L’Assemblée nationale du Mali a été convoquée en session extraordinaire à partir du 11 mars 2017 par le gouvernement, pour adopter un projet de loi relatif à la révision de la Constitution du 25 février 1992. Ainsi, c’était la raison du Conseil des Ministres réuni en session extraordinaire, le vendredi, 10 mars 2017 dans sa salle de délibérations au Palais de Koulouba sous la présidence du Président de la République, Ibrahim Boubacar KEÏTA. Suite à cette décision gouvernementale, la conférence des présidents se tiendra en début de semaine afin de convoquer la séance plénière qui débattra de ce projet de loi sur la révision constitutionnelle. Cette réforme constitutionnelle suscite des réserves, et intrigue les Maliens, quant à son objet et au timing.
La révision de la constitution pour prendre en compte des dispositions de l’accord d’Alger est considérée par de nombreux observateurs comme une démarche à contre courant, ou pour ainsi dire faisant entorse à la loi fondamentale. Comme tel, plusieurs hommes politiques maliens dont Soumana Sako de la CNAS-Faso Hèrè, Modibo Sidibé de FARE Anka wuli, avaient rejeté l’accord pour la Paix et la Réconciliation issue du processus d’Alger, au motif qu’il viole la constitution de la République du Mali.
Tous les constitutionnalistes sont unanimes à dire que toutes dispositions juridiques et actes internes, doivent être conformes à la constitution, dans le respect de l’ordonnancement juridique du Mali. Ainsi les nouvelles dispositions doivent s’adapter à la constitution et non l’inverse. Avec ce projet de révision constitutionnelle c’est sans doute une nouvelle forme d’agression physique à la loi fondamentale.
Notre Constitution du 25 février 1992 dans son Titre XVI (De la révision) dispose à l’article 118 (alinéa 3) : « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire». N’est on pas en présence de ce cas de figure aujourd’hui en République du Mali ?
Peut-on douter de l’atteinte à l’intégrité du territoire lorsque la souveraineté de l’Etat malien n’est que factice dans de nombreuses localités du nord et du centre du Mali ? Doit-on en douter lorsque le gouverneur de Kidal nommé par le Président de la République est obligé d’aller prêter serment à Gao ?
En outre de toutes ces irrégularités, d’autres reproches sont faites à cette révision comme la prise en compte de la charte du Kuru Kan Fuga ou Charte du Mandé adopté en 1236, et dont l’Article 8 dispose: « La famille KEITA est désignée famille régnante sur l’empire ». En effet certaines allusions sont ahurissantes et intrigantes, plus est, dans le cadre d’une révision constitutionnelle.
En effet l’avant-projet de loi proposé par le Comité d’Experts et adopté par le Conseil des Ministres, fait référence dans son préambule à la Charte de Kuru Kan Fuga. Des constitutionnalistes s’accordent à reconnaitre une valeur de portée constitutionnelle aux dispositions contenues dans le préambule d’une constitution.
Tout comme le sont certains textes, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 ou la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 27 Juin 1981.Et si la constitution de la République du Mali était pavoisée des dispositions telles que : « La famille KEITA est désignée famille régnante sur l’empire », serait-on dans la voie de l’unité ou de l’éclatement ?
Que dit le Conseil des ministres ?
Le Conseil des Ministres réuni en session extraordinaire, le vendredi, 10 mars 2017 dans sa salle de délibérations au Palais de Koulouba sous la présidence du Président de la République, Ibrahim Boubacar KEÏTA a décidé de la convocation de l’Assemblée nationale en session extraordinaire. L’ordre du jour portait sur l’examen : - d’un projet de loi relatif à la révision de la Constitution du 25 février 1992 ; - et d’une communication. Sur le rapport du Premier ministre, le Conseil des Ministres a adopté un projet de loi portant révision de la Constitution du 25 février 1992.
Selon le communiqué du conseil des ministres, après un quart de siècle de pratique démocratique du pouvoir, la Constitution a révélé des lacunes et des insuffisances. Le premier Président de la 3ème République avait éprouvé au cours de son second mandat la nécessité d’une révision de la Constitution. Son initiative n’a pas abouti pour diverses raisons.
Le deuxième Président de la 3ème République avait, à son tour, au cours de son second mandat initié une procédure de révision de la Constitution en vue « d’adapter l’outil à l’objet, la lettre à la pratique pour mieux avancer dans la construction d’un système démocratique performant », poursuit le communiqué du conseil des ministres.
Cette initiative également n’a pas abouti en raison des évènements survenus dans notre pays en mars 2012. Selon le communiqué, fort de ces constats et enseignements, le Président de la République, Ibrahim Boubacar KEITA, a mis en place en avril 2016 un comité d’experts chargé d’élaborer l’avant-projet de loi de révision de la Constitution.
L’avant-projet de loi proposé par le Comité d’Experts et adopté par le Conseil des Ministres fait référence dans son préambule à la Charte de Kuru Kan Fuga ou Charte du Mandé adopté en 1236 pour « valoriser le patrimoine culturel et historique du Mali », selon le communiqué du Conseil des ministres. Il prend en compte les clauses de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, valorise les acquis des précédentes tentatives de révision constitutionnelle et corrige les insuffisances de la Constitution du 25 février 1992, indique le conseil des ministres.
Le projet de loi innove en intégrant le Senat et la Cour des Comptes, parmi les Institutions de la République au nombre de huit, la Haute Cour de justice et le Haut Conseil des collectivités territoriales ne figurant plus sur la liste des Institutions.
En effet, la Haute Cour de Justice ne figure plus parmi les Institutions de la République mais elle demeure compétente pour juger le Président de la République et les ministres mis en accusation devant elle par le Parlement pour haute trahison, crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions ainsi que leurs complices en cas de complot contre la sûreté de l’Etat.
Le projet de loi crée un parlement composé de deux chambres : l’Assemblée nationale et le Sénat. A en croire le communiqué du conseil des ministres, le projet de loi n’entraine pas un changement de République, ne remet pas en cause la durée et le nombre du mandat du Président de la République.
Aguibou Sogodogo
Daou