Les réformes confiées et engagées par le Rwandais Paul Kagamé ainsi que les discours prononcés par le Tchadien Idriss Deby Itno et le souverain chérifien Mohammed VI lors du 28e sommet de l’Union africaine (Addis-Abeba/Ethiopie, 30-31 janvier 2017) ont ressuscité l’espoir d’une possible renaissance africaine. Un combat mené par les panafricanistes comme Patrice Lumumba, Kwame Nkrumah, Modibo Kéita, Mohammed V, Thomas Sankara, Alpha Oumar Konaré, Thabo Mbeki et surtout Cheikh Anta Diop dont on a célébré le 31e anniversaire de la disparition le 7 février 1986. Né le 29 décembre 1923 à Thieytou, un village à une centaine de kilomètres à l’est de Dakar (Sénégal), ce brillant anthropologue/chercheur a eu un parcours hors du commun.
“Il est temps que les richesses de l’Afrique profitent à l’Afrique”, a insisté à la tribune de l’UA (Union africaine) le roi Mohammed VI du Maroc dans un discours marquant le retour du royaume chérifien dans la grande famille africaine 33 ans après son retrait.
Par leurs discours et leur engagement, Paul Kagamé, Idriss Deby Itno et le roi Mohammed VI du Maroc reprennent le flambeau de la lutte pour l’émancipation des peuples du Groupe de Casablanca. Un bloc alors conduit par Mohammed V du Maroc avec, à ses côtés, les Modibo Kéita, Nasser, Lumumba, Nkrumah, Ahmed Ben Bella, Ahmed Sékou Touré… “Si Nelson Mandela avait été chef d’Etat à cette époque, il aurait été dans ce camp”, croit un observateur.
Ces authentiques libérateurs du continent étaient réputés pour leur position “maximaliste” et animés d’une seule conviction : tant que l’Afrique ne se sera pas unie en une totalité organique, elle ne sera pas indépendante. L’unité étant inéluctablement la condition du l’émancipation, donc du développement, de l’émergence. “Hors de la fédération, point de salut”, pouvait ainsi être leur devise !
Reprenant le flambeau, Cheikh Anta Diop s’est battu pour nous faire comprendre que “la culture est la clé de l’émancipation”.
“Pour réveiller le bâtisseur de nations qui dort en chacun des enfants de l’Afrique, il faut instruire ces enfants dans leur langue africaine”, était-il convaincu. C’est en ceci que réside son “originalité subversive” par rapport à ses aînés qui, eux, étaient d’accord pour continuer avec les langues du colon (français, anglais, portugais, espagnol).
C’est à cause de ces langues officielles que 95 % de nos concitoyens se trouvent d’emblée exclus des processus de développement car ne comprenant pas “de quoi que ça cause”. Et comme s’ils n’en sont pas conscients, nos dirigeants continuent à s’adresser à nos masses laborieuses en français, en anglais… Ce qui fait que, craint Dialo Diop (intellectuel et figure de l’opposition sénégalaise) dans un entretien accordé à Mediapart, “les taux d’analphabétisme et d’illettrisme seront de l’ordre de ce qu’ils sont aujourd’hui si l’on continue à vouloir instruire nos élèves dans une langue qu’ils ne comprennent pas”.
Et pourtant, le Sénégal est une référence africaine dans la promotion non démagogique des langues africaines. Ainsi le wolof est aujourd’hui comme la langue nationale (à défaut d’être la langue officielle) omniprésente dans les discours politiques et surtout dans les médias, notamment la radio et la télévision.
C’est aussi un pari que le Rwanda est en train de gagner avec le kinyarwanda. La Constitution rwandaise reconnait trois langues comme (français, anglais et kinyarwanda) étant officielles. Mais lors du recensement de 2002, il a été démontré que le kinyarwanda était la langue la plus utilisée par la population avec 99,7 % des Rwandais la parlant, alors que seulement 3,9 % d’entre eux parlent le français, 1,9 % l’anglais et 3 % le kiswahili.
On se rappelle que c’est en 2008 que le conseil du gouvernement rwandais avait décidé d’adopter l’anglais comme langue d’enseignement à tous les niveaux, ainsi que dans l’administration. Les autorités envisageaient ainsi de donner la priorité à la langue la plus compétitive dans le monde.
Trois ans plus tard, elles sont pourtant partiellement revenues sur leur décision, imposant aux enseignants d’utiliser uniquement le kinyarwanda durant les trois premières années de la scolarité.
Faire de nos langues des tremplins pour l’intégration
Aujourd’hui, le bambara, le swahili, le haoussa, le wolof, l’afrikaner… peuvent être des langues d’intégration par excellence en Afrique.
Etudier et privilégier nos langues nationales ne signifient pas non plus faire un trait sur les langues coloniales, notamment l’anglais, puisqu’elles sont aussi indispensables dans les relations internationales. Par ce choix (langues nationales), il s’agit de donner une chance à la majorité des Africains d’apprendre pour comprendre et se développer. Il ne s’agit pas donc de se renfermer sur soi.
Nous avons besoin de l’anglais, du français de l’espagnol, du mandarin, du portugais, du japonais, du turc, de l’arabe, du russe… pour ne pas être non plus la risée de tous dans les relations internationales.
Ce n’est pas pour rien que les grands médias de propagande occidentale (RFI, BBC, VOA…) ont créé des émissions dans nos langues nationales (swahili, dioula, haoussa…) Ce n’est pas pour leur beauté ou pour leur promotion, juste pour véhiculer les infos avec des millions d’Africains contribuant ainsi à leur domination mentale.
Une méthode efficace de désinformation, de manipulation et surtout d’acculturation. Ce qui ne contribuera nullement à la renaissance africaine tant souhaitée comme tremplin de l’émergence politique, sociale et surtout économique de nos Etats.
Il faut donc prendre l’Occident à ses propres jeu : en essayant de maîtriser ses langues (pour les élites) tout en œuvrant à faire des nôtres les vrais outils d’émancipation socioculturel, politique et économique pour nos peuples.