“L’impérialisme, tel le chasseur de la préhistoire, tue d’abord spirituellement et culturellement l’être, avant de chercher à l’éliminer physiquement. La négation de l’histoire et des réalisations intellectuelles des peuples africains noirs est le meurtre culturel, mental, qui a déjà précédé et préparé le génocide ici et là dans le monde” ! Telle est la conviction défendue par Cheikh Anta Diop dans “Civilisation ou barbarie” (Présence Africaine, Paris, 1981, page 10).
Pour cette éminence grise (historien, mathématicien, anthropologue et homme politique sénégalais), “l’Afrique doit opter pour une politique de développement scientifique et intellectuel et y mettre le prix ; sa vulnérabilité excessive des cinq derniers siècles est la conséquence d’une déficience technique. Le développement intellectuel est le moyen le plus sûr de faire cesser le chantage, les brimades, les humiliations…”
C’est à ce prix que notre continent peut “redevenir un centre d’initiatives et de décisions scientifiques, au lieu de croire qu’elle est condamnée à rester l’appendice, le champ d’expansion économique des pays développés”.
Avec Cheikh Anta Diop, l’Afrique a retrouvé sa place dans l’histoire antique de l’humanité, notamment dans l’histoire de l’Egypte. Toute sa vie, ce brillant intellectuel a œuvré pour “une meilleure connaissance de la culture de l’Egypte antique, et notamment de son imprégnation africaine”.
Son désir de se réaliser en tant qu’être humain le mène tout naturellement à l’histoire, la sienne et non celle apprise dans les manuels scolaires, une histoire qu’il qualifiera de “falsifiée” parce que partant d’une logique inacceptable à ses yeux : celle où la “race noire” est dominée, et la “race blanche” dominante.
Cette conviction est l’essence de “Nations nègres et culture” publié en 1954. Un ouvrage anthropologique dans laquelle il s’emploie à démontrer l’antériorité négro-africaine de la civilisation égyptienne et son apport à la civilisation helléniste.
Une approche qu’il soutient d’autant plus facilement que les Grecs eux-mêmes ont reconnu avoir puisé nombre de leurs connaissances en philosophie (Aristote, Platon), en histoire (Hérodote), en mathématiques (Pythagore, Thalès) dans l’Egypte antique.
Dans ses travaux, il s’appliquait à démontrer la continuité historique de cette civilisation dans toute l’Afrique autour de la spiritualité (le culte des ancêtres), l’écriture (les hiéroglyphes, pères des alphabets Bamoun du Cameroun et Vaïs de la Sierra Leone), des coutumes (matriarcat prédominant dans l’Egypte antique, chez les Bambara et les Kongo) ou de l’art (statuaire, poésie, musique).
Et comme il l’a toujours défendu “pour recréer un corps de sciences humaines africaines, il faut repartir de l’Egypte, renouer avec les antiquités égyptiennes, seule façon de réconcilier les civilisations africaines avec l’histoire”.
Au-delà de ses thèses sur l’urgente nécessité de l’unification fédérale, comme préalable à l’indépendance, ses recommandations sur l’énergie sont aussi brillantes. Le mathématicien spécialiste de la physique nucléaire avait élaboré rien de moins qu’une “doctrine énergétique africaine”, dans ses “Fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire”.
Du solaire à la géothermie, sans oublier les énergies fossiles, y compris l’uranium, il a dressé un inventaire complet des sources d’énergie disponibles sur le continent. Avant de suggérer le recours à l’hydrogène liquide par électrolyse de l’eau de mer comme nouveau vecteur d’énergie.
Le chercheur tout-terrain s’est, dès le départ, méfié du nucléaire, “à cause de la gestion des déchets radioactifs”. Pour Cheikh Anta, “l’eau est une force capitale”. “L’Afrique peut produire assez d’énergie, ne serait-ce qu’à partir des seuls barrages d’Inga, sur le fleuve Congo (RDC), pour alimenter l’ensemble du continent”, se disait-il convaincu dans la conclusion de cette étude.
Des stratégies et des pistes d’indépendance énergétique qui n’ont jamais été creusées par nos dirigeants politiques parce que nous n’avons pas les cordons de la bourse et nous misons sur les PTF pour élaborer et mettre en œuvre toutes nos stratégies de développement. Et ceux-ci ne financent naturellement que les projets qui les arrangent en accentuant leur influence sur nos dirigeants et leur tutelle sur nos Etats.
Décédé le 7 février 1986, ce savant est immortalisé non seulement par son précieux héritage (recherches, publications scientifiques…), mais aussi l’Université de Dakar qui porte son nom depuis le 30 mars 1987.
Ce n’est pas sans doute cette forme de reconnaissance que Cheikh Anta Diop attendait des dirigeants sénégalais, voire africains. Mais plutôt une mise en œuvre efficiente de ses recherches et stratégies pour politiquement et économiquement affranchir nos Etats de la tutelle occidentale, notamment française et anglaise.