Tombouctou, 25 février 2017, samedi matin. Odeur d’alcool, bouteilles cassées, casiers jetés dans la rue, chaises renversées, flammes et fumée. Des enfants rodent encore autour des scènes de saccage. Ce ne sont pas des badauds, ce ne sont pas des barbus portant culotte courte, ce sont des enfants. Des fillettes et des garçons à pied, quelques très jeunes gens sur leurs motos, d’autres prennent des photos ou filment avec leur téléphone.
Plus tôt le matin, souriant devant les preneurs d’images, des hordes d’enfants avaient parcouru la ville, de quartier en quartier, pour détruire ce qu’ils disaient être le symbole de la décadence de la ville aux 333 Saints… Ils avaient sillonné la ville sur 5 kilomètres, de «lieu de perdition en lieu de perdition». Ils n’avaient pas été empêchés, ils avaient tranquillement pu faire ce qu’ils étaient partis faire : détruire, brûler, piller. La police et l’armée étaient présentes pourtant.
Bouteilles cassées, casiers jetés violemment dans la rue, souvenirs terrifiants pour les Tombouctiens, souvenirs terrifiants pour les populations septentrionales du Mali qui, en 2012, ont subi le joug des AQMI, Ansar Dine, MUJAO et autres redresseurs de morale. Flammes, fumée, bouteilles cassées, casiers violemment jetés dans la rue par des enfants… La morale de Tombouctou est-elle maintenant aux mains des enfants de la ville ?
À quelques jours de l’installation des autorités intérimaires, le Tombouctien lambda s’interroge sur la cause véritable des saccages et pillages de ce samedi matin. Il s’interroge sur la passivité des uniformes. Il ne s’agit pas de craindre l’avenir, il est inenvisageable pour les populations lambda que la charia telle qu’elles l’ont subie revienne. Les gens s’interrogent sur l’origine de ce mouvement soi-disant spontané. Les Tombouctiens s’interrogent, car il ne s’écoule pas une semaine sans que n’aient lieu des rencontres, des débats sur le vivre-ensemble, la réconciliation, le développement, l’éducation et autres grands sujets «à la mode» au Mali depuis longtemps maintenant.
À quoi tout cela sert-il si les enfants sont libres de piller les gens ? À quoi tout cela sert-il si les enfants des gens n’hésitent pas à détruire ? À quoi tout cela sert-il si les enfants des gens n’hésitent pas, en échange de quelque contribution, à exécuter ce que d’autres gens leur demandent ? Si les débats et rencontres nourrissent certains, l’enfant lambda, à Tombouctou et ailleurs, reste assis à ne rien faire devant la porte de la cour de son père. Un enfant désœuvré est une proie facile. Un enfant désœuvré est un enfant fâché. Un enfant fâché contre le système, est fâché contre celui qui possède ce que son papa pauvre ne possèdera pas.
Les enfants de Tombouctou ne seraient probablement jamais allés se fâcher contre les bars samedi matin si, contre quelques francs, des prédateurs tireurs de ficelles ne les avaient pas envoyés faire la sale besogne. Des tireurs de ficelle chercheraient-ils à semer le trouble dans l’esprit des Tombouctiens, à semer la discorde au sein des familles, à semer les graines de l’inquiétude à quelques jours de l’installation des autorités intérimaires ?