Comme des oiseaux volant à basse altitude au crépuscule au-dessus des berges des fleuves Niger et Sénégal et des dunes de sable de Tombouctou, la mort plane 24h/24 sur la tête de tous ceux qui vivent ou sont de passage dans la région de Mopti, devenue le centre névralgique de l’insécurité au Mali.
Plus qu’au nord, la situation sécuritaire dans cette zone du pays est telle que l’Etat n’y exerce quasiment plus son autorité dans plus de la moitié de ce territoire, laissant le champ libre aux bandits, aux rebelles et surtout aux djihadistes de Hamadoun Kouffa d’appliquer leur loi. De 2013 à nos jours, la violence est montée crescendo atteignant les pires proportions courant 2016 et en ce début d’années. Il ne se passe pratiquement plus de jour sans qu’un porteur d’uniforme, un chef religieux ou traditionnel, un élu local ou un citoyen ordinaire ne soit tué ou assassiné.
Les agents de l’Etat ont purement et simplement déserté depuis belle lurette pour échapper à la mort. Les populations sont abandonnées à leur sort funeste dans un Etat souverain. Plusieurs fois, ces populations ont décidé de prendre les armes pour se défendre et revendiquer leurs droits à la protection et au développement, faisant redouter une autre rébellion. Au-delà de Mopti, c’est tout le centre du pays (Ségou) et même le sud (Sikasso) qui sont en proie à l’extrême violence des djihadistes. Alors, un regard mérité à ces régions, visiblement en passe d’être oubliées par les autorités. En témoigne la spirale meurtrière instaurée ! D’où la gravité de la situation dans toute cette zone. Analyse.
Il y a une semaine jour pour jour, un confrère donnait la chronologie macabre des attaques qui ont endeuillé la nation malienne en général et certaines pauvres familles en particulier depuis le début de l’année 2017. Depuis 2013, les années se succèdent, plus meurtrières les unes que les autres. Si le nord du Mali était la principale préoccupation de la situation sécuritaire, même après sa libération par les forces françaises, aujourd’hui le centre des soucis s’est déplacé vers la région de Mopti, à laquelle il faut associer celle de Ségou et dans une moindre mesure Sikasso.
L’année 2015 a connu de grands attentats terroristes à l’image de la Terrasse et du Radisson Blu à Bamako et du Byblos à Sévaré-Mopti.
2016 a vécu avec son lot d’attentats à la roquette, de pose de mines, d’attaques armées, d’embuscades.
2017 débute de la pire des manières, avec des actes de toute nature, impliquant particulièrement la région de Mopti où, à la place des attentats de grande envergure, ce sont des assassinats ciblés qui sont commis contre des autorités traditionnelles, religieuses et politiques, si ce ne sont des embuscades tendues contre les forces armées et de sécurité. Un bilan sombre, pour une année déjà particulièrement tragique. La preuve :
Le 2 janvier : l’unité méhariste a repoussé des assaillants suite à des tirs ennemis contre le check-point entre Boni et Hombori, cercle de Douentza, région de Mopti.
Le 6 janvier, un soldat est tué et 4 autres blessés dans l’attaque d’un check-point à Ansongo, sur la route de Ménaka.
Le 11 janvier, une patrouille des Forces armées maliennes, chargée de sécuriser le tronçon Macina-Diafarabé, saute sur une mine dans la matinée, faisant 5 morts et 2 blessés.
Le 15 janvier, un terroriste surnommé « Ambulance » et recherché par la gendarmerie est arrêté à Dougabougou, dans le cercle de Niono, région de Ségou.
Le 18 janvier, c’est l’hécatombe : un attentat-suicide à la voiture piégée contre le camp du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) à Gao fait 77 morts et 115 blessés.
Le même jour, un check-point de l’Armée est attaqué par des assaillants à Goundam, sur la route de Tonka. Bilan : 1 soldat, 5 autres, et plusieurs assaillants morts et blessés.
En début de soirée, Hamadoun Dicko, maire de Boni, est froidement assassiné par deux inconnus au moment où il se rendait dans sa famille après la mosquée. Quelques semaines plus tôt, un autre membre du conseil communal, Amadou Dicko, avait été enlevé dans la foulée d’un assaut contre la même contrée.
Le 21 janvier, le soldat de 2ème classe, Bernard Kindima Dobara de la Minusma est décédé, suite à un accident au cours d’une patrouille.
Le même jour, 14 combattants du Gatia sont tués dans une attaque à Tin-Essako.
Le lendemain, un véhicule de l’Armée a sauté sur une mine faisant 3 morts et 1 blessé à 35 km de Gossi.
Le même 22 janvier : deux hommes armés ont pénétré dans la base d’une entreprise chinoise de travaux sur l’axe Macina-Ténenkou : 5 véhicules. Un acte commis par des groupes terroristes ou djihadistes qui sont contre tous les projets de développement dans la zone.
Le 23 janvier, un casque bleu, le soldat de 2ème classe, Moussa Djari Mahamat Ali, perd la vie lors d’un pilonnage à la roquette, d’une rare violence, perpétré contre le camp de la Minusma à Aguelhok, au nord de Kidal.
