GAO (Mali) - C'est la fin du jour "Place de la Charia" à Gao (nord du Mali). Une vingtaine de jeunes s'entraînent sur un terrain de basket, enchaînant dribles et passes, sous le regard attentif de leur entraîneur. Des garçons, quelques filles aussi, en jogging satiné et débardeur
échancré.
Oumar Tonko Cissé, instituteur sexagénaire à la retraite, est le fondateur du Centre de formation et de promotion sportive de Gao (CFPS). Il en est aussi l'entraîneur et le président, confie-t-il dans un éclat de rire.
Cet homme grand, en survêtement et bonnet de laine, accueille ses "jeunes" avec un grand sourire, cigarette à la main, sous le porche qui ouvre sur le terreplein central. La plaque "Place de la Charia" n'a toujours pas été enlevée.
Mais, depuis le départ fin janvier des islamistes qui ont occupé la ville pendant neuf mois en 2012 avant l'arrivée des forces maliennes et françaises, la place centrale de Gao est redevenue celle "de l'Indépendance".
Pendant les dix mois d'occupation islamiste, le CFPS, fondé en 2004, a poursuivi ses activités, "même les compétitions", précise M. Cissé. Mais sans cigarettes pour lui, punies de coups de fouet, et surtout "sans les filles".
"Dès qu'ils sont partis, on a recommencé comme avant", dit en riant M. Cissé. "Bien-sûr, il y a moins de jeunes. Beaucoup de filles ont quitté la région".
Le visage soudain fermé, M. Cissé raconte qu'"un jour, un groupe de filles a été pris par les Mujao (Mouvement pour l'Unicité et et le Jihad en Afrique de l'Ouest, groupe islamiste armé). Elles ont été +chicotées" (frappées).
Certaines ont abandonné et se sont cachées chez elles, d'autres ont demandé à leurs parents de partir au Sud, et ne sont plus jamais revenues ici".
"Traumatisées"
"C'était le sauve-qui-peut... C'est dur, les filles ont beaucoup souffert ici", dit-il.
"Elles sont encore traumatisées. Vous voyez?", dit-il en montrant des groupes de jeunes filles qui longent la place. "Elles portent des voiles. Avant, certaines femmes étaient voilées, mais pas toutes! C'est devenu un trauma..."
Awa a est une très jolie jeune fille de 15 ans. Grande et fine, cette Peul de Gao a découvert le basket il y a deux ans.
Comme beaucoup de femmes, Awa s'exprime difficilement en français. "Elle dit qu'elle est venue au basket car elle admirait certaines joueuses", traduit son entraîneur, "et sa taille lui donnait un avantage".
"Sous le Mujao, on ne pouvait plus jouer, on n'allait plus à l'école, alors
je restais à la maison, je faisais le ménage, à manger pour la famille",
confie Awa.
"Avant, on faisait des inscriptions en règle pour nos licenciés. Maintenant, on ne demande plus rien. Tout ce qu'on veut, c'est réussir à approcher à nouveau les jeunes, et les faire revenir..."
Avant, la section foot comptait 26 joueurs, tous des garçons. Mais le basket avait attiré 20 filles pour 30 garçons. "Dans certaines catégories, minimes ou cadettes, les filles étaient plus nombreuses que les garçons", s'esclaffe malicieusement M. Cissé
Depuis un mois, Awa est sur le terrain tous les jours: "Je me dépêche après la sortie de l'école", dit-elle en riant. La jeune fille se dit "heureuse" de pouvoir rejouer, même si elle n'a "plus ses copines".
"Malheureusement, celles qui jouaient bien sont parties au Sud. Elles ont
trouvé des centres qui les ont prises. Evidemment...", soupire-t-il. "Nous on
a fait tout le travail ici, on a semé, et c'est eux, au Sud, qui récoltent.."