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Assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon : l’enquête impossible
Publié le vendredi 17 fevrier 2017  |  Le monde.fr
1ère
© aBamako.com par A.S
1ère édition de la bourse créée en hommage aux deux reporters de RFI sauvagement assassinés le 2 novembre 2013 à Kidal
Bamako, le 02 novembre 2014 à l’hôtel Salam.Rachelle Tessougué et Sidi Mohamed Dicko sont les lauréats de la 1ère édition de la bourse créée en hommage aux deux reporters de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, sauvagement assassinés le 2 novembre 2013 à Kidal.
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Saura-t-on jamais pourquoi et comment les deux journalistes de RFI sont morts ? On peut hélas en douter, estime notre chroniqueur Thomas Hofnung.




Plus de trois ans après leur disparition tragique près de Kidal (nord du Mali), les fantômes de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, nos deux ex-collègues de RFI tués dans le nord du Mali le 2 novembre 2013, sont revenus récemment hanter nos consciences. Le 26 janvier, l’association Reporters sans frontières (RSF) a publié un communiqué demandant aux autorités de faire toute la lumière sur leur assassinat, dans les minutes qui ont suivi leur enlèvement par des hommes armés en plein centre de Kidal, et en plein jour.
C’est un reportage d’« Envoyé spécial », consacré à l’affaire des otages d’Arlit (Niger) et diffusé fin janvier sur France 2, qui a rouvert les plaies mal cicatrisées de cette affaire. A la toute fin de cette longue enquête, des témoins (un ex-diplomate en poste dans la région, un ancien directeur de la DGSE) suggèrent en effet un lien entre la libération des quatre derniers otages d’Areva et Vinci par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), le 29 octobre 2013, et le rapt et l’assassinat des deux journalistes de RFI, quatre jours plus tard. Des mots lourds de sens sont prononcés : « punition », « facture »… Floués, certains intermédiaires djihadistes ayant participé aux négociations avec Paris auraient voulu se venger.

Or, malgré l’exhumation d’analyses de la Direction du renseignement militaire (DRM), plus au fait de la situation militaire dans le nord du Mali que des méandres des négociations avec les preneurs d’otages, aucune nouvelle pièce véritablement convaincante n’est versée au dossier, toujours en cours d’instruction à Paris et à Bamako. Dès lors, le risque est grand que ces témoignages recueillis par France 2, loin de contribuer à l’établissement des faits, n’ajoutent à la confusion qui entoure cette affaire depuis le début, et n’aident guère à la manifestation de la vérité. Et l’on repense à l’adage bien connu : « Ceux qui ne savent pas parlent, ceux qui savent ne parlent pas. »
Un grand embarras
Mais saura-t-on jamais pourquoi et comment Ghislaine Dupont et Claude Verlon sont morts ? On peut hélas en douter, et cela pour plusieurs raisons. En premier lieu, parce que certains des commanditaires et exécutants du rapt de Kidal ont depuis lors été « neutralisés » – autrement dit tués – dans des opérations menées par l’armée française dans le nord du Mali. C’est notamment le cas d’Abdelkrim Al-Targui, dont la mort a été annoncée en mai 2015 par le ministère français de la défense.
Ensuite, parce que, du côté des autorités françaises, la judiciarisation de ce drame suscite visiblement un grand embarras, illustré par la divulgation parcimonieuse et au compte-gouttes de documents classés « confidentiel défense ». En janvier, RSF notait d’ailleurs que les documents déclassifiés par Paris étaient « en partie inexploitables », tandis que du « côté malien, la situation sécuritaire dans le nord du pays n’avait pas pu permettre à ce jour de visiter les lieux du crime ». Et d’ajouter qu’« aucun témoin n’a été entendu dans cette affaire ».

L’enlèvement de Ghislaine Dupont et Claude Verlon a eu lieu, pour ainsi dire, au nez et à la barbe des forces françaises déployées à Kidal, au moment où Paris s’employait à convaincre l’opinion que l’opération Serval au Mali était un succès. Un éventuel procès risquerait, en outre, de jeter une lumière crue sur cette « zone grise » dans laquelle évoluent les autorités, et en premier lieu les services de renseignement, dans les affaires d’otages et de lutte antiterroriste.
Réapprovisionner leur « stock » d’otages
Ghislaine et Claude ont-ils été les victimes d’un règlement de comptes, dans tous les sens du terme, entre groupes islamistes et gouvernement français ? Au-delà des simples conjectures, la concomitance entre la libération des derniers otages d’Arlit et l’enlèvement de nos deux ex-collègues de RFI est une réalité, qui peut s’expliquer par la sinistre et cynique volonté des islamistes de réapprovisionner leur « stock » d’otages. Des otages qui sont tout à la fois des boucliers humains pour parer une éventuelle opération de l’armée française, mais aussi une source de financement.

Et c’est peut-être ce point précis qui est le plus gênant pour Paris. Car contrairement à la doxa officielle, en vigueur à Paris à l’automne 2013, le paiement d’une rançon pour arracher la libération des otages, vraisemblablement par leurs employeurs (Areva et Vinci), est un secret de Polichinelle, révélé le jour même par Le Monde. Et au-delà de la question de la rémunération (ou pas) de certains intermédiaires sur le terrain, la réalité est terriblement cruelle : de tels versements ne peuvent qu’aiguiser les convoitises et susciter d’autres projets d’enlèvements avec promesse de rançons à la clé.
Groupes islamo-crapuleux
L’enquête d’« Envoyé spécial » du 26 janvier a, d’ailleurs, bien mis en lumière cette bataille acharnée dans la coulisse à Paris entre ceux qui voulaient assouplir la doctrine du non-versement de rançon (le ministère de la défense) et ceux qui refusaient une telle éventualité (la DGSE). Avec, pour tout le monde, un même objectif en tête : obtenir la libération de nos compatriotes.

Il est donc peu probable qu’un procès satisfaisant ne se tienne jamais en France, ni même que toute la lumière soit faite sur la mort tragique de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, des professionnels courageux et engagés qui ne faisaient que leur travail à Kidal. Plutôt que de laisser les familles ronger leur désespoir, envoyant implicitement le message qu’elles auraient quelque chose à cacher, et donc à se reprocher, les autorités françaises n’auraient-elles pas intérêt désormais à jouer, autant que faire se peut, cartes sur table avec les familles endeuillées de Claude et Ghislaine ?
Nos deux ex-collègues ne sont pas les dégâts collatéraux d’une bagarre franco-française sur fond de soupçons tenaces et délétères de rétrocommissions, mais d’abord les victimes de groupes islamo-crapuleux attirés par l’odeur de l’argent.
Thomas Hofnung
chroniqueur
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