Depuis bientôt deux ans, Moussa Mara a déclaré sa candidature à la mairie du district de Bamako, et a profité de la Conférence nationale du parti Yèlèma (dont il est le leader), le 29 janvier dernier, pour le rappeler. Mardi 7 février, une réunion était prévue au ministère de l’Administration territoriale pour proposer des dates concernant les élections régionales. Dans les lignes qui suivent, M. Mara parle des chances du parti Yèlèma dans ces élections, de ses démarches vers d’autres partis de la majorité, l’accord de paix ainsi que de la résolution de la Commission ad hoc demandant des poursuites à son encontre.
Sahelien.com : Pensez-vous qu’avec l’implantation du parti Yèlèma, jugée faible à Bamako avec seulement la mairie de la commune IV, vous pourrez gagner la mairie du district de Bamako ?
Moussa Mara : Il y a six communes à Bamako, Yèlèma a gagné une. Ce qui n’est pas rien. Il n’y a que quatre partis qui ont des maires à Bamako : le RPM (Rassemblement pour le Mali), l’ADEMA, l’URD (Union pour la république et la démocratie) et Yèlèma. Nous sommes parmi les quatre principaux partis du district de Bamako. Ensuite, ce que beaucoup de personnes ne savent pas, c’est que dans chaque commune de Bamako, nous avons des élus, sauf en commune VI. Cela veut dire que le parti est installé dans la ville de Bamako. Au-delà de cela, au Mali, les élections sont des élections de personne et non de parti. Les citoyens s’identifient aux personnes et non aux partis. L’exemple le plus significatif est le président Ibrahim Boubacar Keïta. Lors des élections présidentielles de 2013, il a réalisé près de 80% des voix à Bamako, où il n’avait pas un seul maire. Donc, juste pour vous dire que les citoyens votent les personnes au Mali, parce que les partis ne sont pas encore suffisamment structurés, représentatifs.
Sahelien.com : Vous avez été ministre et Premier ministre de Ibrahim Boubacar Keïta. Ne pensez-vous pas qu’on risque de voir en Moussa Mara le candidat du bilan de IBK ?
Moussa Mara : C’est tout à fait normal mais je pense que je serai d’abord le candidat de mon propre bilan. Ce sont des élections locales, donc sur une ville. Les habitants de cette ville nous jugeront par rapport à ce que nous avons fait. Et j’ai fait beaucoup pour cette ville en tant que maire, en tant que ministre de la ville et en tant que Premier ministre. Donc, je pense que ce que je mettrais en avant d’abord, c’est ce que j’ai fait pour la ville. Mais les autres candidats aussi auront des bilans à présenter. Le maire sortant va présenter son bilan. Savez-vous que grâce à l’action que nous avons posée en commune IV, Yèlèma a été le seul parti qui a conservé la commune qu’il dirigeait ? Tous les autres maires ont été changés. Cela veut dire qu’il y a une certaine constance et qu’il y a du bon dans ce que nous avons fait. C’est bien que les élections se passent sur le bilan.
Sahelien.com : Avez-vous envisagé des alliances avec d’autres partis ?
Moussa Mara : Notre ambition, au sein de Yèlèma, c’est de participer à une liste au sein de la majorité présidentielle parce que nous sommes cohérents. Et j’ai fait déjà des démarches dans ce sens vers le Rassemblement pour le Mali (RPM), vers l’ADEMA-PASJ, qui sont les deux partis de la majorité les plus importants au district. Ils accepteront ou ils n’accepteront pas. S’ils acceptent, c’est l’idéal et la majorité présentera un visage unique. S’ils refusent, chacun ira de son côté. Mais notre ambition, c’est qu’on fasse une liste de la majorité présidentielle. J’ai eu à engager la même démarche en 2015, quand on a failli organiser les élections. Je suis allé vers ces partis, qui n’ont pas accepté. J’ai présenté une liste. Mais cette liste était déjà une liste de la coalition puisqu’il y avait d’autres partis de la majorité qui étaient avec nous. Donc, nous ne sommes pas du tout fermés à cette idée, au contraire c’est notre priorité. Maintenant, à l’impossible nul n’est tenu. S’ils n’acceptent pas, on va travailler seul.
Sahelien.com : Mi-décembre, dans sa résolution, la Commission ad hoc de l’Assemblée nationale a demandé des poursuites judiciaires contre vous par rapport à votre visite à Kidal. Et déjà, nombreux sont ceux qui se demandent si cela n’aura pas une incidence sur votre candidature. Que répondez-vous ?
