La démocratie a un quart de siècle mais au lieu du développement économique et du bien-être social attendus, elle a accentué les clivages sociaux, gommé la morale et accouché d’un modèle citoyen dont personne ne veut et qu’aucun groupe politique ne revendique.
Pouvait-il en être autrement au regard des circonstances et de la qualité des acteurs qui ont conduit ses premiers pas ?
LES ACTEURS DU MOUVEMENT DEMOCRATIQUE SE SONT DAVANTAGE INVESTIS
POUR RENVERSER UN REGIME QUE POUR INSTAURER UNE VRAIE DEMOCRATIE
Le combat contre le Comité Militaire de Libération Nationale (CMLN) qui a renversé Modibo Kéita le 19 novembre 1968, puis contre le parti unique UDPM de Moussa Traoré a atteint son point culminant au début de l’année 1991. Le recours à l’armée pour mater le soulèvement populaire sera fatal au régime qui tombera le 26 mars. Elèves, étudiants, enseignants, syndicats, populations sorties pour les soutenir et militaires putschistes avaient tous un objectif commun, la chute du Général Moussa Traoré. Une fois le régime tombé, chacune des parties impliquées réclamera la paternité de la victoire, bloquant du coup l’expression de tout leadership. Le reste sera une lutte sans merci pour le contrôle du pouvoir : chantages, trafics d’influence, coups bas et compromissions seront les armes de prédilection. C’est la principale cause du dévoiement de la démocratie qui a fini par accoucher d’une nébuleuse militaro-civile dirigée par un président certes élu, mais condamné à se battre sans cesse pour conserver les leviers du pouvoir, face à une opposition vindicative et une armée culpabilisée aux aguets. Dès lors, la lutte des clans va se transformer en une guerre des tranchées, reléguant les fondamentaux de la société au second plan, sacrifiés sans état d’âme sur l’autel des intérêts partisans. L’école qui reposait sur la crainte du maître et l’obéissance de l’élève en sera la première victime : les élèves et étudiants dicteront désormais leur loi, pendant que les enseignants désertent les amphithéâtres pour le confort des départements ministériels. Diplômes et attestations seront en vente sur le marché, ôtant tout crédit à la formation. Dans la foulée, la peur du gendarme et du juge cédera la place au mépris que provoque le pouvoir de l’argent pour les corrompre et les rallier à sa cause. Le renversement de Moussa Traoré aura ainsi été un objectif en soi pour des politiciens pressés de devenir Calife à la place du Calife. Pour le peuple par contre, ce sera la grande désillusion et le repli sur soi.
LE MALI A PERDU SON AME ET OFFRE L’IMAGE D’UN PAYS DONT LES
CITOYENS RESTENT EMBUSQUES DERRIERE LES RANCŒURS ET LA RUMEUR
Le Soudan Français et le Mali sous Modibo Kéita ont vécu dans le respect de valeurs sociales et morales qui ont permis de forger le caractère des adultes et des enfants de cette époque. L’éducation civique et morale avait un sens et un contenu, de sorte que le citoyen avait une pleine conscience de son environnement et du rôle qui lui était dévolu en tant membre d’une famille et d’une société organisée. Le sens de l’honneur, le respect des autres, la notion du bien public étaient des réalités tangibles. Aujourd’hui, le sens moral s’est profondément dilué, la lutte contre la corruption et les pratiques anormales est proclamée sans véritablement être engagée. Celui qui détourne les ressources publiques ne sera véritablement inquiété que si le fruit du vol est mal partagé. La possession de biens matériels est devenue la valeur de référence et tous les moyens sont bons pour s’enrichir : faux diplômes, surfacturations, pots de vin, violence. La connivence des élites a progressivement mis le pays à genou, cassé ses défenses naturelles, faisant du Mali le ventre mou des pays de la bande sahélo-saharienne, à la merci des djihadistes et autres narco- trafiquants. Depuis la chute de Modibo Kéita, aucun de ses successeurs n’a été capable de mobiliser le peuple autour d’un idéal et de projets d’envergure : politique