Paris - "Nous sommes du désert, habitués à l’espace et au silence. Le désert, ça porte chance pour trouver une bonne inspiration et pour composer", résume Abdallah, guitariste des Tinariwen, les porte-drapeaux de la culture touareg qui investissent samedi la Maroquinerie à Paris, pour trois soirs.
Leur musique, un blues habité et profond, mêle le son ravageur de guitares
électriques aux chants traditionnels du Sahara. En 30 ans de carrière, ils ont
joué partout ou presque et sont devenus un symbole pour leur peuple installé
entre le Sud de l’Algérie et le Nord-Mali.
"Tinariwen, c’est le meilleur ambassadeur du Sahara à l’étranger. Même
s’ils défendent leur identité et la langue tamasheq, leur musique parlent à
toutes les communautés de la région, les Toubous, les Songhaïs, les Peuls",
souligne le documentariste Arnaud Contreras, auteur de "Sahara Rocks!".
En février, le groupe a sorti son huitième album "Elwan", enregistré en
exil comme le précédent "Emmaar". Il aurait été trop dangereux de le faire
chez eux, notamment à Kidal (nord du Mali) où sévissent encore trafiquants et
jihadistes.
"Elwan" signifie "éléphants" et désigne "ces hommes qui écrasent tout chez
nous, qui veulent être les plus forts", explique Abdallah. "On ne peut pas
amener les ingénieurs du son occidentaux sur place à cause de l’insécurité",
regrette le guitariste de 50 ans.
Les Tinariwen ont donc choisi d’autres "Tenere" - déserts en tamasheq, un
mot qui revient en boucle dans l’album - pour graver leurs 13 morceaux: le
parc de Joshua Tree en Californie et une oasis dans le sud du Maroc.
- Une ’communauté rassemblée’ -
Il en ressort un album nostalgique et comme souvent militant. Dans "Ittus"
("Notre objectif"), une complainte dépouillée et émouvante, une voix abîmée
s’interroge: "Quel est notre objectif? C’est que notre communauté soit
rassemblée. Un jour, on va voir le drapeau tamasheq sur notre territoire".
Certains membres des Tinariwen ont participé à la rébellion touareg dans
les années 90. Formés dans les camps libyens de l’ancien dictateur Mouammar
Kadhafi, ils ont pris les armes contre l’Etat malien pour revendiquer leurs
droits. Après l’accord de 1996 avec le gouvernement malien, les riffs de
guitare ont définitivement pris le dessus sur la kalachnikov.
Sans renoncer "à une forme de combat", considère Abdallah. "On a appris à
faire de la musique quand on était militaires. On jouait beaucoup de chansons
de la résistance", se souvient-il de sa voix posée, tout en bâillant un peu,
épuisé par les sollicitations et la tournée qui s’annonce en France et aux
Etats-Unis.
"Ici il y a beaucoup de voyages, de fatigues, de rendez-vous, des
ambassades, beaucoup de contrôles. Beaucoup de gens de chez nous ont du mal
avec les grandes villes", explique le compositeur à la fine moustache.
- La relève, plus jeune -
Avant les concerts à Paris, Marne-la-Vallée (24 mars), Calais (26 mars) ou
Los Angeles (31 mars) ou Montréal (13 avril), lui et les siens se sont
installés dans un appartement de Montreuil, près de Paris, au calme, dans une
semi-pénombre.
Les habits y sont décontractés et on écoute de la musique pour patienter.
Sur scène, ils revêtiront leurs tenues traditionnelles, les longs chèches
destinés habituellement à protéger les visages du soleil et du sable.
En attendant, leur musique poursuit son voyage, parfois réappropriée par
des groupes étrangers comme les Californiens de Fool’s Gold, dont les boucles
de guitares font écho à celles de leurs lointains voisins.
Au Sahara, quelques formations, plus jeunes, ont pris la relève comme
Tamikrest. Et on peut croiser les chansons de Tinariwen de manière inattendue.
En plein reportage dans un camp de réfugiés au Niger, à Tillaberi, Arnaud
Contreras était tombé sur un remix d’un de leurs morceaux, sur le téléphone
portable d’une petite bande de jeunes. "Tinariwen, c’est un groupe très
important pour les Touaregs. C’est la rébellion, quoi...", lui avaient-ils
raconté.