Au moins vingt personnes sont décédées dans des règlements de comptes à Ké-Macina, dans le centre du Mali, le week-end du 11 février. Ces violences, dont l’origine est toujours sujette à interrogations, ont opposé la communauté peule, majoritairement composée de bergers, à la communauté bambara, majoritairement composée d’agriculteurs et de chasseurs. Un nouvel événement qui révèle, selon notre Observateur, la complexité des conflits dans cette région minée par les tensions intercommunautaires et la menace jihadiste.
Tout commence par l’attaque d’une boutique dans la commune de Ké-Macina, samedi 11 février. Rapidement, le bruit court que les assaillants sont des terroristes jihadistes, des fidèles du prédicateur Amadou Koufa, proche du groupe islamiste Ansar Dine. Ils s’en seraient pris au boutiquier, soupçonné d’être un informateur de l’armée.
Dès le lendemain, des Dozos, des chasseurs traditionnels bambaras, auraient alors mené des opérations de représailles et incendié des cases dans plusieurs hameaux peuls. Au total, selon les chiffres officiels, au moins une vingtaine de personnes sont décédées. Selon nos Observateurs, il y aurait en réalité près de 70 morts.
Cette semaine, les responsables locaux et gouvernementaux ont multiplié les appels au calme et annoncé l’ouverture d’une enquête, qui a déjà permis l’interpellation de quatre personnes. Mais, du côté des autorités, pas question d’alimenter les rumeurs de collusions entre bergers peuls et groupes jihadistes. Sur RFI en début de semaine, le ministre de la Solidarité au Mali, Hamadoun Konaté, l’assure : il s’agit d’affrontements ethniques sur fond de conflit foncier entre agriculteurs (bambaras) et éleveurs (peuls).
Image des corps emmenés par les habitants pour les enterrer à Ké-Macina, après les affrontements. Photo envoyée par un Observateur.
"D’autres facteurs enveniment la situation, notamment la menace terroriste"
Dougoukolo A.O. Ba-Konaré
Dougoukolo A.O. Ba-Konaré
Mais pour Dougoukolo A.O. Ba-Konaré, président de l’association peule Kisal, les conflits traditionnels ne suffisent plus à expliquer violences entre communautés dans cette région fragilisée par la menace terroriste.
Plusieurs facteurs, imbriqués les uns aux autres, créent un cocktail explosif. D’abord, le cercle de Macina est une région où se côtoient des communautés d’éleveurs et des communautés d’agriculteurs. Le schéma traditionnel des conflits, [comme il est présenté par les autorités] est le suivant : les éleveurs font pâturer leurs troupeaux et occasionnent des dégâts dans les champs des agriculteurs, qui se vengent en lançant des opérations punitives. C’est l’autodéfense communautaire. Or, maintenant cela fait des siècles que ces communautés vivent ensemble : des conflits continuent, mais jamais de cette ampleur. Et les Peuls, autrefois nomades, pratiquent aujourd’hui encore la transhumance, mais sont quasi sédentaires : donc dans les localités comme Ké-Macina, les gens se connaissent.
"Les chasseurs dozos veulent en découdre avec les Peuls parce qu’ils les suspectent d’être des terroristes"
La menace terroriste complique la situation. Déjà, avant l’opération Serval [lancée par l’armée française pour repousser les groupes armés islamistes ayant pris le contrôle du nord du pays], la région du Macina était marquée par la présence de prédicateurs islamistes, dont notamment Amadou Koufa. Membre de la communauté peule, c’est un proche d’Iyad ag Ghaly, qui a fondé en 2012 le groupe armé Ansar ed-Dine - qui a eu un rôle central dans l’occupation jihadiste des villes du nord du Mali, notamment à Kidal. On prête désormais à Koufa le commandement du groupe Ansar Dine Macina, anciennement Front de Libération du Macina, qui mène toujours des actions terroristes au centre du Mali. Il y a dans les rangs des groupes comme Ansar Dine Macina de nombreux Peuls et, à l’image de Koufa, l’intelligentsia de ce groupe est peule.
"L’absence d’État envenime la situation"
La présence de ce groupe suscite beaucoup de confusion : par exemple en août 2016, à Nampala, dans la même région, une attaque meurtrière a été revendiquée par des jihadistes et des groupes armés se réclamant de la cause peule. Du coup, c’est toute la communauté peule qui est victime d’amalgames. Cela crée un ressentiment chez les chasseurs dozos, qui veulent désormais en découdre avec les Peuls non plus seulement à cause de problèmes fonciers, mais aussi parce qu’ils les suspectent d’être des terroristes. Pourtant, le mouvement Ansar Dine, bien qu’il soit, en effet, présent dans la région, n’est pas populaire chez les Peuls.
Il faut ajouter à ces tensions complexes l’absence d’État dans ces zones isolées. Le moindre incident peut donc vite s’envenimer, comme l’histoire du boutiquier à Ké-Macina. Notre association est régulièrement en contact avec des membres de l’armée. Eux aussi nous confient qu’ils ont parfois peur d’intervenir, parce que la population ne coopère pas toujours. Par exemple, les Peuls ont l’impression que l’armée – donc par extension, le gouvernement, qui est engagé dans la lutte contre le terrorisme – est contre eux et ne soutient que la cause des Bambaras [donc les Dozos et les agriculteurs]. Il y a même régulièrement des suspicions de collusion entre les Dozos et l’armée malienne, qui agiraient de concert pour déloger les jihadistes.
"Des conflits historiques instrumentalisés"
À la suite de l’assassinat du boutiquier, les villageois peuls ont été victimes d’une opération punitive très violente. Selon nos sources, beaucoup d’habitants peuls sont désormais en train de se réfugier dans d’autres villages de peur que ces violences continuent. On voit donc bien qu’il y a un équilibre de la terreur : qui protège ces civils peuls ? Dans ce cas, vers quel groupe se diriger pour obtenir une protection ?
Les conflits historiques qui divisent ces deux communautés sont donc instrumentalisés par les groupes fondamentalistes, qui s’en servent pour recruter des combattants et plonger d’autant plus la zone dans la confusion et le chaos. Les deux communautés sont donc victimes de l’absence d’État, de la peur et de la paranoïa.
Depuis lundi, des dizaines d’habitants ont fui leur village de peur des violences et un important dispositif de sécurité a été mis en place par l’armée. À partir du 20 février, le déplacement en moto d’une localité à une autre dans les environs de Ké-Macina sera interdit. Les forces de l'ordre espèrent ainsi surveiller plus efficacement la zone.