali (ANGESEM) en a rajouté au traumatisme déjà immense. « Les tanneries ont toujours des problèmes avec les autorités en charge des questions environnementales. Alors que la plupart des usines de prétraitement disposent, en leur sein, d’une unité de traitement des eaux usées », a-t-il poursuivi. « En 2013, certaines tanneries ont été fermées, au lendemain même de la fête de Tabaski, alors qu’elles avaient acheté beaucoup de peaux. Ce sont des millions qui ont été perdus comme cela », a rappelé notre interlocuteur.