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Tamega Ibrehima sur le sommet Afrique-France : «Ce sommet a pour but exclusif de défendre des intérêts français : le néocolonialisme, la francophonie, le FCFA, les juteux contrats pour les entreprises françaises…»
Publié le dimanche 29 janvier 2017  |  Le Reporter Mensuel
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Ancien leader estudiantin, brave et courageux pendant les années de braises de l’Association des Elèves et Etudiants du Mali (AEEM), Ibrehima Tamega est actuellement basé en France plus précisément à Angers. Il est le Président de l’Association Fasso Denw – Angers (France) et Président du Réseau International Fasso Denw. Il a mené beaucoup de combats au niveau de cette ville pendant la crise de 2012. Tamega, comme l’appellent ses intimes, a même eu des anicroches avec les leaders du MNLA basés à Angers. C’est ce jeune qui se prononce sur le sommet Afrique-France que le Mali vient d’abriter. Pour lui, ce sommet a pour but exclusif de défendre des intérêts français : le néocolonialisme, la francophonie, le FCFA, les juteux contrats pour les entreprises françaises…
Aujourd’hui, s’achève le sommet Afrique-France tant attendu à Bamako. Quels enseignements peut-on en tirer ?
Ibrehima TAMEGA : Tout d’abord, permettez-moi de vous remercier pour l’opportunité qui m’est offerte de m’exprimer sur un sujet aussi complexe. Aussi m’autorise-je à saluer mes concitoyens maliens, les frères et sœurs africains avec un combat citoyen et pacifique pour le développement de mère continent et ses relations avec le reste du monde. Pour revenir à notre sujet, force est de constater que ce sommet vulgairement placé sous le signe de la paix et de l’émergence apparaît comme étant un non-évènement pour la plupart d’entre nous, nous jeunes maliens et africains conscients des enjeux de l’avenir du continent berceau de l’humanité. Rappelons que ce sommet France-Afrique, pardon je voulais dire Afrique-France, n’est que la continuité de cette veille méthode de domination d’un certain nombre de pays africains par la France, ancienne puissance coloniale. Ce sommet France-Afrique, qui est à sa 27ème édition, vient encore de prouver à Bamako qu’il s’inscrit dans une logique d’éloignement, de mépris parfumé d’arrogance et d’inaction face aux réelles attentes et préoccupations de nos peuples. Non, les «grands discours» des chefs d’État ne suffiront plus désormais, à eux seuls, pour résoudre les problèmes du continent africain ou encore développer nos relations bilatérales avec la France. Malheureusement, les premiers enseignements que nous pouvons tirer de ce énième sommet France-Afrique à Bamako, raisonnent dans nos têtes sous forme d’intégrations multiples sans réponses et tout cela dans un climat de doute et de crise de confiance. C’est pour cela, jusqu’à preuve du contraire, nous ne cessons de nous poser des questions que nous pensons légitimes à propos de la pertinence et des objectifs de cette rencontre diplomatique : qu’est-ce que ce sommet de Bamako apportera désormais comme solutions concrètes, par exemple pour nos paysans confrontés aux problèmes d’accaparement des terres, aux problèmes de transformations sur place et d’écoulement de leurs productions sur le marché national et international ? Au Togo et au Gabon, par exemple, ce sommet entendra-t-il la voix du peuple qui aspire à une alternance face à la conception monarchique de la gestion du pouvoir par des familles et clans imposés via le «système» ? Si le sommet de Bamako parlait de Justice sur le continent, qu’a-t-il décidé face aux problèmes de l’esclavage des Noirs en Mauritanie par une minorité raciste et clanique, au vu et au su de tout le monde et encore en 2017 ? Ce sommet va-t-il aussi traiter, brièvement soit-elle, de la grogne et la révolte pacifique de l’espace francophone à propos du Franc CFA (anciennement appelé franc des colonies françaises d’Afrique) ? Le sommet de Bamako remettra-t-il en cause la politique actuelle de la France et de l’Union européenne en matière d’immigration, les participants parleront-ils concrètement des traitements inhumains et les humiliations infligés aux immigrés africains dans le monde ? Qu’allons-nous faire de la fameuse question de dette du continent vis-à-vis de la France ? Cela au moment même où l’on nous parle justement de partenariats économiques et de signatures de nouveaux contrats entre nos pays et les entreprises françaises lors de ce sommet à Bamako ? Des exemples comme tels cités ci-dessus, qui sont les préoccupations majeures de nos peuples, on peut en a égrener à la pelle.
Que peut apporter ce sommet au Mali et à l’Afrique?
