C’est du béton : Abdelhamid Abou Zeid, l’un des chefs d’Aqmi au Mali a été abattu, le 23 février, lors de combats dans les montagnes des Ifoghas, par les forces tchadiennes. Il constituait avec Abdelmalek Droukdel et Mokhtar Belmokhtar (tous d’Aqmi), Hamada Ould Mohamed Kheirou, Abdel Hakim, Oumar Ould Hamaha et Bilal Hicham (tous du Mujao), Iyad Ag Ghali d’Ançardine et Hama Ag Mahmoud du Mnla, la horde de terroristes islamistes qui écument le Sahel et le Sahara. Dans cette zone, ils se livrent à des activités aussi lucratives que criminelles telles que le trafic de drogues et d’êtres humains, la prise d’otages et autres actes terroristes. Depuis janvier 2012, jusqu’au début de l’intervention française au Mali, ils régnaient en seigneurs au nord du Mali où ils ont semé terreur et désolation avec des actes horribles au nom de l’application de la charia : amputation, lapidation, flagellation, assassinat, restriction de libertés individuelles et collectives.
Avec la mort d’Abou Zeid, Aqmi perd l’une de ses plus grandes figures et le terrorisme (notamment au Mali) prend un coup dur. Retour sur la vie de ce produit du Fis et du Gia algériens.
Abdelhamid Abou Zeid était le chef de l’une des deux principales katibas d’Aqmi au Mali. Il était installé dans un appartement construit par Mouammar Kadhafi à Tombouctou d’où il dirigeait les opérations d’Aqmi dans le pays. Cet appartement a été bombardé par les forces françaises après le déclenchement de l’opération Serval alors que le chef terroriste n’y était pas.
Décrit comme un sanguinaire froid, cet Algérien qui se distingue par son fanatisme a d’abord été, dans les années 1980, un contrebandier ayant effectué plusieurs séjours en prison. Son identité n’est pas clairement établie. Selon la fiche de la Cia et du Fbi, il s’agirait d’un certain Abid Hammadou, né à Touggourt, dans la région de Ouargla. En fait, ce patronyme serait celui d’un mort. Le véritable nom d’Abou Zeid est selon, une autre source, Mohamed Ghedir, né à Debded, un poste-frontière avec la Libye.
Son engagement extrémiste remonte aux premières heures de la guerre civile en Algérie. Le parcours est classique : le Front islamique du salut (Fis), puis le Groupe islamique armé (Gia), au sein duquel il fait la connaissance et se met au service d’un certain Amar Saïfi, alias Abderrazak el-Para, le chef de la zone 5 (Est algérien). Celui-ci avait été appréhendé au Tchad avant d’être livré aux Libyens. Il a été extradé en Algérie.
En 1998, les deux hommes suivent Hassan Hattab lors de la création du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (Gspc). Mais très vite, Zeid soutient El Para dans ses ambitions aux dépens de l’émir Hattab et de sa rivalité frontale avec Mokhtar Belmokhtar.
El-Para se voit confier la zone du Niger et du Tchad, alors que Belmokhtar règne sur le Sud algérien et le Nord du Mali. Cela n’empêche pas quelques alliances de circonstance.
En avril 2003, El-Para et son lieutenant prennent en otage 32 touristes européens qu’ils remettront ensuite à Belmokhtar, en charge des négociations. Abou Zeid suit les tractations, et c’est sans doute durant cette période qu’il fait la connaissance de Iyad Ag Ghali.
La neutralisation d’El-Para au Tchad, en mars 2004, lui permet ensuite de gravir un nouvel échelon et de récupérer les hommes de l’ancien militaire. Légitimiste, il fait également allégeance au nouveau chef du mouvement, l’idéologue Droukdel.
Soucieux d’entretenir l’authenticité de son jihad, il se démarque facilement du businessman et opportuniste Belmokhtar, et envisage, en 2007, d’aller se battre en Afghanistan.
