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Le Sénégal : Terre de mission pour les Wahhabites et les Frères Musulmans
Publié le mercredi 8 mars 2017  |  L’Inter de Bamako
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À l’aube des indépendances africaines, le Sénégal, pays qui compte 94 % de musulmans, élisait à la magistrature suprême un chrétien, Léopold Sedar Senghor, indice d’une grande maturité politique et d’esprit de tolérance.
60 ans après, sous couvert de religion, le pays est devenu terre de mission pour les islamistes rigoristes venus d’Egypte et de la Péninsule arabique. Les Frères musulmans et les divers mouvements de réislamisation wahhabite y étendent désormais leur tentacule au grand dam de l’islam confrérique tolérant.
Pour faire face à cette vague venue de loin, les confréries sont tentées par la radicalisation de peur d’être balayées. L’islam confrérique n’est plus désormais à l’abri de certaines dérives. Ainsi, les Mourides, la plus puissante des confréries du Sénégal, ont constitué un véritable État dans l’État à Touba, leur ville sainte qui compte près d’un million d’habitants.
Dans cette «cité radieuse», les cinémas sont interdits, ainsi que la musique non religieuse. Les écoles de la République de ce pays officiellement laïc sont elles aussi interdites. Le football n’a pas davantage droit de cité.
I. GENÈSE D’UNE DÉRIVE
À l’indépendance, le pouvoir post colonial, sur l’incitation de son ancien tuteur français, a favorisé un rapprochement avec les pétromonarchies du Golfe pour faire barrage au marxisme à l’apogée de la guerre froide soviéto-américaine. Une politique amorcée dans la foulée de la 3ème guerre israélo-arabe d’octobre 1973, dans le prolongement du boom pétrolier et de la rupture collective des relations entre l’Afrique et Israël.
Sous l’effet du mirage pétrolier et des conseils de la firme pétrolière française ELF, Bernard Albert Bongo est ainsi devenu Omar Bongo et le Gabon francophone s’est mué en grande oreille de la France au sein de l’OPEP, le cartel anglophone des pays producteurs de pétrole, (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole).
À son tour, la Finance islamique fait son apparition sur le marché africain pour suppléer la France en phase de chômage structurel et de «charter de la honte», avec son cortège de Madrassas, de banques islamiques et de prosélytisme religieux, selon le rite wahhabite.
Une vingtaine de dirigeants de la Confrérie des Frères Musulmans, dont Ayman al Zawahiri, qui deviendra le successeur d’Oussama Ben Laden à la tête d’Al Qaida, bénéficiaient à cette époque d’un droit de cité dans les principales villes européennes.
La réislamisation des communautés immigrées d’Europe occidentale, -politique connue sous le nom pudique de «réappropriation de la culture d’origine»-, a été menée directement par l’Arabie saoudite, de concert avec le pacte atlantiste, afin de faire barrage à la propagation du communisme dans les franges immigrées de la population expatriée, de l’ordre de 12 millions de personnes à l’époque, et de freiner leur insertion dans les partis et mouvements syndicaux contestataires de l’ordre capitaliste et atlantiste (Parti communiste, CGT).
La décapitation des dirigeants emblématiques du continent, la neutralisation des représentants authentiques de l’islam noir a privé l’Afrique d’anticorps en mesure de doter le continent d’un système immunitaire efficace face à la subversion téléguidée à distance et attisée par la gangrène locale.
II. LE LABORATOIRE SÉNÉGALAIS
Les Frères Musulmans, le plus ancien parti transnational du Monde arabe, ont entrepris de s’implanter au Sénégal, plaque tournante de l’Afrique occidentale francophone, en vue de s’aménager une base de repli face à une Europe gagnée par l’islamophobie et de compenser ainsi leurs déboires en Egypte, en Arabie saoudite et en Tunisie.
A dire vrai, l’influence des Frères Musulmans au Sénégal– alliés à cette époque du royaume wahhabite ennemi déclaré du nassérisme et des régimes nationalistes dans le monde arabe – remonte à la décennie 1970, où la confrérie a bénéficié du boom pétrolier consécutif à l’usage par les Arabes de l’arme du pétrole contre les alliés occidentaux d’Israël dans la guerre d’octobre 1973.
Deux autres facteurs ont joué dans la propagation de l’islamisme en Afrique noire: le parrainage saoudien de la confrérie ainsi que la rupture des relations collectives entre l’Afrique et Israël qui s’est ensuivie, de même que l’instrumentalisation de l’Islam comme arme de combat contre l’athéisme de l’Union soviétique et de ses alliés régionaux ou locaux.
