Paris, - "Otages d'Etat", enquête d'"Envoyé Spécial" diffusée jeudi soir sur France 2, révèle une série d'éléments qui accrédite pour la première fois l'hypothèse d'un lien entre les tractations menées en 2013 pour la libération des otages enlevés à Arlit (Niger) et l'assassinat de
deux journalistes de RFI quatre jours plus tard au Mali.
Les deux reporters, Ghislaine Dupont, 57 ans, et Claude Verlon, 55 ans, sont kidnappés au cours d'un reportage puis abattus près de Kidal, quelques mois après l'intervention française Serval qui a mis en déroute les jihadistes dans le nord du pays.
Leur exécution est revendiquée, dès le lendemain, par Abdelkrim le Touareg, un des principaux dirigeants d'Al-Quaïda au Maghreb islamique (Aqmi).
"L'assassinat des journalistes est le minimum de la facture que le président François Hollande et son peuple doivent payer", souligne le texte de revendication signé de sa main.
Ce même Abdelkrim le Touareg - qui sera tué par les forces spéciales françaises en mai 2015 - est aussi impliqué dans l'enlèvement de cinq Français, un Malgache et un Togolais en septembre 2010 à Arlit au Niger.
Le terme "facture" intrigue les journalistes d'Envoyé Spécial, Michel Despratx et Geoffrey Livolsi, d'autant qu'une rançon "d'au moins 30 millions d'euros" venait d'être versée, selon leur enquête, pour la libération des quatre derniers otages d'Arlit. "Cette transaction aurait-elle fait quelques
mécontents ?", s'interrogent-ils.
Au fil de leur enquête, ils décortiquent deux canaux de négociation en concurrence, animés par deux anciens de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), Jean-Marc Gadoullet, mandaté par Areva, et Pierre-Antoine Lorenzi, favorisé par Cédric Lewandowski, directeur de cabinet du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian.
"L'Etat français a laissé s'installer et se superposer différentes filières de négociateurs qui se sont fait la guerre sur la terrain. Ca enlise la négociation, cela énerve les ravisseurs, ça fait monter les enchères, ça complique le dossier", explique Michel Despratx à l'AFP.
Les reporters d'Envoyé spécial découvrent que Claude Verlon et Ghislaine Dupont enquêtaient eux aussi sur les négociations pour la libération des otages d'Arlit et les rançons versées.
Fait troublant, l'ordinateur personnel de Ghislaine Dupont resté à Paris a été piraté et sa boîte email vidée une demi-heure avant son enlèvement, dévoile Envoyé Spécial.
- Vengeance ? -
L'enquête d'Envoyé Spécial conduit à un certain nombre de documents émanant de la Direction du renseignement militaire (DRM) et de la DGSE qui font un lien entre les deux affaires.
"Baye Ag Bakabo a vivement reproché de n'avoir jamais reçu l'argent en remerciement de l'aide apportée aux équipes chargées de la garde d'otages" d'Arlit, souligne une note des services de renseignement présentée dans "Otages d'Etat", en référence au chef du commando qui a tué les deux journalistes.
"L'assassinat serait le fait d'individus agissant par vengeance", évoque un autre document de la DRM.
Selon les services français, le commando, emmené par Baye Ag Bakabo, appartenait à la "katiba" (bataillon de jihadistes) dirigée par Sidan Ag Hitta et aux ordres d'Abdelkrim le Touareg.
Ces mêmes hommes avaient participé à la garde des otages d'Arlit aux derniers jours de leur captivité au Mali. Baye Ag Bakabo est aussi le propriétaire du pickup retrouvé près des corps des journalistes de RFI.
Selon Envoyé Spécial, une partie de la rançon ne serait pas arrivée à ses destinataires. Trois millions d'euros n'ont pas été "décaissés", affirme Pierre-Antoine Lorenzi devant la caméra.
"Certaines rumeurs ont couru au Nord-Mali selon lesquelles la somme qui avait été donnée (...) était incomplète, il manquait de l'argent dedans. Cela a mis en fureur un des lieutenants d'Abou Zeid", un des chefs d'AQMI, renchérit Alain Juillet, ancien directeur du renseignement à la DGSE, dans le reportage.
Selon plusieurs sources d'Envoyé Spécial, le chef Sidan Ag Hitta aurait aussi demandé, dans le cadre des négociations d'Arlit, que ses neveux emprisonnés à Bamako pour prise d'otage soient libérés. En vain.
Interrogés par l'AFP, le cabinet de Jean-Yves Le Drian et l'état-major se sont refusés à tout commentaire, arguant de l'enquête judicaire en cours à
Paris.
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