Seules des informations parcellaires sont disponibles sur cet épisode : il aurait rencontré un émissaire de Ben Laden au Tchad, mais son projet aurait tourné court avec la mort de cet émissaire.
À défaut d’obtenir le titre d’« Afghan », le combattant, qui rayonne dans la bande saharienne, applique scrupuleusement les consignes de l’émir envoyées depuis la Kabylie.
Dans le palais de Kadhafi
En janvier 2009, des bandits nomades kidnappent au Niger un ressortissant britannique, Edwin Dyer, qu’ils remettent aux hommes de sa katiba. La consigne de Droukdel : exiger la libération d’Abou Qoutada, un proche de Ben Laden, détenu en Angleterre. Londres négocie, et, croyant que les tractations ont abouti, annule au dernier moment une opération des forces spéciales, peu avant la fin de l’ultimatum. Funeste méprise. Dyer est sauvagement exécuté. Puis en juillet 2010, c’est l’otage français Michel Germaneau qui trouvera la mort.
Par ces crimes, Abou Zeid marque plus sa différence avec l’homme d’affaires du désert qu’il n’affirme sa loyauté envers Droukdel. Il démontre clairement que sa katiba n’est pas une officine de contrebandiers, que ses hommes mènent le jihad et qu’ils infligent la terreur aux apostats… Ce qui ne l’empêche pas de se livrer, lui aussi, à des trafics.
En septembre 2010, l’enlèvement des 7 expatriés d’Areva et de Vinci, à Arlit (Niger), s’inscrit dans cette logique idéologique. Au cours des négociations, Abou Zeid croise une fois de plus la route de Iyad Ag Ghali, mandaté par Bamako, et a rencontré le colonel de l’armée française et ex-officier de la Dgse, Jean-Marc Gadoullet, qui a obtenu la libération de 3 des 7 otages.
Le vent révolutionnaire au Maghreb constitue une autre opportunité. Selon plusieurs sources, Zeid a envoyé des hommes en Tunisie puis en Libye, au moment de la chute de Ben Ali et de celle de Kadhafi.
Quant au chaos malien, il lui a permis de renouer avec Ag Ghali et de servir d’intermédiaire entre le chef d’Ançardine et Aqmi. Signe des temps, le 1er avril 2012, lorsque Tombouctou tombait, il s’est installé dans le palais que Kadhafi s’était fait construire.
Plus au nord, dans les montagnes de Kabylie, si l’émir Droukdel venait à disparaître, le lieutenant du Sahara serait certainement le candidat idéal à sa succession. À condition que l’éloignement ne constitue pas un obstacle. Et à condition aussi que la crise malienne ne l’engloutisse pas. Car, de toute vraisemblance, la katiba de l’émir d’Aqmi connaissait un moment de sérieux problèmes de trésorerie. Pour preuve, l’enrôlement des jeunes à Tombouctou était au point mort et le camp d’entraînement fermé.
L’islamiste algérien a dépensé beaucoup d’argent dans les subsides versés aux chefs de brigades qui lui ont fait allégeance, notamment ceux d’Ançardine et certains leaders communautaires. En outre, chaque fois qu’un nouveau groupe se plaçait sous son autorité, Abou Zeid mettait la main à la poche (carburant, salaires des hommes, entretien des véhicules…). À cela s’ajoutaient les autres dépenses journalières que le groupe jihadiste faisait pour prendre en charge ses propres éléments à Tombouctou.
Abou Zeid n’avait plus les moyens de financer convenablement les activités de sa katiba. D’où une pression accentuée de la part du groupe terroriste sur les autorités françaises pour qu’elles négocient la libération de leurs otages en échange d’une rançon. La France avait refusé. Mais cela n’avait nullement entamé le moral du terroriste et sa volonté d’étendre l’occupation du Mali à l’ensemble du territoire. Pour preuve, c’est Abou Zeid qui avait dirigé les opérations de prise de Diabali (en janvier dernier) et était chargé d’annexer la région de Ségou. Désormais, la page Abou Zeid est définitivement tournée.