Depuis cette date, l’influence des FM s’est propagée de manière diffuse, par l’entremise d’associations de bienfaisance ou via des mouvements étudiants qui leur sont proches idéologiquement, tels l’association des Élèves et Étudiants Musulmans du Sénégal (AEEMS) créée en 1993 ou l’Association des Étudiants de l’Université de Dakar (AEMUD), formée entre 1984 et 1986.
Point de passage vers l’Amérique latine, le Sénégal est un territoire stratégique en Afrique de l’ouest. Indépendant depuis 1960, il occupe une place importante dans l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) ; du fait de ses relations étroites avec la France et une place majeure au sein de l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI) ; aux côtés de l’Arabie Saoudite et du Qatar. L’islam est arrivé au Sénégal au XIème siècle.
Rompant avec cette tradition de discrétion, une délégation de la confrérie a effectué, en février 2014, une visite officielle au Sénégal. Cette première visite officielle des FM a paru répondre à une logique de légitimation de l’organisation, alors que la confrérie venait d’être frappée d’ostracisme par son ancien parrain, l’Arabie saoudite.
L’islamisation de la société sénégalaise à l’époque contemporaine a été favorisée en outre par le déploiement des banques islamiques dans une société en voie de paupérisation croissante tant du fait de la sécheresse que des gros scandales de corruption.
Le Qatar, parrain de substitution aux Frères Musulmans, a constitué un puissant vecteur au déploiement de la confrérie, notamment via les finances islamiques et leur chaîne vedette Al-Jazeera, un de ses instruments de pénétration économique et idéologique. Le Qatar a souhaité implanter une antenne francophone de la chaîne de télévision à Dakar, mais le président sénégalais y aurait opposé son veto à ce projet, privilégiant la chaîne française France24.
En dépit de ce camouflet, le Qatar a continué de témoigner d’un intérêt persistant pour le Sénégal, qui s’est récemment traduit d’ailleurs par sa contribution à la libération le 24 juin 2016, à la veille de la fin du Ramadan de Karim Wade, le fils de l’ancien président Karim Wade, incarcéré dans son pays pour fait de corruption. Karim Wade est arrivé à Doha, à bord de l’avion privé du procureur général du Qatar, en une caution indirecte de la principauté à l’affairisme de son protégé.
La stratégie rampante des FM n’a pas l’heur de plaire à tout le monde. L’un des plus virulents censeurs de la confrérie est un enseignant-chercheur de l’Université à Saint-Louis, Bakary Sambe, qui n’a cessé de mettre en garde contre l’islamisation de la société sénégalaise. Dans une polémique restée célèbre, qui l’a opposée l’été 2013, à Tariq Ramadan, Bakary Sambe a accusé notamment le petit fils du fondateur de la confrérie «de vouloir faire de l’Afrique francophone sa nouvelle zone d’influence pour régler ses comptes avec l’Occident».
Au delà de la polémique et sans se prononcer sur le bien fondé des arguments de l’un comme de l’autre, l’universitaire sénégalais gagnerait en objectivité s’il portait les mêmes accusations à l’égard de l’entrisme feutré israélien au Sénégal et au delà en Afrique, dont l’objectif sous jacent est de cogérer le pré carré africain de la France en tandem franco israélien. Selon le bout de la lorgnette, la vue varie.
III. LIAISONS DANGEREUSES
La soumission des pouvoirs sénégalais successifs à la stratégie globale saoudienne était présentée comme un investissement à même de contribuer au développement économique du pays.
Le «socialiste» Abdou Diouf avait envoyé en 1990 l’armée sénégalaise participer à la Tempête du désert pour, disait-il, «défendre les lieux saints de l’islam». 93 soldats sénégalais périront dans le crash d’un avion militaire. En récompense de cet engagement militaire mercenaire, l’Arabie saoudite confiera au Sénégal l’organisation deux sommets islamiques en 1992 et 2008 grassement financés par la Banque islamique du développement dont Riyad est le principal bailleur. Une sorte de bakchich dont une bonne partie servira à renflouer les comptes bancaires de certains membres de la nomenklatura sénégalaise.
Rebelote quinze plus tard. En avril 2015, le Sénégal de Macky Sall accède à la demande du nouveau roi Salmane et décide, «dans l’intérêt bien compris des deux pays», de jeter 2100 militaires dans la fournaise yéménite (sic)! Soit trois fois plus qu’il n’a envoyé combattre les terroristes au Mali tout proche.
Le risque n’est pas seulement d’essuyer de grosses pertes parmi ses soldats, mais surtout de les voir revenir au pays contaminés par l’idéologie wahhabite à l’origine de la création d’Al-Qaïda et de Daech.
René Naba
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