Au terme de sa visite de 48 heures au Mali, Hervé Ladsous, le Secrétaire général adjoint des Nations Unies, chargé des opérations de maintien de la paix, a parlé au micro de notre confrère de MIKADO FM. La situation actuelle, le bilan du processus de paix au Mali, les défis et perspectives, le diplomate Onusien est allé direct.
L’interview
MIKADO FM : M. Hervé Ladsous, bonjour.
SGA/Hervé Ladsous : Bonjour
MIKADO FM : Alors, vous êtes le Secrétaire général adjoint des Nations Unies chargé des opérations de maintien de la paix. Vous êtes en fin de visite au Mali, une visite de deux jours. Pouvez-vous éclairer nos auditeurs sur cette visite et ses objectifs ?
SGA/Hervé Ladsous : Premièrement, comme vous l’avez dit, je termine mes fonctions dans quelques jours. Donc je voulais, une dernière fois, venir au Mali pour d’abord prendre congé de tous nos interlocuteurs maliens avec lesquels j’ai beaucoup travaillé ces dernières années, travailler mais en général dans la confiance, présenter mon successeur, et puis faire le point avec la Mission sur le point où nous en sommes dans l’exercice du mandat. Le mandat que, comme vous le savez, le Conseil de sécurité va étudier à nouveau dans les prochains deux mois.
MIKADO FM : Alors, quel bilan faites-vous du processus de paix au Mali ?
SGA/Hervé Ladsous : Cela fait maintenant vingt-et-un mois que les Accords de 2015 ont été signés. Et il faut bien le constater le processus a été très lent et n’a pas produit tous les résultats que nous aurions escomptés bien en amont. Ceci étant, nous constatons qu’au cours des deux mois écoulés, il y a eu des développements positifs. Il y a eu la réunion au niveau du Comité de Suivi de l’Accord en février. Il y a eu des premières décisions qui ont été prises et qui commencent à être mises en œuvre sur la mise en place des administrations intérimaires dans le nord, pas partout. Il manque encore Tombouctou et Taoudéni, mais tout le monde y travaille. Donc, ça c’est un développement que je crois positif, comme est positif le développement que constitue le début, enfin, des patrouilles conjointes dans le nord. Tout ceci parce qu’en définitif, c’est ainsi que les populations du nord percevront que leur situation change et que les choses s’améliorent. C’est-à-dire en d’autres termes qu’elles perçoivent enfin les dividendes de la paix. Ces dividendes qui sont restées trop théoriques pendant trop longtemps. Et puis, je n’oublie pas que, pas plus tard qu’hier soir, le Gouvernement malien a annoncé que la Conférence d’Entente nationale va se réunir enfin dans dix jours, maintenant, et je crois que c’est un élément très positif dans le processus de paix et de réconciliation au Mali.
MIKADO FM : Alors là, vous venez de nous parler des avancées dans le processus. En quoi les défis se résument aujourd’hui ?
SGA/Hervé Ladsous : Les défis… Il reste… bon, j’ai mentionné la lenteur du processus politique. Mais je devrais mentionner aussi la situation sécuritaire, qui est une grave préoccupation. Car faute pour l’Etat malien de rétablir et de faire ressentir sa présence dans le nord, il y a eu un vide, et un vide dont ont profité les groupes armés terroristes. Les groupes armés qui, dans le même temps, ont progressé vers le sud et la région centrale du Mali. Et donc, c’est une préoccupation majeure. Une préoccupation à laquelle nous réfléchissons. Nous sommes en train d’abord de renforcer notre présence dans le Centre du pays, notamment dans la région de Mopti. Et puis, il y a le fait que le gouvernement malien a mis au point une stratégie intégrée de stabilisation dans la région centrale et nous allons essayer de l’aider par tous les moyens. Tout ça, c’est un processus dans lequel, d’ailleurs, il n’y a pas que les Nations Unies. Je voudrais mentionner le rôle évidemment crucial joué par les français de Barkhane après Serval. Le rôle aussi majeur que joue l’Union Européenne, à travers notamment la mission de formation EUTM qui produit, compagnie après compagnie, de jeunes soldats maliens qui vont pouvoir progressivement aider à ce rétablissement de la présence sécuritaire malienne dans toutes ces régions. Il y a aussi la mission EUCAP qui fait du très bon travail. Et donc nous travaillons tous étroitement ensemble. J’ajoute que dans la période récente, les pays de la région, les pays de la région sahélienne, du G5 Sahel, ont initié une réflexion à laquelle nous avons participé activement pour voir comment nous pourrons travailler davantage ensemble pour adopter une approche plus régionale de tous ces problèmes sécuritaires. Car nous savons qu’ils ne se limitent pas au seul Mali. Ce sont des problèmes qui se posent également au Niger, au Burkina Faso, en Mauritanie. Et donc voilà, je crois qu’il y a des coopérations qui vont se renforcer. Le Secrétaire général des Nations Unies le souhaite. Et nous devons mettre sa décision en œuvre.
MIKADO FM : Concrètement, quelles sont vos recommandations pour les parties prenantes à l’Accord de paix ?
