Reculer pour mieux sauter ou lâcher du lest pour une meilleure prise en compte de ses aspirations, tel est le sens de la décision du Sam de surseoir à son mot d’ordre de grève, en fin de semaine dernière. Pour le Syndicat autonome de la Magistrature (SAM), il ne s’agit ni d’une capitulation ni d’une renonciation à poursuivre les revendications légitimes, une d’une étape rendue nécessaire par les impératifs de l’analyse de la situation et des sollicitations diverses. Dans la lutte syndicale, comme dans la guerre, les pauses sont souvent utiles, stratégiques, car la victoire ne vaut que par la gloire. Or, celle émane d’une opinion qu’on ne peut toujours ignorer et mépriser.
C’est fort d’une longue tradition de lutte syndicale, donc qu’après 26 longs jours de grève illimitée, le Syndicat autonome de ma magistrature (SAM) a suspendu vendredi son mot d’ordre. Les vraies raisons de cette décision sont d’ordre purement stratégique. Déclenché depuis le 9 janvier dernier, la grève qui s’est voulue illimitée, commençait par s’éterniser, par agacer et irriter les populations et l’ensemble des acteurs économiques, sociaux, victimes collatérales d’une guerre syndicale qui ne les concerne en rien.
En rejetant toutes les offres de médiation, les magistrats prenaient le risque d’isoler et de s’annihiler les sympathies de l’opinion nationale qui avait commencé à les stigmatiser comme des maximalistes, des chouchoutés de la République qui ont déjà tout et n’ont cure de la situation du pays. Même la tragédie de Gao n’a pu provoquer de l’émotion chez eux pour les amener à arrêter leur grève. La stratégie du jusqu’au-boutisme, du tout ou rien, loin de s’avérer payante, à terme, pourrait devenir suicidaire pour les magistrats. En effet, l’illimité en matière de grève ne pouvant signifier aucunement rupture et refus permanent de renouer le dialogue, il fallait sortir de l’isolement suicidaire pour ne pas dire de l’encerclement.
C’est dans ce cadre, qu’à la demande du gouvernement de suspendre le dialogue pour permettre aux négociations de se poursuivre dans un cadre approprié et plus serein, les vieux syndicalistes expérimentés du SAM ont répondu favorablement. La décision de suspension de la grève a été rendue publique, à travers un communiqué lu vendredi soir, sur les antennes nationales par Cheick Mohamed Chérif KONE, président du Comité directeur du Syndicat autonome de la magistrature (SAM), mis en place par l’Assemblée générale extraordinaire ordinaire du 26 décembre 2015.
Ce que gagne le SAM
Que gagne-t-il le Syndicat autonome de la magistrature (SAM) à reprendre le dialogue avec le gouvernement après un mois de politique de chaise vide ? Selon les termes du communiqué, le gouvernement s’engage à satisfaire, « sans délai », toutes les revendications d’ordre institutionnel et d’étendre immédiatement aux magistrats, le bénéfice du décret N ° 0837/P-RM du 10 novembre 2014, à travers un décret spécial plus avantageux, mais aussi à prendre en compte, dans « un bref délai » (disons objectivement en fonction de la situation macro-économique du pays) celles qui ont une incidence financière, en vue d’un rehaussement des montants négociés.
Loin de remettre en cause les revendications jusqu’ici portées par le SAM, la mesure de suspension sollicitée à ce stade, par le gouvernement, permettra la poursuite des négociations dans un cadre plus fécond. Loin de porter préjudice aux intérêts des magistrats, elle va plutôt, dans le sens de l’apaisement souhaité par les membres de la Commission des Bons Offices, les médiateurs, les facilitateurs, le barreau, les défenseurs des droits de l’homme, le groupement des leaders religieux, les autorités traditionnelles, l’ensemble des composantes de la nation et la société civile tout entière.
Au résultat, loin d’apparaître comme des enfants gâtés de la République qui veulent tout et tout de suite, les syndiqués du SAM renouent avec la population qui apprécie leur sens de responsabilité. En appelant « les chefs de juridiction et de parquet à prendre toute initiative de nature à soulager la longue attente des populations, consécutive à l’accumulation des demandes du fait de la grève », le SAM, s’il ne s’excuse, fait une opération de charme envers tous ceux qui ont souffert de cette épreuve syndicale. Aux yeux desquels ils apparaissent désormais comme des sauveurs, en tout leurs héros. Imaginez le soulagement de tous ces jeunes en quête d’emploi qui n’attendaient que cette décision pour avoir des casiers judiciaires !
Diplomatie syndicale
La décision du Sam de suspendre sa grève lui offre en fait, plus de marges, plus d’options et plus de chance à faire avancer et aboutir ses revendications. En effet, la levée du mot d’ordre ne pouvant être un obstacle à la poursuite des actions syndicales, le SAM rappelle très fermement dans son communiqué que s’il accepte la reprise du dialogue dans un cadre plus serein, il se réserve aussi « le droit de reconduire la grève sans autre préavis, en cas de non-respect par le gouvernement de ses engagements pris dans le cadre légal de la Commission de Conciliation et sous l’égide de la Commission des bons offices ».
En caressant ses interlocuteurs (les membres de la Commission des Bons Offices, les médiateurs, les facilitateurs, le barreau, les défenseurs des droits de l’homme, le groupement des leaders religieux, les autorités traditionnelles, l’ensemble des composantes de la nation et la société civile tout entière) dans le sens du poil et en faisant un clin d’œil compatissant aux décideurs, le SAM fait dans la diplomatie syndicale. Pour ceux qui connaissent les subtilités de ces rouages, sa tirade très adroite envers le chef de l’État, président du Conseil supérieur de la magistrature, n’est pas passée inaperçue : le SAM « salue et apprécie à sa juste valeur l’engagement du Président de la République, Ibrahim Boubacar KEITA, dont les ambitions pour une justice performante, forte et crédible sont sans équivoques. Lui réitère ses vifs remerciements et ses sincères vœux de prompt rétablissement ». Voilà des petites phrases qui pourraient peser sur l’issue des négociations. Mais enfin, souhaitons une heureuse issue pour l’ensemble du corps judiciaire et pour notre pays tout entier.