Moussa Mara : La justice décidera. Si elle établit que je ne dois pas être candidat, en ce moment je suis un démocrate et un républicain et je respecte la loi. Mais pour cela, il faudra d’abord que la résolution que l’Assemblée nationale a prise soit concrétisée par le gouvernement, parce qu’elle n’a pas demandé d’engager des poursuites contre moi mais d’établir la responsabilité des faits et de voir ce qu’il y a lieu de faire. Cela sous-entend que le gouvernement s’engage dans ce sens, qu’il y ait un acte d’accusation, une instruction de la justice, un procès et une condamnation éventuelle. Ça fait beaucoup d’étapes. Mais restons sereins. Je suis prêt à répondre de chacun de mes actes. Donc, j’attends tranquillement et patiemment de voir ce qui va se passer.
Sahelien.com : Parlons de l’Accord de paix. Que pensez-vous de la situation de blocage dans laquelle se trouve sa mise en œuvre ?
Moussa Mara : Il faut peut-être un mal pour un bien. Aujourd’hui, il y a quasiment le clash entre les parties qui se sont retirées du Comité de suivi et qui n’ont plus confiance les unes aux autres. Je pense que la prochaine réunion, à laquelle prendront part les vrais décideurs, peut être le point de départ de quelque chose de positif. Il faut poursuivre le MOC (Mécanisme opérationnel de coordination, ndlr) le plus rapidement possible, l’étendre aux autres régions du nord, mettre en œuvre les patrouilles communes, engager le processus DDR (Démobilisation, Désarmement, Réinsertion, ndlr). Tant qu’on ne met pas en œuvre l’Accord, on ne saura pas qui est pour, qui est contre. Parce que vous avez beaucoup de gens qui ont signé l’accord de paix mais qui sont de mauvaise foi. C’est dans l’action qu’on peut établir cela. La Communauté internationale doit suivre cela avec plus d’attention et le gouvernement malien doit avoir plus d’énergie pour conduire le processus et mettre en évidence sa propre volonté et la mauvaise volonté des uns et des autres. On n’a pas d’autre issue. On est sur les rails de la mise en œuvre de l’accord et il faut accélérer la locomotive. Et la locomotive, c’est le gouvernement et non l’Algérie, ni la Communauté internationale.
Sahelien.com : Le gouvernement fait-il assez pour la mise en œuvre de l’Accord ?
Moussa Mara : Non, si le gouvernement faisait assez il n’y aurait pas de blocage. Ou encore on saurait qui est responsable du blocage et on prendrait des sanctions. Je pense que le gouvernement n’exerce pas suffisamment le leadership dans le processus de mise en œuvre de l’Accord de paix. Il faut que le gouvernement accélère le processus de mise en œuvre des reformes : le changement de la Constitution, les différents textes que nous allons prendre, les actions de lutte contre la corruption. Il y a beaucoup d’éléments dans l’Accord, qui n’ont rien à voir avec le MOC et les patrouilles mixtes. Mais il faut que le gouvernement soit devant et que les autres suivent. Il ne doit pas être au même niveau que les autres.
Sahelien.com : Quelle solution proposez-vous pour la situation sécuritaire qui se dégrade de plus en plus, au centre du pays, notamment à Mopti ?
Moussa Mara : Le centre, pour un être humain, c’est le tronc. Quand le centre est malade, le corps ne peut pas « continuer ». Faisons en sorte que notre centre ne soit pas pourri. Aujourd’hui, ce qui est en train de se passer est une menace sérieuse contre la cohésion sociale, contre les relations socio-économiques et culturelles entre les populations. Il faut que l’Etat malien fasse de la reconquête et de son installation dans le centre sa priorité majeure. Et dans cette optique, la mise en œuvre de l’Accord de paix est un facteur parce qu’on sait bien que s’il n’y avait pas des problèmes au nord, il n’y en aurait pas eu au centre. En résolvant les problèmes du nord, on résoudra une bonne partie des problèmes du centre. Il faut que l’Etat soit présent, que nos préfets, sous-préfets, gendarmes, policiers et militaires soient là. Et qu’on puisse assurer la sécurité de cet espace. C’est un espace qui n’est pas facile à sécuriser parce qu’il y a de l’inondation, des difficultés de communication, de mobilité. L’Etat a les moyens d’essayer de le faire.
Aïssata Ahamadou, Sory Kondo, Bokar Sangaré