scolaire et sanitaire, industrialisation, gestion des infrastructures et des deniers publics. En déposant Modibo Kéita en 1968, les militaires ont commis le sacrilège de jeter l’enfant avec l’eau du bain. Malheureusement, ceux qui ont pris le relai à partir de mars 1991 n’ont pas corrigé le tir. De qui et de quoi s’inspire le Mali d’aujourd’hui ? Pourtant, l’ombre d’Houphouët Boigny plane toujours sur la Côte d’Ivoire pendant que l’esprit de Senghor, Sékou Touré, Thomas Sankara, Mandela reste vivant dans leur pays, sans altérer le mérite de leurs héritiers. Ce sont les grands hommes qui font l’histoire et Modibo Kéita est un grand qui a tracé les sillons en espérant que les autres les élargiraient, mais le manque d’humilité a plombé la machine politique au Mali. Le citoyen qui se sent profondément trahi s’est retranché derrière la rumeur et la presse privée (réseaux sociaux, journaux, télés et radios). Il est temps d’en finir et de négocier un nouveau contrat social. C’est pourquoi, les dispositions affichées par IBK dans la voie de la réhabilitation de Modibo Kéita, de la révision de la Constitution et de l’organisation d’une Conférence d’entente nationale sont à saluer, car elles peuvent déboucher sur ce nouveau pacte dont le pays a tant besoin.
IBK POURRAIT BIEN ETRE « LE DERNIER DES MOHICANS » DE LA 3ème
REPUBLIQUE : LA VOIE QUI S’OFFRE A LUI EST ETROITE ET DIFFICILE
Le Mali dispose de tout l’arsenal juridique d’un Etat de droit mais aucun problème d’envergure né des différentes crises n’a été réglé par la Constitution et les lois. L’administration produit des documents qui ne sont pas toujours fiables (état civil, foncier, diplômes) pendant que le justiciable n’a pas confiance dans les décisions de justice. Une administration qui n’est pas suffisamment émancipée des politiques et des affairistes pour gérer les ressources publiques en toute impartialité et offrir des services de qualité, constitue un véritable handicap pour l’Etat. En outre, la situation faite à notre armée nationale entre 1992 et 2012 s’apparente à un véritable crime contre le peuple malien car des hommes politiques se sont évertués à l’affaiblir constamment, avec le résultat que tout le monde a pu constater à l’éclatement de la rébellion du MNLA. Il faut avoir le courage de le reconnaître et faire en sorte que cela ne se reproduise plus. Les Maliens ont fait un choix clair en 2013 en faveur d’un homme d’Etat réputé ferme, capable de s’assumer et leurs attentes majeures sont connues : ramener la paix et moraliser la vie publique. Si le bilan de la première attente est défendable malgré les difficultés rencontrées, celui de la seconde reste mitigé. Cependant, de tous les présidents de la 3ème république, IBK est incontestablement celui qui, au cours de son premier mandat a pris le risque de s’engager sur des décisions pouvant le rendre impopulaire : gestion domaniale et foncière avec le ministre Bathily d’une part, assainissement de la ville de Bamako avec Ami Kane d’autre part. Il lui faut trouver d’autres cadres intègres pour faire de l’administration une institution de référence dans la gestion et la distribution du service public. Il devra également travailler à l’avènement d’une nouvelle génération d’hommes politiques, avant que la rue exaspérée se charge de le faire. La révision constitutionnelle et la Conférence d’entente nationale sont des occasions d’interroger le Mali profond au-delà des partis politiques et des associations dont les audiences sont relativement limitées, afin de jeter les bases d’une vision claire du futur citoyen et de son environnement.
IBK sera certainement « Le Dernier des Mohicans de la 3ème République ». Alors, plutôt que de perdre du temps à le combattre, tout le monde gagnerait à l’aider pour corriger les erreurs du passé, afin d’offrir au peuple une raison d’espérer et aux jeunes qui piaffent d’impatience une référence solide car, un royaume peut prospérer dans l’infidélité mais jamais dans l’injustice.