Dans une récente lettre ouverte, le Mouvement vert-jaune-rouge avait déclaré qu’il « a le regret de constater que 56 ans après l’indépendance du Mali, l’état peine à offrir un système sanitaire digne de nom à ses citoyens. De Kayes à Kidal, en passant par Bamako les citoyens maliens sont condamnés à aller se soigner à l’extérieur du pays. En tout cas, pour ceux qui en ont les moyens et le gros lot de la population n’a autre salut que de s’en remettre à Dieu dans des structures sanitaires qui répondent difficilement aux normes en la matière ».
Dans la même lettre le Mouvement vert-jaune-rouge soutenait que « la plupart des structures sanitaires du pays ressemblent à des mouroirs, où l’issue fatale semble être la seule solution imposée à une catégorie de malades ».
Monsieur le Président,
La gestion qu’a fait le Gouvernement malien du préavis de grève illimitée déposé depuis le 15 février 2017, par le syndicat national de la santé, de l’action sociale et de la promotion de la femme (SNS-AS-PF), et la fédération des syndicats de la santé et de l’action sociale du Mali (FESYSAM), nous pousse aujourd’hui, à croire qu’il se soucie peut du sort des populations maliennes.
Cette prise de position ne voudrait pas dire que nous soutenons l’allure sauvage qu’a prise la grève des structures sanitaires à travers le pays.
La grève est un droit constitutionnel reconnu au Mali, de là à prendre en otage la santé des populations, jusqu’à laisser mourir des patients, en contradiction flagrante du serment d’Hippocrate, il y a de quoi faire peur aux maliens. Qu’est ce qui a donc pu dénaturer le Malien ?
En attendant une réponse à cette question, nous sommes au regret de constater que non content d’avoir poussé le personnel des infrastructures sanitaires du pays à la grève illimitée, le Gouvernement n’a pas daigné lever le petit doigt pour trouver une solution à cette crise qui n’a fait que des victimes collatérales.
Comme pour dire que « le chien aboie la caravane passe », le Gouvernement Malien conduit par le Premier ministre Modibo keita, par son approche dans la gestion de cette autre crise vient de convaincre que le Peuple malien est loin d’être sa préoccupation.
Si non, comment comprendre que le Gouvernement, en connaissance des conséquences catastrophiques prévisibles, ait pu accepter que cette grève illimitée ait lieu. Et, pire, n’ait pas eu l’approche nécessaire pour y mettre rapidement fin. Avouons-le, il y a un peut de la mauvaise foi.
Monsieur le Président,
Dans tous les cas, loin de rassurer les maliens, la gestion de la grève illimitée du syndicat national de la santé, de l’action sociale et de la promotion de la femme (SNS-AS-PF) et de la fédération des syndicats de la santé et de l’action sociale du Mali (FESYSAM), inquiète.
Individuellement et collectivement, les maliens ont aujourd’hui des raisons d’être inquiets de l’avenir de leur pays. Tous les problèmes, même les plus insignifiants, prennent l’allure de conflits dans leur gestion, comme si le pays n’a plus de ressorts pour amortir les chocs.
En pareilles circonstances, les Organisations de la société civile devaient pouvoir jouer un rôle de médiateur, à défaut d’assumer celui de dénonciateur. Mais, malheureusement, souvent plus politiques que les partis politiques et de plus en plus manipulées par la préservation de leurs intérêts et le positionnement de leurs premiers responsables dans les différentes commissions mises en place pour faire face à tel ou tel problème, les organisations de la société civile malienne, sont en passe de devenir des coquilles vides qui n’ont aucune valeur ajoutée à la gouvernance du pays.
Monsieur le Président,
Que des syndicalistes convaincus de la pertinence de leurs revendications allant dans le sens de l’amélioration de leurs conditions de travail et de vie, refusent d’entendre raison, cela est compréhensible, même s’il est difficilement admissible, quand on assiste à une grève sauvage. Mais, que le Gouvernement mis en place par vos soins, après la confiance populaire du Peuple Malien, soit incapable de trouver une solution à cette grève, qui ne fait que des victimes depuis le 9 mars 2017, à travers tout le pays, est inacceptable et intolérable. Et, nous sommes convaincus que vous êtes d’accord avec nous sur ce point.
Jusqu’à preuve du contraire, aucun malien n’a élu aucun médecin ou infirmier et encore moins un travailleur des affaires sociales. Mais vous, vous avez été élu de la plus belle manière par la grande majorité des maliens. Et, nous ne croyons pas que cette mobilisation populaire des Maliens pour vous installer dans le fauteuil le plus prestigieux du pays, avait pour objectif de les laisser mourir sans soins.
Monsieur le Président,
Il n’y a aucun doute, nombreuses sont les victimes collatérales de cette grève illimitée, qui se sont sûrement battues pour que vous soyez le Président de la République du Mali. Elles ne l’avaient pas fait pour être individuellement récompensé. Mais, nous sommes persuadés qu’elles l’avaient fait, pour que dans vos fonctions de Président de la République que la prise en charge des services sociaux de base soit une priorité de votre action.
Conformément aux vœux de ces millions de Maliens qui vous ont soutenu et qui vous soutiennent encore, vous devez vous impliquer personnellement en donnant des instructions fermes au Gouvernement pour qu’il trouve une solution dans le plus bref délai à cette grève illimitée qui sape le moral des populations.
