Pugilats dans les classes, bagarres généralisées au cours des assemblées générales, agressions contre les professeurs et même de l’assassinat… Nos universités ne sont pas loin de devenir des pétaudières. Les autorités ont décidé d’y mettre de l’ordre avec une batterie de mesures
L’espace scolaire et universitaire est devenu le théâtre de la violence. Le phénomène a pris de l’ampleur au fil des ans et intervient presque à chaque renouvellement du bureau de l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM). On y assiste à des scènes de violence occasionnant parfois mort d’homme comme en atteste l’assassinat en janvier dernier de l’étudiant de 2è année allemand de l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako (ULSHB), Idrissa Doumbia. En 2016, des affrontements entre étudiants ont eu lieu à la Faculté de droit privé (FDPRI), à la Faculté des sciences économiques et de gestion (FSEG), à la Faculté des lettres, des langues et des sciences du langage (FLLSL) ex-FLASH, à l’Institut universitaire de gestion (IUG) et à l’Ecole centrale pour l’industrie et le commerce de l’administration (ECICA). On se souvient également de l’agression du doyen de la Faculté des sciences et techniques (FST), Fana Tangara, il y a quelques années.
La violence dans l’espace scolaire et universitaire s’explique par plusieurs facteurs : l’effritement de la société et de l’éducation familiale et surtout la gestion calamiteuse de l’AEEM. En effet, l’élection du secrétaire général de l’AEEM, la gestion des fonds, des cantines, des chambres, des parkings du campus universitaire de Badalabougou par les membres de l’AEEM, l’attribution illégale des allocations financières (trousseaux et des bourses) à certains étudiants sont sources de rixes dans nos grandes écoles. Le nombre élevé des étudiants dans les facultés, la mauvaise répartition des salles de classe entre les différentes universités, le trafic de drogue, la détention d’armes par les élèves et étudiants font également partie des causes de cette violence.
Pour le recteur de l’Université des lettres et des sciences de Bamako (ULSHB), Pr Macki Samaké, les formes de violence sont variées dans les universités. Il a révélé que son établissement a enregistré 2 cas de violence en 2016 et un seul cas en ce début d’année. En 2016, le premier cas de violence a été perpétré contre un enseignant de la FLLSL, le Dr Mamadou Dia. Le second est survenu lorsqu’un étudiant a jeté des gaz lacrymogènes sur ses camarades dans un amphithéâtre. Cet étudiant a été purement et simplement exclu de l’établissement. Comme solutions contre la violence dans l’espace scolaire et universitaire, Pr Macki Samaké propose l’application stricte du règlement intérieur des écoles et des facultés des différentes universités, la suspension de l’AEEM, le déploiement des forces de sécurité sur le campus universitaire pour dissuader les fauteurs de trouble et l’interpellation de ces derniers devant le conseil de discipline et des juridictions compétentes.
Quant au recteur de l’Université des sciences sociales et de gestion de Bamako (USSGB), il explique que les formes de violence sont physiques (agressions enseignants et étudiants), morales (harcèlements sexuels) et intellectuelles. Pr Samba Diallo pense que le déficit de dialogue entre les acteurs du système éducatif et universitaire, la mauvaise compréhension et interprétation du rôle de chaque acteur et l’environnement socioculturel aggravent la violence dans l’espace scolaire et universitaire. « Pour mettre fin à ce phénomène, il faut que chaque acteur joue pleinement son rôle. Il faut également la formation civique et pédagogique des leaders de l’AEEM, des enseignants sur l’éthique et la déontologie. Il faut aussi que l’Etat investisse dans les infrastructures scolaires et universitaires, diversifie les offres de formation et leur adaptation aux besoins économiques du pays », détaille-t-il.
