La diva malienne a retrouvé son public après douze ans d’absence due à un AVC qui l’avait rendue muette. Rencontre avec la maître griotte au rire tonitruant. Derrière Kandia Kouyaté, il y a ses légendes. On raconte que la puissance de sa voix et la profondeur de ses paroles sont « dangereuses ». C’est d’ailleurs devenu l’un de ses surnoms. Des gens se seraient évanouis en l’écoutant chanter. Kandia part dans un grand éclat de rire en lançant sa tête en arrière : « Je ne peux pas mentir, je suis n’gara (« maître griotte »). Je chante les vérités. Celles que les gens ne peuvent ou ne veulent pas entendre. »
Griotte d’exception, née en 1959, c’est effectivement l’une des rares n’gara du Mali. Un statut en connexion avec les esprits et dont les envolées musicales transcendent ceux qui les écoutent. « Etre n’gara, ça ne s’invente pas. On naît n’gara et on en devient digne, ou pas », explique Kandia Kouyaté, après avoir longuement cherché ses mots. Assise à ses côtés, Awa Cissé renchérit : « N’gara, c’est un peu sorcier. C’est mystique. On ne peut pas l’atteindre. » Awa Cissé et Kandia Kouyaté se connaissaient « avant d’être nées ». Le grand-père de Kandia était le griot de l’aïeul d’Awa. En toute logique, Kandia est devenue la djeli mousso (griotte) d’Awa et chante les louanges « de sa noble » depuis des années. Même si Awa a cru ne jamais plus l’entendre.
« C’est le chant qui m’a sauvé »
Terrassée par un accident vasculaire cérébral en 2004, personne ne pensait revoir sur scène la lionne du Mali. Elle sera muette pendant six ans. S’ensuivent de longues années de rééducation. « Mon esprit voulait dire des mots que ma bouche ne pouvait prononcer. » Les premières séances d’orthophonie ne sont que syllabes et balbutiements. « C’est le chant qui m’a sauvé », affirme Kandia, avant d’ajouter « et Sylla ». Sa voix s’éteint. Ibrahima Sylla, une autre légende de Kandia Kouyaté.
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A 20 ans, alors que la diva envoûte déjà toute l’Afrique de l’Ouest avec ses chansons mêlant sonorités malinké, khassonké et bambara, le producteur sénégalais la courtise. « Il voulait me faire enregistrer un album, mais j’ai mis longtemps à me décider », se souvient Kandia. Comme tous les griots, les mariages et les fêtes traditionnelles lui assurent un revenu suffisant. Mais Ibrahima veut la propulser sur la scène internationale. En 1999, l’album Kita Kan (« la langue de Kita », sa ville natale dans le sud-ouest du Mali) construit les bases de sa notoriété à l’étranger.
Cadeaux en pagaille
Son chant atteint les plus grands. Le public la vénère et l’éclat de la perle du Mali longtemps restée confidentielle est révélé au grand jour. Kandia raconte « qu’elle a reçu des dizaines de chevaux blancs » en cadeau. Dans la cour de sa petite maison familiale dans la banlieue de Bamako, son Kandiasso, son cheval, broute de la paille fraîche. « Les cadeaux, je les redistribue. Mais Kandiasso, je l’ai acheté. Il reste à mes côtés. »
Envoûté par sa voix, le milliardaire malien Sissoko Babani lui offrira même des voitures et un petit avion. Kandia rigole encore de bon cœur. De son AVC, il ne subsiste qu’une paupière qui peine à se fermer. Mais il a fallu se battre. C’est là que l’on retrouve Ibrahima Sylla. « Il est venu me chercher alors que j’avais perdu tout espoir. Il a réservé un studio et m’a dit : “Il faut chanter.” » Pour guérir.
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Le lendemain, Kandia et Sylla (lui aussi gravement malade, un cancer l’emportera en 2013), se retrouvent à Paris. Nous sommes en 2010, c’est la première fois que Kandia remet les pieds dans un studio. Avec pour seul juge un micro. Et Sylla. « Ma langue était si lourde. Elle ne voulait pas dire ce à quoi je pensais. Alors j’ai pleuré. » Ibrahima Sylla aussi. Pendant de longs mois, Kandia se replonge dans l’écriture. Pour aboutir à l’album Renascence, sorti début mars. Une résurrection. Les chants traditionnels côtoient les arrangements musicaux plus modernes, car « il faut s’adapter à l’oreille de la jeunesse, pour faire valoir la parole des anciens ». Un hymne à la voix qu’elle a d’ores et déjà porté sur les scènes de Bamako et de la Philarmonie de Paris avec les Amazones d’Afrique, le 12 mars. Deux concerts dangereusement ensorceleurs.