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Organisation et fonctionnement de l’appareil judiciaire au Mali: « Moussa Mara est dans la confusion et dans l’ignorance … »
Publié le mardi 21 fevrier 2017  |  Le Républicain
Assises
© aBamako.com par A. SECK
Assises de la Fédération internationale des experts comptables et commissaires aux comptes francophones
Dakar, le 24 Novembre 2014 - Mouhamed Boun Abdallah Dionne a présidé, lundi, en compagnie de son homologue malien, Moussa Mara, le démarrage des travaux de la quinzième édition des assises de la Fédération internationale des experts comptables et commissaires aux comptes francophones (FIDEF).
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« La généralisation de l’implication populaire dans les procédures judiciaires », un moyen d’améliorer la justice malienne selon Moussa Mara. Il propose que le jury ou l’assesseur étudie le dossier à juger, donne son avis, avis sur la base duquel le juge tranchera. Manifestement Moussa Mara ignore l’état actuel de la législation malienne en la matière. Deux magistrats, Adama Yoro Sidibé et Oumar Alassane KOUYATE nous ont fait parvenir leur contribution pour le remettre à sa place. Lisez !

« La généralisation de l’implication populaire dans les procédures judiciaires », un moyen d’améliorer la justice malienne selon Moussa Mara Dans sa livraison n°4174 du Mercredi 15 Février 2017, le Journal L’indépendant donnait à lire à ses lecteurs les réflexions de Moussa Mara intitulé « LE CITOYEN ET LE MAGISTRAT : un couple gagnant pour la justice malienne ».

Dans son article, Moussa Mara dit : « Il est souhaitable qu’à tous les niveaux de juridiction d’instance, y compris les tribunaux de police et les tribunaux abritant les juges de paix à compétence étendue, il soit institué des jurys aussi bien pour des affaires civiles que pénales. Les citoyens concernés doivent être choisis comme cela est fait pour les assises. La sélection doit intervenir afin d’assurer la participation de toutes les forces vives d’un ressort judiciaire donné. Pour des procédures spécifiques (commerciales, fiscales, administratives…), les membres peuvent être sélectionnés en fonction de leurs compétences et expériences pour exercer valablement leurs attributions. »

En substance, Moussa Mara plaide, comme il le dit lui-même, pour « l’implication des citoyens sous forme de jurys ou d’assesseurs… à tous les niveaux de juridiction, aussi bien en appel qu’à la Cour Suprême …».
Cette sortie de Moussa Mara a peut-être le mérite de relancer le débat public sur un thème central de notre révolution démocratique de 1991 : les caractéristiques du pouvoir judiciaire dans notre démocratie représentative.

En effet les diverses lois qui ont été votées depuis 1992 en application des dispositions constitutionnelles relatives au pouvoir et à l’institution judiciaires donnent lieu à un profond désaccord sur la constitutionnalité de nombre d’entre elles. La pratique qui en a résulté produit une justice au rabais, qui suscite un ressentiment populaire adroitement orienté, notamment par des politiciens malintentionnés pour ébranler la disposition du citoyen à souscrire aux mesures idoines de redressement de la justice malienne.

Dans un tel contexte ces propos de Moussa Mara, distillé dans un langage si confus et approximatif peut donner à penser qu’on est en présence d’une solution novatrice. C’est l’occasion de procéder à une petite remise des choses à l’endroit et mettre fin à la jacquerie.
L’observation préliminaire qu’on peut faire à la lecture de ces propos de Moussa Mara est que celui-ci est dans la confusion et dans l’ignorance relativement à l’organisation et au fonctionnement de l’appareil judiciaire au Mali.
Il propose que le jury ou l’assesseur étudie le dossier à juger, donne son avis, avis sur la base duquel le juge tranchera. Manifestement Moussa Mara ignore l’état actuel de la législation malienne en la matière.

Dans les formations de jugement qui comprennent des assesseurs, des juges consulaires ou un jury populaire, ces juges occasionnels n’émettent pas seulement un avis sur la base duquel le juge professionnel tranche le litige, ils jugent toute l’affaire au même titre que les magistrats qui sont dans ladite formation de jugement. Ils ont voix délibérative.
Ce que Moussa Mara demande est ce qui se fait déjà en mieux. Moussa Mara est, au mieux, confus en cette matière. Il souhaite l’implication du jury populaire au niveau de la Cour Suprême.