DISSOLUTION DE L’AEEM. Awa Coulibaly est étudiante en 2è année lettres modernes à la FLLSL. Selon elle, la pléthore dans les salles de classe, la mauvaise correction des feuilles d’examens et les insultes entre enseignants et étudiants font partie des causes de violence dans l’espace scolaire et universitaire. Awa Coulibaly pense que la solution au problème passe par la dissolution de l’AEEM, la bonne répartition des étudiants dans les salles de classe, le changement de comportement de tous les acteurs et la bonne application des textes régissant les écoles et les universités.
Le chef de cabinet du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Abdoulaye Diakité, est membre de la Commission interministérielle sur la sécurité dans l’espace scolaire et universitaire. Selon lui, la faiblesse de la gouvernance scolaire et universitaire, le pouvoir exorbitant donné aux leaders estudiantins, les activités lucratives sur l’espace universitaire font partie des causes de la violence dans l’espace scolaire et universitaire. Il ajoute aussi le laxisme dans l’application des textes, et l’insuffisante de sécurité dans les domaines scolaires et universitaires.
Abdoulaye Diakité explique que la violence se manifeste par des agressions physiques et verbales, des incivilités et des indisciplines caractérisées. Les auteurs de cette violence font souvent usage d’armes blanches et à feu et sont accrocs aux stupéfiants. Le chef de cabinet du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique rappelle que la Commission interministérielle sur la sécurité dans l’espace scolaire et universitaire a été mise en place le 2 février dernier. Composée des ministères de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, de l’Education nationale, de la Justice et des Droits de l’Homme, Garde des sceaux, de la Sécurité et de la Protection civile et de la Jeunesse et de la Construction citoyenne, elle a pour mandat d’identifier les causes, les manifestations de la violence dans l’espace scolaire et universitaire, de proposer des axes stratégiques de lutte contre l’insécurité dans l’espace scolaire et universitaire.
Pour réussir sa mission, la commission a proposé la création d’une police universitaire, le renforcement des postes de police existants dans l’espace universitaire, la relecture du décret relatif à la protection rapprochée des personnalités afin de l’étendre aux responsables académiques en cas de besoin, la relecture de certains textes, l’application stricte des textes relatifs à la gestion des infrastructures scolaires et universitaires par les autorités, la réglementation des activités lucratives sur l’espace scolaire et universitaire, la moralisation de l’organisation des examens. Elle a aussi suggéré la relecture des textes relatifs aux conseils de discipline pour donner une portée nationale à certaines de leurs délibérations sous réserves des recours gracieux et contentieux, la mise en place d’un groupe de travail pour l’inventaire des textes de l’éducation et de l’enseignement supérieur pour évaluer les forces et les faiblesses et de proposer un meilleur cadrage juridique, la création des comités d’éthique et de déontologie dans les établissements, la mise en œuvre des dispositifs d’assurance qualité dans les Institutions d’enseignement supérieur (IES).
Elu secrétaire général du bureau de l’AEEM en avril 2016, Abdoul Salam Togola place son mandat sous le signe de la non violence dans l’espace scolaire et universitaire. Nous l’avons rencontré le mercredi 15 février dernier à l’Institut universitaire de gestion (IUG), où il s’apprêtait à venir participer à une émission de télévision sur la recrudescence de la violence dans nos écoles et universités. « Beaucoup de gens pensent que c’est l’AEEM qui est la source de violence dans l’espace scolaire et universitaire. Pour moi, le phénomène prend sa source dans la société (familles et quartiers) avant d’être transporté dans les écoles et universités », explique le leader estudiantin. Après sa prise de fonction, le nouveau secrétaire général de l’AEEM a pris un certain nombre de mesures contre la violence. Ces mesures sont : l’interdiction du port d’arme dans l’espace scolaire et universitaire, le respect strict du règlement intérieur des établissements scolaires et universitaires, la mise en place d’une brigade de surveillance et de maintien d’ordre dans les écoles et universités. Les fauteurs de trouble seront identifiés et mis à la disposition des services compétents de l’Etat. Avant de passer à l’acte, le secrétaire général de l’AEEM veut lancer une campagne de sensibilisation sur la non violence et sur le respect des droits des étudiants.