“Je crains le jour où la technologie surpassera nos interactions humaines. Le monde aura une génération d’idiots”. Par ces mêmes mots, jadis, Albert Einstein annonça ce jour !
Le progrès et le bien-être de l’humanité dépendent de sa capacité de créativité et sa gestion de risques. L’une étant la cheville ouvrière de l’autre ! En effet, lorsque le monde connait de nouvelles créations, le droit ne doit pas rester insensible. Il devra engager de nouvelles réflexions, mais adaptées à sa mission de protection juridique contre les aléas des inventions.
En droit, la première catégorisation réside dans le fait que toute chose n’étant pas considérée comme un bien, seules les choses susceptibles d’appropriation privée ont la qualification de biens. En fonction de la destination, de la nature et de l’objet auquel il s’applique un bien est soit meuble ou immeuble.
La deuxième catégorie n’est plus les choses, mais les êtres humains ou les entités titulaires de droits et d’obligations (les personnes), c’est cette susceptibilité de perte de droits et d’obligations qui fait d’un cadavre une chose.
A priori, la réparation des dommages causés par les biens matériels ne doit pas poser de problème, car en fonction de la garde, le juge déterminera la responsabilité liée au dommage causé par la chose. Or, dans l’hypothèse contraire, des difficultés se posent lorsque le dommage causé provient d’un bien immatériel : tel est le cas de l’intelligence artificielle !
Les premiers travaux constatant le début de cette notion remontent aux années 1943 à 1955. Mais la consécration réelle de ses fondements doit à la conférence de deux (2) mois de 1956 animée par un petit groupe d’ingénieurs. Et de grands programmes furent, dès lors, au fur à mesure développés pour résoudre des problèmes humains. Il n’existe aujourd’hui de définition universelle de l’intelligence artificielle, plusieurs auteurs ont apporté des points de vue définitionnels.
La définition qui retiendra notre attention concerne : “La construction de programmes informatiques qui s’adonnent à des tâches qui sont, pour l’instant, accomplies de façon plus ou moins plus satisfaisante par des êtres humains ? car elles demandent des processus mentaux de haut niveau tels que la mémoire et les sentiments”.
L’intelligence artificielle ainsi définit, il conviendrait de relever sa spécificité avant de démonter dans quelle mesure cette notion dépasserait le régime légal mis en place.
La spécificité de l’intelligence artificielle :
Une notion intervenue au moins 61 ans après la rédaction du code civil français, l’intelligence artificielle se distingue donc des biens prévus et réglementés par la législation antérieure à 1804.
En 2004, une douzaine d’experts et de scientifiques avaient signé une lettre ouverte pour prévenir la nécessité d’encadrer les recherches dans ce domaine. En raison du grand potentiel de l’intelligence artificielle, disent-ils, est important de se demander comment en recueillir les fruits tout en évitant les pièges potentiels. Certains auteurs ont pu parler de “futur effrayant”.
Comme toute chose créée par l’homme, l’idée de départ de l’intelligence artificielle était de créer des moyens de satisfaction humaine. La physionomie de la responsabilité liée aux dommages causés par ces créations était fondée sur la philosophie selon laquelle : l’homme est maitre, plus intelligent, gardien et donc responsable. Certains événements et comportements pouvant ainsi être sources de transfert de responsabilité.
Cependant, au fil du temps, s’est imposée la perte du contrôle de l’homme sur les machines qu’il aura lui-même créées. Ces machines ont fini par tourner mal et se retourner contre l’homme en devenant plus intelligentes et autonomes. Contrairement aux autres choses, les produits de l’intelligence artificielle ont des âmes. Ces enfants ainsi créés par l’intelligence artificielle ont grandi et commencent à dire : “On n’est pas d’accord !”
Nous pouvons citer, entre autres, le système Alvin qui a pu conduire une voiture à plus de 400 km, la Mercedes f 015 autorisant une conduite sans chauffeur, les programmes de diagnostic médical qui s’avèrent plus efficaces que les experts médicaux, l’utilisation des robots pour les interventions chirurgicales et même le programme de jeu Deep Blue, considéré comme le premier programme à battre un champion du monde d’échecs en titre, etc.
L’impuissance du droit face à l’intelligence artificielle :
Comme il a pu être établi ci-dessus, l’intelligence artificielle étant considérée comme une chose est-elle donc censée être régie par le principe général de la responsabilité du fait des choses prévu en droit français et malien dont les fondements textuels résident dans les articles 1384 du Code civil français et article 149 du Régime général des obligations du Mali (RGO) selon lesquels : toute personne est responsable du dommage causé par les choses dont elle a la garde.
La notion de garde ayant un champ sémantique extrêmement vaste, la jurisprudence nous fournit une définition de la notion de garde à travers l’arrêt Franck, rendu par la Cour de cassation française le 2 décembre 1941 comme “l’usage, la direction et le contrôle” d’une chose, c’est-à-dire est responsable du fait de la chose, celui qui avait la possibilité théorique d’empêcher que la chose ne cause un dommage. On retient donc une conception matérielle de la garde, indifférente à la détermination de celui qui détient un pouvoir juridique sur la chose. Cette conception a une incidence sur le moment d’appréciation de la qualité de gardien par le juge dans la détermination de la responsabilité.
Toute la difficulté réside dans le fait que personne ne possède vraiment le contrôle de l’intelligence artificielle. La répartition traditionnelle de responsabilité en fonction de la garde de structure et garde de comportement s’avère un critère impuissant pour régir certains produits de l’intelligence artificielle.
Aux termes de cette exploration, nous pouvons soutenir que : certes, l’état actuel de la science ne permet pas de démontrer que l’intelligence artificielle possède une conscience totalement indépendante de l’homme qui l’a créée ou qui l’utilise ; mais que certains auteurs sont défavorables à de telles convictions.
En somme, ce qui est par conséquent indubitable est que l’état actuel des législations, telles qu’elles sont établies en France et au Mali, sont impuissantes pour réglementer ce bien spécifique (intelligence artificielle). Pour reprendre et paraphraser l’écrivain Albert Lapradelle, professeur de droit : “Ce ne sont pas le philosophes par leurs théories, ni les juristes avec leurs formules, mais les ingénieurs avec leurs inventions qui font le droit et surtout le progrès du droit”.
Boubacar Kassé, doctorant à l’Institut supérieur de formation et de recherche appliquée (Isfra), diplôme d’études approfondies droit privé général (DEA), Institut des sciences politiques, des relations internationales et des communications (Ispric).
Enseignant chercheur/formateur/professeur de droit et d’éducation civique et morale (ECM)