Le 24 janvier, en fin de matinée, une explosion, suivie de tirs au passage du véhicule de tête de la mission d’escorte de convoi du GTIA Waraba à 20 km de Hombori, fait un mort et 2 blessés.
Le 29 janvier, le chauffeur d’un mini car est tué à Boré, région de Mopti, par des bandits armés lors d’un braquage.
Dans la nuit du 30 janvier vers 20h30, a eu lieu une attaque au poste de contrôle de la gendarmerie de Somadougou, situé à quelques 30 km de Sévaré sur la RN6, par des individus armés sur 3 motos. Les gendarmes ont riposté et fait dérouter les assaillants. Bilan : un civil blessé.
Le 1er février, la foire hebdomadaire de Zinda, commune de Gabéro, région de Gao, est attaquée par des bandits lourdement armés. Bilan : au moins quatre blessés.
Le 2 février, un gendarme et un civil sont tués dans l’attaque d’un poste de sécurité à Ténenkou, région de Mopti.
Le 4 février, peu avant la prière du matin, un poste de sécurité de l’armée malienne est attaqué, par des bandits armés, à Ménaka, région de Tombouctou. Le bilan provisoire de l’attaque, selon des sources sécuritaires, est de 4 gardes morts et 8 blessés.
Le lendemain, aux environs de 2 heures du matin, des gendarmes en patrouille sur le fleuve Niger, sont pris pour cible. Deux sont morts sous les balles de l’ennemi. Cette énième attaque s’est déroulée au poste de Tonkoronko et les patrouilleurs gendarmes, au nombre de 6 au moment des faits, venaient contrôler des mouvements suspects sur le fleuve. Surpris par des coups de feu, deux seraient morts sur le coup et un autre après.
Dans la nuit du 4 au 5 février, des assaillants ont attaqué le poste de sécurité de l’armée malienne à Madina Coura, à quelques 5 km de Mopti. Bilan : 4 gendarmes ont été tués.
Ces deux dernières attaques sont intervenues le jour de l’arrivée à Bamako des chefs d’Etat du G5 Sahel pour essayer de savoir si « la situation sécuritaire au Mali a des répercussions dans la sous-région sahélienne ».
L’escalade de violence
La situation sécuritaire dans la région de Mopti est donc très précaire. Vingt mois après la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, l’escalade de la violence continue de plus belle. La situation est telle que même des ministres en ont fait les frais, à l’image de Tiéman Hubert Coulibaly, ancien ministre de la défense et des anciens combattants. C’était suite à l’occupation, le vendredi 2 septembre 2016, par les djihadistes de la localité de Boni, située dans le centre du Mali, plus précisément à 90 km de Douentza. A leur arrivé dans la ville, les forces de sécurité malienne ont préféré se replier sur Douentza. Ainsi durant des heures, les terroristes ont installé leur quartier dans la localité, avant de l’évacuer. Une journée avant, dans la nuit du mercredi 31 aout au jeudi 1er septembre, un convoi de l’armée malienne avait été attaqué à une dizaine de kilomètres de Boni.
Selon un bilan dressé par l’armée malienne, 3 soldats ont perdu la vie et 2 autres ont été blessés, et d’autres sources indiquent la disparition de 7 soldats.
Le 1er septembre 2016, l’attaque du poste de gendarmerie de Bélénitiéni situé à 10 kilomètres au nord de San a fait des dégâts matériels importants. Face à l’ampleur de la situation, le samedi 3 septembre, les ministres de la Défense et de la Sécurité ont tenu une rencontre avec les gouverneurs au ministère de la Défense. Il a été décidé de « renforcer la présence de l’Administration y compris des FAMa partout sur le territoire national, en vue de soulager les populations éprouvées par la crise sécuritaire ». Mais, le même jour, au journal télévisé de 20 heures, le décret de limogeage du ministre de la Défense a été lu. Il est remplacé par Abdoulaye Idrissa Maïga.
La situation dans la région de Mopti est de nature à faire planer aujourd’hui la menace d’une rébellion armée, à l’image de la rébellion historique du nord qui braque tous les projecteurs sur notre pays, devenu la risée du monde entier. Tous les signes et signaux évidents qui ont servi de motif au déclenchement de la rébellion de Kidal se dessinent à Mopti, à savoir sous-développement, insécurité, délaissement et non protection par l’Etat, voire même absence de celui-ci. De plus en plus, des groupes et milices d’auto-défense, de groupuscules de règlements de comptes se créent à travers la 5è région. De même, se développe une haine accrue à l’égard des agents et symboles de l’Etat.
Un Etat qui ne peut protéger les populations. Celles-ci se meurent, particulièrement les populations implantées dans les cercles de Ténenkou, Youwarou, Douentza, Bankass et Mopti. En longueur de journée, elles font l’objet d’exactions de toutes sortes : meurtres, assassinats, coups et blessures, enlèvements de bétails, vols d’engins et d’objets de valeurs de la part des rebelles, des djihadistes, de l’armée et autres bandits de grand chemin. Les autorités maliennes n’ont quasiment jamais réagi aux cris de détresse aux associations de la 5è région basées à Bamako. Alors, les populations des zones concernées martyrisées ont décidé de prendre leur destin en main. Attention !