Dans son message de nouvel an 2017, le président de la République, Ibrahim Boubacar Kéïta, a annoncé son intention de faire déposer sur le bureau de l’Assemblée Nationale, dès l’ouverture de la prochaine session parlementaire, un projet de loi portant révision de la Constitution. Le chef de l’Etat en veut pour arguments solides :
« Les leçons tirées de la crise sécuritaire et institutionnelle qui a frappé en 2012 notre pays et déstabilisé nos institutions, les lacunes et insuffisances relevées dans notre Loi fondamentale tant par la Cour Constitutionnelle que par les acteurs politiques et la société civile, la prise en compte des réformes prévues dans l’Accord pour la paix et la Réconciliation constituent trois exigences qui rendent incontournable la révision de notre Constitution…».
Cette intention présidentielle a suscité la controverse au sein de l’opinion nationale. Les experts se sont prononcés via les médias et les réseaux sociaux, à l’image de Dr Brahima Fomba, constitutionnaliste et professeur d’université. Pour lui, c’est une « opération de tripatouillage de la Loi fondamentale de notre pays ». Il va plus loin en démontrant comme cette révision viole l’article 118 de la Constitution du 25 février 1992 et consacre une sorte de partition du pays. Lisez !
Alors même que du fait de sa procédure anticonstitutionnelle et non participative, la mouture du projet de réforme constitutionnelle fait jusque-là l’objet de secret d’Etat, le petit voile levé par le Président IBK lui-même lors de son adresse à la nation à l’occasion du nouvel an 2017 laisse déjà percevoir les dérives de cette opération de tripatouillage de la Loi fondamentale de notre pays.
UNE REVISION CONSTITUTIONNELLE AU SERVICE DES DESIDERATAS DE L’ACCORD D’ALGER
L’argument des « exigences qui rendent incontournable la révision de notre Constitution » au nombre desquelles le Président a cité « les leçons tirées de la crise sécuritaire et institutionnelle qui a frappé en 2012 notre pays et déstabilisé nos institutions, les lacunes et insuffisances relevées dans notre Loi fondamentale tant par la Cour Constitutionnelle que par les acteurs politiques et la société civile » est une véritable mystification qui en dit long sur sa volonté de dissimuler la seule véritable raison qui justifie cette réforme constitutionnelle qui est « la prise en compte des réformes prévues dans l’Accord pour la paix et la Réconciliation ». Il est évident que la révision constitutionnelle annoncée procède davantage d’un diktat de l’Accord d’Alger que d’une exigence interne, même si la Constitution actuelle est loin d’être exempte d’insuffisances que l’on a déjà tentées d’ailleurs par deux fois sans succès de corriger. Si cela n’était pas le cas, pourquoi le 16 juin 2016 depuis la tribune des Nations Unies le Premier ministre avait-il déclaré : « Le processus de révision de la Constitution est en cours, une commission de relecture a été mise en place avec pour mission principale la prise en charge des dispositions de l’Accord pour la paix et la réconciliation » ? Ces propos confirment bien que les deux autres arguments épinglés au tableau ne participent en fait que de la diversion des Maliens.
UNE REVISION CONSTITUTIONNELLE EN VIOLATION DE L’ARTICLE 118 DE LA CONSTITUTION
Initiée rien que pour satisfaire aux desideratas de l’Accord d’Alger, la réforme constitutionnelle annoncée par le Président de la République ne s’embarrasse même pas des considérations élémentaires liées à l’obligation constitutionnelle à sa charge quant au respect des conditions de procédure de cette révision. Le projet présidentiel foule au pied la Constitution du 25 février 1992 au niveau de son Titre XVI intitulé « DE LA REVISION », où l’alinéa 3 de l’article 118 dispose : « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ». Depuis l’invasion barbare du nord du Mali en 2012 par des groupes rebelles armés aux velléités sécessionnistes affichées et assumées, l’Etat vivait déjà dans cette région, en dépit de l’Accord de Ouaga du 18 juin 2013, sous un régime de cohabitation territoriale forcée et présentée de manière hypocrite comme une forme de préservation de notre intégrité territoriale et de notre souveraineté. Il ne s’agissait en fait que d’un partage de souveraineté et de parcelles territoriales qui ne disait pas son nom, entre l’Etat du Mali et des groupes rebelles armés.