SGA/Hervé Ladsous : Je crois que plus que jamais, il faut faire preuve de volonté politique. La solution au problème du Mali, n’est pas une solution militaire, elle est d’ordre politique, il faut que tout le monde adhère à un avenir partagé à un Mali jouissant de l’intégrité de ses prérogatives. Il faut faire toute une série de réformes, je pense à la réflexion indispensable sur la réforme du secteur de la sécurité. Concrètement, il faut déjà agir au plus vite sur la mise en œuvre effective du processus de Désarmement et Démobilisation et Réintégration (DDR) des combattants ; nous sommes prêts, nous avons huit camps qui sont prêts à accueillir les ex-combattants. Il faut que les groupes consolident leurs listes de personnel éligible et que nous puissions montrer là-aussi qu’il y a un suivi concret, qu’il y a des dividendes à cet égard pour tout le monde.
MIKADO FM : M. Hervé Ladsous, vous quittez les missions de maintien de la paix après avoir longtemps contribué à l’établissement et au travail de la MINUSMA, la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la stabilisation du Mali : quel bilan dressez-vous aujourd’hui du travail de cette mission ?
SGA/Hervé Ladsous : Je crois qu’il faut d’abord féliciter et remercier, et on ne le fera jamais assez, tous nos personnels sous la houlette du Représentant spécial, M. MahamatAnnadif. Je crois que tous se dépensent sans compter dans des conditions de sécurité qui sont quand même difficiles et nous le savons, nous en payons le prix, un prix élevé en termes de vies humaines. C’est vraiment un effort qu’il faut encore une fois saluer et un effort aussi d’imagination, d’adaptation à des circonstances qui changent. Un effort qui implique également au-delà de la MINUSMA, toute l’équipe pays, toutes les agences, tous les programmes qui font un travail difficile eux aussi, mais nécessaire parce qu’il y a encore une situation humanitaire, et même alimentaire dans certaines régions, qui est critique. Je crois que les gens nourrissent une attente. Mais je le redis et c’est très important, nous sommes en appui, nous sommes en accompagnement, nous ne nous substituerons pas aux partenaires maliens dont c’est la responsabilité première que de gérer tout ce processus. Mais nous sommes à leurs côtés dans la confiance et dans l’espérance qu’ensemble, on arrivera à des résultats probants.
MIKADO FM : Comment envisagez-vous cette mission en tant que principal artisan de cette mission ?
SGA/Hervé Ladsous : Je crois que le Conseil de sécurité va en débattre d’ici le mois de juin. Je pense qu’il y a un assez fort consensus au sein du Conseil sur le fait que nous avons engagé beaucoup de moyens, beaucoup de capital politique aussi. Le Conseil de sécurité d’ailleurs, vous vous en souvenez, a fait une visite à Bamako il n’y a pas si longtemps. Je crois qu’il faut bien voir qu’il s’agit du Mali, qu’il s’agit du Sahel, qu’il s’agit de toute cette partie de l’Afrique, il s’agit aussi de la sécurité de la région Méditerranée. Vous savez, quand on voit que les trafics de drogue, par exemple, loin de s’atténuer au contraire ont explosé et que cela alimente évidemment les finances des groupes armés, cela alimente des flux de drogue vers l’Europe, cela alimente aussi soyez-en conscients des flux d’êtres humains, de candidats au statut de réfugiés qui transitent vers la Lybie et vers l’Europe Ultima ratio.
Donc, de tout cela il faut prendre la mesure, il faut je crois avoir une approche aussi intégrée que possible qui mobilise tous les moyens et toutes les énergies.
MIKADO FM : Que recommanderez-vous comme changement ultimement dans le futur mandat de la MINUSMA qui est quand même l’une des missions les plus dangereuses des missions des Nations Unies ?
SGA/Hervé Ladsous : Une des missions les plus dangereuses et les plus délicates, c’est vrai. Mais je crois que le problème n’est pas vraiment un problème de mandat. Je crois que le mandat de la MINUSMA est vigoureux. Ce qu’il faut, c’est que nous continuions à travailler sur la capacité parce qu’il nous manque en permanence des moyens matériels, je pense aux hélicoptères, je pense aux véhicules blindés, il nous faut aussi constamment renforcer la préparation à tous ces risques asymétriques que sont les mines, les IEDs, les attaques à la roquette, donc il y a un gros investissement à faire sur les équipements, sur l’entrainement, sur la formation et comment gérer ce risque d’une manière aussi acceptable, si je puis dire, que possible; voilà les priorités sont de cet ordre.
MIKADO FM : C’est votre dernière mission au Mali en tant que Secrétaire général adjoint des Nations Unies, quel message vous portez au peuple malien aujourd’hui, un peuple qui a besoin de paix et de réconciliation ?
SGA/Hervé Ladsous : Un peuple qui en a effectivement tant besoin après tant d’années sinon de décennies. Je voudrais exprimer un message de confiance, un message d’espoir, mais je le redis nous ne ferons pas le bonheur et l’avenir du Mali sans que les maliens eux-mêmes ne soient au premier rang, qu’ils expriment leurs attentes, qu’ils y mettent les moyens et là je pense au Gouvernement bien sûr, à l’administration et aux institutions sécuritaires. Et je crois que c’est dans une unité de but et de détermination que nous arriverons à sortir de cette longue crise.
MIKADO FM : Donc vous avez un sentiment d’espoir ?
SGA/Hervé Ladsous : Un sentiment de confiance et un sentiment d’espoir.