Les bombardements de l’aviation française et, surtout, les opérations lancées au sol dans le massif des Ifoghas éloignent la perspective d’une résurgence de la menace armée
On l’avait prévu, écrit, répété. Et pourtant le jusqu’auboutisme des jidahistes ne manque pas d’étonner, de choquer et même d’effrayer. C’est qu’au fond, on dissertait sur le conflit asymétrique qui allait succéder à l’affrontement classique sans trop y croire réellement et, surtout, sans savoir ce que c’était, sans se douter que les murs marqués d’impacts et noircis par les flammes, les bâtiments éventrés par les bombes de Mogadiscio, Beyrouth ou Sarajevo se transporteraient dans le centre-ville de Gao. D’un coup, les combats sont sortis de la « virtualité » dont les enveloppait l’absence d’images. Filmés pour la première fois sur le vif par les télévisions, ils ont fait irruption dans nos foyers dans leur réalité et avec leur brutalité, leur saleté et leurs morts attirant des nuées de mouches.
8 FEVRIER. Cet effet coup de poing à l’estomac n’a pas fait retomber l’euphorie de la liberté retrouvée à Gao, Tombouctou ou Bamako mais il l’a sérieusement tempérée, ouvrant les yeux et les esprits sur la considérable tâche de pacification et de réconciliation qui se présente. Tout le monde réalise aujourd’hui que les groupes armés ont véritablement mis à profit ces longs mois de domination pour amasser un armement puissant, aménager des caches d’armes et de provisions, convertir des adeptes locaux dévoués, attirer des aventuriers de tout acabit et des soldats errants de la légion islamique internationale. Cette sanctuarisation, annoncée et redoutée elle aussi par tous les analystes, dévoile ces jours derniers, sa profondeur sous les yeux sidérés des Maliens qui découvrent un phénomène tout a fait étranger à leur histoire, leur culture et leurs convictions les plus profondes : le terrorisme.
Depuis le 8 février, date du premier attentat-suicide dans notre pays (à l’entrée de Gao dans la direction de Bourem), les kamikazes aux ceintures d’explosifs, les véhicules transformés en bombes roulantes, les mines artisanales, les attaques proprement suicidaires dans le centre de Gao, les cadavres et sites piégés s’installent dans notre actualité. Durablement ? Impossible de le prévoir car certaines de ces actions, notamment la pose de mines bricolées, ne nécessitent ni grands moyens et qualifications, ni beaucoup de personnel et encore moins de coordination particulière. Elles peuvent donc se poursuivre longtemps.
Par contre, tout ce qui a trait à des attaques suicides (porteurs d’explosifs, conducteurs de voitures piégées, etc.) va forcément baisser de fréquence avec le temps, au fur et à mesure que seront neutralisés les organisateurs et techniciens nécessaires pour monter ce type d’opérations et que s’amenuisera le réservoir d’adeptes prêts à se tuer pour faire mourir d’autres. Les terroristes, en perdant la maitrise du terrain et en étant contraints à la clandestinité, se voient privés du contact quotidien avec des populations qu’ils auraient pu subordonner à leurs projets. Pour poursuivre des actions violentes nécessitant de sacrifier leurs combattants, ils puisent dans un stock de recrues désormais difficile à renouveler.
Toute la stratégie des troupes maliennes, françaises, tchadiennes et nigériennes engagées dans le nord est d’accentuer cette débandade, d’isoler les groupes de radicaux, de freiner leur mobilité et de couper leur logistique en détruisant leurs réserves de carburant, nourriture et munitions. Les périlleuses offensives conduites dans le massif des Ifoghas répondent fondamentalement à cette logique opérationnelle. Et à plus encore car la France est déterminée à accroitre la pression sur les groupes qui détiennent sept de ses ressortissants en otages. Et à autre chose encore dont personne ne parlera mais qui figure certainement dans tous les plans : la capture ou l’élimination des principaux responsables ennemis. Les Américains, experts en la matière, font voler leurs drones qui fourniront une large palette d’informations profitables à l’occupation du terrain et aussi à cette traque spécifique.
COUP DE CHAPEAU. La séquence du contrôle des massifs montagneux, la plus dangereuse depuis le déclenchement de l’intervention française le 11 janvier, est primordiale car les rebellions, les islamistes, les narcotrafiquants, les preneurs d’otages, la pègre qui écume les sables, font traditionnellement de ces hauteurs escarpées, leur zone de repli. Dans la perspective d’un revers, ses occupants actuels l’ont aménagée en bastion militaire, refuge et entrepôt pour s’y cacher, refaire leurs forces, se rééquiper et reprendre leurs activités lorsque le danger sera moindre. Les bombardements effectués par l’aviation française et, surtout, les opérations lancées au sol mettent à mal ce projet et éloignent la perspective d’une résurgence de la menace armée.
Coup de chapeau donc aux troupes françaises et tchadiennes de s’être attaquées à cet ultime gros morceau en dépit du danger extrême de l’entreprise comme en attestent malheureusement les pertes subies par le contingent tchadien. Un lourd prix payé pour « finir le travail », selon une expression souvent entendue ces dernières semaines.
En fait le travail n’est pas terminé mais la première phase militaire massive et décisive s’achève pour permettre le retrait progressif des troupes au sol françaises et leur remplacement par l’armée malienne, la Misma puis les Casques bleus. Ceux-ci auront en charge de sécuriser tout le territoire en neutralisant les poches de résistance, la violence résiduelle et les malfaiteurs qui vont tenter – et pas seulement au nord – de profiter d’inévitables flottements.
Leur efficacité influera directement et fortement sur le respect du chronogramme de la feuille de route de la Transition. La sécurité est, en effet, le premier facteur conditionnant la réinstallation de l’administration et des services de base, le retour des déplacés et réfugiés, la reprise des activités économiques et, in fine, l’organisation des élections et le démarrage de l’immense chantier de la reconstruction.
Chacune de ces étapes ravivera le souvenir de tous ceux qui ont mêlé, sans le mesurer, leur sang au nôtre pour nous rendre un avenir qu’il est désormais possible d’envisager sans grimacer.