La visite imprudente meurtrière de MARA à Kidal le 17 mai 2014, qui va amener ces groupes armés à chasser l’Etat malien et à le dépouiller de sa petite parcelle de souveraineté au nord, va achever de dévoiler cette hypocrisie générale en mettant au grand jour, la grave atteinte portée à l’intégrité territoriale du pays dans la région de Kidal. Depuis cette visite meurtrière qui, selon les députés qui incarnent l’expression même de la souveraineté nationale, a consacré « l’éviction de l’État de Kidal », aucun doute n’est permis quant à la situation constitutive d’atteinte flagrante à l’intégrité du territoire national à Kidal. Kidal fait l’objet d’occupation par des forces irrégulières non étatiques et est devenu une enclave, une sorte de sanctuaire ou « no man’s land » sur le territoire national où la République non reconnue par les groupes rebelles qui y campent, est déclarée « personae non grata » et frappée d’interdiction d’entrée et de séjour. Même le Président de la République du Mali n’est pas le bienvenu dans cette partie du territoire national où le drapeau du Mali ne flotte pas et où l’hymne national n’est pas fredonné. A Kidal où la République se trouve ainsi aux abonnés absents, l’occupation et l’exercice des prérogatives de puissance publique par des groupes armés rebelles ne peut être que constitutive d’un état de fait de grave atteinte à l’intégrité territoriale du Mali interdisant d’engager ou de poursuivre une procédure de révision de la Constitution.
UNE INDEPENDANCE SUSPECTE DE LA JUSTICE
Le Président est resté très évasif – sans doute à dessein – sur le thème de l’indépendance de la justice que le projet de loi constitutionnelle est supposé assurer en affirmant qu’il « garantira enfin, l’indépendance du pouvoir judiciaire, sa séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif… ». Nous attendons de voir de la part d’un régime qui a tant instrumentalisé le pouvoir judiciaire y compris la Cour constitutionnelle et le Cour suprême, en quoi le fameux projet de loi constitutionnelle va-t-il, comme une baguette magique, « garantir enfin » l’indépendance de la justice. L’indépendance de la justice à notre sens, est moins dans les carapaces institutionnelles que dans la tête et l’esprit de ceux qui animent ces institutions.
UN BICAMERALISME AU SERVICE DU MIMETISME INSTITUTIONNEL ET DU CLIENTELISME POLITIQUE
C’est aussi une vraie fausse bonne idée que de laisser croire que le pouvoir législatif va se renforcer, comme le dit le Président de la République, par la création en plus de l’Assemblée nationale, d’une deuxième chambre appelée « sénat » on ne sait pour quelle raison, et que ce bicaméralisme qui ne relève que du pur mimétisme institutionnel, « assurera pour le plus grand confort de notre démocratie, une meilleure représentation de nos populations ». Il n’y a rien de plus mystificateur qu’une telle affirmation. Quand on sait le folklore qui règne aujourd’hui dans l’enceinte de cette chambre d’enregistrement mécanique qu’est l’Assemblée nationale du Mali avec des députés pour la plupart mal élus qu’on achète à grands frais à coup de corruption politique à ciel ouvert, les assurances présidentielles quant à l’apport réel du fameux sénat pour « le plus grand confort de notre démocratie et une meilleure représentation de nos populations » fait tout simplement sourire. Au moment où de nombreux pays qui l’ont expérimenté lui tournent le dos, l’institution du bicamérisme au Mali par la création de ce sénat est un formidable recule démocratique d’autant plus honteux qu’il consacre l’abandon de la seule institution authentique de la Constitution du 25 février 1992 qu’est le Haut Conseil des Collectivités(HCC). Alors que le Mali se débarrasse de sa création originale du HCC, le Sénégal la récupère et l’insère à l’article 66-1 de sa Constitution en tant que symbole constitutionnel de promotion de la gouvernance locale et du développement territorial : « Le Haut Conseil des collectivités territoriales est une Assemblée consultative. Il donne un avis motivé sur les politiques de décentralisation et d’aménagement du territoire. Une loi organique détermine le mode de désignation des conseillers territoriaux ainsi que les conditions d’organisation et de fonctionnement de l’institution ».
Dans le meilleur des cas, le futur sénat réclamé aussi bien par la petite élite de « politiciens » comme les appelait avec ironie le Premier ministre lors du dernier débat sur la motion de censure que par l’Accord d’Alger, ne servira qu’à recycler de la vielle clientèle politique qui ne représente qu’elle-même et non pas les populations. Le bicaméralisme prévu par le projet de réforme constitutionnelle ne procède que de la logique prédatrice…
S. Sidibé