«Nous avons dépeint la situation depuis des années, mais les autorités ne nous ont pas suivis. J’attends que mon ami, membre de la majorité présidentielle, interpelle l’exécutif sur l’absence de l’État central dans cette partie du pays. Il n’y a plus aucun préfet et sous-préfet, plus de policiers et de gendarmes, ni gardes (certaines localités n’en ont jamais eus d’ailleurs depuis l’indépendance). Les écoles ne fonctionnent pas dans certains endroits depuis au moins 3 ans. Les activités économiques liées aux travaux agricoles et à l’élevage sont arrêtées depuis des années. La conséquence est que les jeunes ont pris soit la destination de l’aventure ou pris des armes pour pouvoir rester sur leur terroir et protéger leurs familles et biens, d’autres pour se venger de l’histoire, régler des comptes ou se criminaliser tout simplement, car il n’y a plus de perspectives. La thèse terroriste ou islamiste ne tient pas dans plusieurs localités. Si elle est avancée, c’est généralement pour «légitimer des activités criminelles». La cause réelle de tous ces actes, nous l’avons écrit souvent et d’ailleurs très souvent, est la mauvaise gouvernance…».
Ces amers constats et regrettables récriminations sont de l’Honorable Issiaka Sankaré, au terme de son séjour à Ténenkou dans le Delta central du fleuve Niger. Cet élu national, fort de ce qu’il a vu et entendu de visu, ne va pas par quatre chemins pour dénoncer le laxisme d’Etat et la mal gouvernance dans cette partie névralgique de notre pays. Sans état d’âme, il décrit explicitement le chaos ambiant - perpétration de crimes crapuleux et exacerbation de conflits interethniques récurrents pour le contrôle des terres et pâturages - dans cette partie du centre du Mali et dégage clairement la responsabilité des autorités politico-administratives.
Dépêcher une mission nationale de haut niveau, constituée de ministres, députés et diverses personnalités à Ké-Macina (située aussi dans le Delta Central du Niger), après les douloureux évènements survenus dans cette localité, n’est pas du tout aussi mauvaise chose en soi. Elle permet de crédibiliser les constats et récriminations du Député Sankaré et peut toujours contribuer à rassurer les populations. Mais l’anticipation par des moyens adéquats, tels que le redéploiement des forces de défense et de sécurité et le retour de l’armée, était encore mieux indiquée et aurait certainement permis d’éviter les dizaines de morts causés par les derniers affrontements entre peulhs et bambanans, qui sont en réalité des affrontements entre nomades et sédentaires. Ce conflit d’origine foncière pouvait être évité si l’Etat était présent sur les lieux. Un raisonnement d’autant plus certain que depuis des années, les autorités compétentes maliennes ont constamment bénéficié d’alertes crédibles, notamment de la part de cadres politico-administratifs ressortissants des localités délaissées et des ONG y opérant. Il fallait simplement agir plus tôt.
« Nul ne sert de courir, il faut aller à point ! », nous enseigne pourtant une sagesse. C’est pourquoi l’Etat malien, plus que jamais, doit d’urgence tout mettre en œuvre pour se remettre à niveau afin d’anticiper désormais sur les évènements plutôt que d’être toujours mis devant le fait accompli. Ce qui signifie qu’il devra abandonner sa politique de sapeurs-pompiers pour réellement marquer sa présence effective dans le Delta central.
Toute chose qui exige simplement une présence normale de l’armée et des forces de sécurité pour sécuriser les personnes et leurs biens. Mais aussi et surtout la distribution des services sociaux de base pour la préservation de l’éducation et de la santé. Ce qui est une condition sine qua none pour faire baisser la tension entre les diverses communautés. Lesquelles, malgré des problèmes fonciers, ont toujours vécu en symbiose depuis des millénaires.
Gaoussou Madani Traoré