Monsieur le Président,
En attendant de trouver une solution urgente à cette grève, acceptez que nous revenions sur un certains nombre de problèmes que nous avions eu le privilège de dénoncer dans une précédente lettre ouverte. Pour le bonheur des Maliens, nous croyons qu’il va falloir s’y mettre pour trouver des solutions dans l’urgence.
Au Mali, quand une structure sanitaire a fière allure, le plateau technique n’est jamais au rendez-vous. La corruption aidant, les fournisseurs en complicité avec l’administration chargée de gérer nos hôpitaux, abonnés à la surfacturation, se sont spécialisés dans la livraison d’un matériel dont l’usage n’est plus d’actualité dans les états qui ont une petite estime pour leurs citoyens.
En plus du sempiternel problème des ressources humaines de qualités, nos hôpitaux souffrent énormément de l’insuffisance d’un équipement adéquat.
Quelles soient de qualité ou pas, les ressources humaines, fonctionnaires d’état pour la plupart, souvent en violation du serment d’Hippocrate, se sont spécialisés dans l’animation des structures sanitaires privées, au détriment des hôpitaux publics et de leurs nombreux malades, souvent nécessiteux.
Et, dès qu’on dénonce cet état de fait, nombreux sont les médecins généralistes qui vous diront qu’ils ne perçoivent qu’un salaire NET de 114 860 FCFA.
Monsieur le Président,
Loin de nous la volonté de vouloir jouer les avocats défenseurs des médecins que nous dénonçons le comportement dans l’application de cette grève illimitée, sans la mise en place d’un service minimum conséquent. Mais, nous croyons sincèrement qu’un effort doit pouvoir être fait pour les mettre dans des conditions idoines pour mieux soigner les Maliens.
Selon le témoignage d’un jeune médecin que nous taisons volontairement le nom, comment comprendre qu’un médecin généraliste qui travaille à l’Hôpital Gabriel Touré, consulte en moyenne 40 personnes par jour, soit 200 personnes par semaine et 800 par mois, en raison de 1000 FCFA part patient, ne perçoive que 114 860 FCFA par mois comme salaire NET, au moment où il a fait rentrer 800 000 FCFA dans la caisse de l’hôpital. Vous convenez avec nous qu’il y a une injustice à corriger dans ce cas d’espèce, afin d’éviter la démotivation du personnel.
En effet, démotivés pour certaines par le traitement salarial et les conditions de travail, nombreuses sont les ressources humaines de nos hôpitaux qui se soucient très peu du sort des malades. Pour certaines, le comportement n’a rien à envier à celui d’un commerçant véreux du grand marché de Bamako, pour qui l’argent n’a ni couleur ni odeur.
Heureusement, qu’il y a encore quelques agents sanitaires qui ont le sens de l’honneur et qui se battent contre vents et marées pour que les malades maliens soient soulagés de leur peine. Nous disons haut les cœurs à tous ces serviteurs de la bonne cause et de la Nation.
Monsieur le Président,
Que vaut la volonté d’un agent de santé dans des structures sanitaires démunies. A titre d’exemple, nous rappelons que pour plus de 15 millions de maliens, il n’y a aujourd’hui qu’un seul centre de dialyse, où les appareils sont souvent en panne.
Réelles ou imaginaires, ces pannes ont pour conséquence de pousser les malades dans des structures privées, où l’opération coûte 140 000 FCFA pour la 1ère séance et 65 000 FCFA pour les séances suivantes. Et, quand on sait qu’il faut deux séances pas semaine, nous avons là, une idée de la souffrance des maliens qui ont besoin de cette assistance.
Monsieur le Président,
Les maliens méritent mieux que cette piteuse image que leur renvoie leur système sanitaire, qui contraint le grand nombre de la population à l’automédication à travers les médicaments de la rue.
Souvent plus dangereux que la maladie elle-même, les médicaments de la rue, malheureusement, semblent s’imposer comme la solution unique pour bon nombre de nos concitoyens, lorsqu’ils sont dans l’obligation de soulager certains maux.
Hormis les campagnes de sensibilisations moles, aucune action concrète n’est conduite pour faire disparaître ces produits dangereux de notre environnement.
Chose grave, face aux nombreux échecs thérapeutiques, il y a fort à craindre de la qualité douteuse des produits pharmaceutiques que proposent certaines officines aux citoyens maliens. D’où le renforcement du contrôle de la qualité des produits disponibles dans nos pharmacies.
Monsieur le Président,
Face à autant de défis, le Mali n’a pas le choix. L’Etat du Mali doit s’assumer en toute responsabilité, afin qu’en matière de soins de santé, l’égalité des citoyens devant le service public soit une réalité pour tous.
Dans une précédente lettre ouverte, nous avons clairement dit que « l’état du Mali doit faire en sorte que les citoyens n’aient pas l’impression qu’il y a un système de santé pour les pauvres maliens d’en bas et un système d’évacuation sanitaire vers l’Europe ou les pays maghrébins pour une autre catégorie de la population ».
Bamako, le 19 mars 2017
Yagaré Baba Diakité
Président du Mouvement Vert-Jaune-Rouge