Quelle méprise !
Le principe est que la Cour Suprême ne juge pas les faits, mais plutôt la légalité du droit qui est dit par les juges du fond. C’est pourquoi, les juges professionnels ne doivent y accéder qu’après avoir « blanchi sous le harnais », comme on le dit trivialement. Quelle sécurité pour le citoyen quand un novice vienne en ce lieu pour décider de quelque chose qui est totalement hors de sa compréhension ou de son savoir-faire ?

C’est comme dire que par défiance aux professionnels de la santé, on fait appel à des citoyens, qui ne sont ni médecins ni infirmiers, pour procéder aux opérations chirurgicales sur leurs semblables, dès lors qu’ils sont réputés être de bonne foi.
En suggérant le recours systématique à l’office du juge occasionnel, les mots employés par Moussa Mara pèsent autant par ce qu’ils omettent que par ce qu’ils disent. Personne n’est dupe. Il insinue que l’institution judiciaire au Mali n’est pas, en l’état, fiable. Son analyse conduit à opérer pour ainsi dire, à faire une distinction entre le juge professionnel dont le civisme serait sujet à caution d’une part, et le juge occasionnel qui serait issu du peuple d’autre part.

Il importe de lever le voile de confusion sur le fait que, contrairement à l’esprit de l’intitulé, il n’existe pas de magistrat qui soit distinct du citoyen. Le magistrat est avant tout, un citoyen du fait qu’il appartient à un Etat avec des droits qui sont reconnus tout comme des devoirs auxquels il est soumis. C’est par la suite que ce citoyen occupe la fonction de magistrat tout en demeurant citoyen.
En d’autres termes, si la fonction de juger ses semblables, quoique loin d’être aisée, est indubitablement un impératif pour l’équilibre de la société et la cohésion en son sein, il est naïf et illusoire de vouloir la dissocier de ses implications techniques.

En effet, la connaissance de la « chose juridique » ou droit substantiel et la maitrise sans faille de son processus d’éclosion devant les organes indiqués (droit processuel), sont le couronnement d’une formation rigoureuse et méthodique. C’est pourquoi le premier venu ne saurait s’immiscer dans les fonctions jugeantes tout comme le profane ne saurait s’improviser chirurgien.
Enfin, Moussa Mara allègue que « Nos magistrats sont critiqués, au point que leurs grèves soient impopulaires ! »).

Nul ne saurait se méprendre au point de penser que Moussa Mara ignore qu’au cœur de la notion de bonne gouvernance, telle qu’elle est conçue actuellement, il y a la démocratie.
La démocratie s’entend de tout système politique qui permet la participation libre et éclairée des citoyens dans la conduite des affaires publiques.

Au plan institutionnel, il s’ensuit que son bon fonctionnement et son efficacité dépendent, du côté des gouvernés, de la variété et du perfectionnement des moyens d’expression mis à la disposition des citoyens. La formule permet alors de devancer ou d’atténuer la violence de leurs revendications en leur fournissant une occasion pacifique et permanente de s’exprimer ; de les associer éventuellement à certaines décisions.

Et le dialogue entre gouvernants et gouvernés ne saurait se limiter aux seuls moments relativement espacés des consultations électorales. Dans l’intervalle, les citoyens s’efforcent d’infléchir l’orientation des affaires publiques et pour atteindre à plus d’efficacité se rassemblent en groupements divers : partis, syndicats, association de toute nature.

Il revient donc à chaque groupe de faire valoir sa cause auprès de l’Etat. Et c’est ce que les magistrats ont fait. Il est fondamental d’intégrer le fait que le droit de grève est un droit universellement consacré. Du reste, l’exercice régulier d’un droit ne saurait s’accommoder d’une quelconque considération de popularité de l’entreprise.
En définitive, nous saluons la tentative de Moussa Mara, quel qu’est pu être son dessein, de participer au débat concernant la justice. Ce débat nous intéresse au premier chef en tant que magistrats.
Vivement les prochaines contributions d’autres débatteurs que nous espérons plus avisées sur le sujet et mieux structurées, pour hisser les débats à un niveau plus relevé.

Bamako, le 15 février 2017

Adama Yoro Sidibé
Oumar Alassane KOUYATE
MAGISTRATS
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