Voyez-vous, les organisateurs de cet événement vont peut-être atteindre leur objectif ; celui de réussir à organiser un folklore dont ils sont les seuls bénéficiaires des impacts directs. Avec ce sommet au Mali, nous voilà bien en face d’un paradoxe : celui des chefs d’État africains et des autorités françaises. Ces derniers qui se retrouvent, pour évoquer des enjeux de paix, de sécurité et développement. Cela dans un pays qu’est le Mali, où le chef d’État est dans l’impossibilité de se rendre dans certaines régions de son pays, notamment la région de Kidal, pour y rencontrer seulement et rassurer nos compatriotes. Parce que cette région du Mali connaît encore de graves problèmes d’insécurité, d’absence d’autorités de l’État, ainsi que des exactions, œuvres des groupes armés et terroristes de tous bords. On peut aussi évoquer le cas du Congo, où règne une situation politique scandaleusement apocalyptique, ce sommet y apporte-t-elle une réponse? Qu’est-ce que cette rencontre des chefs d’État africains et la France, amène comme alternative face au chômage de masse, à la paupérisation et au mirage qui conduisent aujourd’hui la jeunesse africaine dans une aventure périlleuse à la quête d’un quotidien en Europe ? Voilà des questions légitimes auxquelles nous aurions aimé avoir des réponses, pas uniquement pour le Mali, mais pour toute l’Afrique.
À quoi servent les sommets Afrique-France, ou quelle est l’utilité de ce genre de sommet ?
Comme j’ai précédemment évoqué, ce sommet a pour but exclusif de défendre des intérêts français : le néocolonialisme, la francophonie, le FCFA, les juteux contrats pour les entreprises françaises… En tant que jeune citoyen malien et africain, je constate que cet événement n’a pas évolué dans sa conceptualisation politico-idéologique axée sur la promotion, la propagande autour d’un modèle de domination culturelle, d’un modèle économique où l’Afrique est toujours perdante, d’une coopération militaire dépassée et anachronique face aux véritables enjeux sécuritaires du continent. J’aurais aimé que ce sommet apporte des réponses concrètes et des éclaircissements sur les questions d’attributions des contrats miniers, l’exploitation de nos matières premières et leurs impacts réels sur le développement local.
Que pensez-vous des relations entre la France et l’Afrique, entre la France et le Mali ?
Ce que je peux dire, et c’est un vœu pour tout l’espace francophone, c’est que les relations entre la France et l’Afrique s’innovent et se démarquent enfin de sa conception coloniale et méprisante à l’égard de nos peuples. Ceci n’est possible que si les lobbies financiers, politiques et militaires, aussi bien africains que français, prêtent une oreille attentive aux aspirations profondes de nos peuples.
À qui profite ce sommet Afrique-France ?
La question ne se pose pas. Ce sommet profite tout d’abord à la France et à quelques familles privilégiées de chez nous qui en tirent bien de profits. Cela à différents niveaux et sur le moyen et long terme. Les politiques français, opérateurs économiques français et leurs amis chefs d’État africains imposés sont bien-sûr les bénéficiaires de ce cirque politico-médiatique. Par ailleurs, au Mali, ce sommet profite bien à certains, le temps d’une organisation et une visibilité éphémère, le temps pour ces derniers de s’en mettre un peu dans la poche en récupérant au passage une bonne partie des sommes et moyens mobilisés pour le sommet. Mon cousin dira sur un ton de fatalité : «mais oui, c’est normal, c’est comme d’habitude».
Avez-vous un message à lancer à la suite de ce sommet France-Afrique tenu à Bamako ?
En réalité, ce sommet n’a pas lieu d’être dans sa conception actuelle, dans la mesure où la France est un État et l’Afrique un continent. Qu’on nous explique davantage, pourquoi et pour quel objectif un seul État, à lui seul, peut-il prétendre entretenir une relation privilégiée avec tout un continent de cette manière là, si ce n’est que pour faire perdurer un statut de suprématie ou de colon ? Nous sommes aujourd’hui des millions d’Africains à croire et à dire désormais que la forme actuelle de la France-Afrique est révolue et doit être combattue par tous les Africains soucieux du devenir de ce continent et combattue par tous les amis français qui rêvent ou sont à la quête d’une France plus juste et reconnaissante envers les pays francophones du continent qu’elle a colonisés dans le passé. Je dirai aussi que, malgré mes remarques critiques et mon humble avis que je crois objectifs, je ne suis pas pour autant de nature pessimiste et défaitiste. En effet, certes j’apporte des critiques, mais comme des millions de jeunes africains, j’ai aussi des idées, des propositions, des espérances positives, des convictions pour mon peuple, pour nos relations d’aujourd’hui et de demain avec la France. J’ai des espoirs, c’est : repenser les relations entre la France et certains pays d’Afrique. Oui, en tant fils d’ancien soldat malien (Monsieur Moussa Tamega) qui a combattu pour la France, aussi en tant père d’un enfant français, en tant que jeune malien, africain et francophone, je souhaite que l’on puisse se mobiliser ensemble de façon collégiale et respectueuse pour assainir, innover et repenser profondément la coopération entre la France et chacun des nos Etats, afin de garantir et sauvegarder le gagnant-gagnant et les intérêts de chaque partie. Oui, nous ne pouvons pas mettre fin à la coopération entre la France et l’Afrique car personne n’y sera gagnant. Cependant, nous pouvons ensemble mettre fin aux relations mafieuses entre la France et certains pays, chefs et dirigeants africains, afin de pouvoir regarder et dessiner l’avenir ensemble dans un climat de paix, de partage et de solidarité entre nos peuples. Oui, nous sommes de la nouvelle génération d’Africains et d’Africaines, il faut aussi nous écouter, il faut compter surtout. Demain ne se fera pas sans nous, mais avec nous. Il faut se savoir différent mais complémentaire.
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