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Sy Kadiatou Sow : “Il est temps que les autorités tendent les oreilles et ouvrent les yeux sur ce qui se passe réellement dans le pays”
Publié le vendredi 24 mars 2017  |  Le Reflet
Conférence-débat
© aBamako.com par Dia
Conférence-débat : " Rôle de la CEDEAO dans la gestion de la crise politique et sécuritaire au Mali"
Bamako, le 09 Novembre 2013. A l`occasion de la célébration de son 23 ème anniversaire, l’Association "Alliance pour la démocratie au Mali" (A.DE.MA) a tenu ce jour, une conférence-débat sur le thème :" Rôle de la CEDEAO dans la gestion de la crise politique et sécuritaire au Mali". c`était à la maison de la presse, et a été animée par Monsieur Toure Cheaka Aboudou, Représentant résident de la CEDEAO au Mali . photo: Mme sy Kadiatou SOW, Président de l`Association ADEMA.
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Elle assume élégamment et avec conviction le poids de l’âge et des responsabilités passées. Mieux, elle n’a rien perdu de sa verve, de son franc-parler, de la pertinence et de l’objectivité de son analyse politique. Pendant près d’une 1 h 30, Mme Sy Kadiatou Sow a fait plus que nous convaincre en nous entretenant sur les boulevards de l’actualité nationale dans une ambiance très détendue. Bien qu’à la retraite depuis deux ans, on sent que rien ne lui échappe parce qu’elle se soucie de sa patrie, elle s’inquiète de l’avenir de son pays et trouve toujours les mots justes pour le dire. Nous vous livrons ci-dessous la première partie de son interview.

Le Reflet : Qui est Madame Sy Kadiatou Sow ?



Sy Kadiatou Sow : Je me considère comme une femme politique, une femme engagée aussi dans le mouvement associatif féminin, une démocrate et une républicaine.

Le Reflet : En tant que leader politique, quelle analyse faites-vous du Mali d’aujourd’hui ?

Sy Kadiatou Sow : Très difficile ! Quand on interroge la plupart des Maliens, quels que soient leurs secteurs d’activités ou leurs catégories socioprofessionnelles, on se rend compte que c’est une période difficile pour beaucoup de gens. Le front social est en ébullition, la situation sécuritaire ne cesse de se dégrader. Ce n’est plus le Nord seulement, mais aussi le Centre et même le Sud, notamment la région de Ségou. Nous sommes dans une situation telle qu’on ne sait plus où le pays va. Et cela malgré les déclarations, qu’on trouve très optimistes, du président de la République qui dit que la paix est en marche. Ce n’est pas ce que les Maliens vivent ou ressentent aujourd’hui.

Il est temps que les autorités tendent les oreilles et ouvrent les yeux sur ce qui se passe réellement dans le pays. Il ne faut pas se focaliser sur la réussite d’un événement (Sommet Afrique-France) et ce n’est pas parce qu’on est en train de forcer l’installation des autorités intérimaires que tout va bien. Ça n’a aucun contenu et ça ne se traduit par rien de véritablement concret pour les populations. Malgré les difficultés du moment, il y en aura d’autres liées notamment à l’organisation des patrouilles mixtes, au retour des gouverneurs dans leurs circonscriptions.

Aujourd’hui, pour reprendre l’expression d’un de vos confrères, on a des gouverneurs fantômes nommés dans des régions fantômes où il n’existe presque rien en termes de représentations administratives. Pour encore reprendre votre confrère, ces gouverneurs sont comme des ambassadeurs du Mali accrédités dans ces régions avec résidence à Gao.

Tout cela pour donner l’impression que ça marche alors que ce n’est pas le cas. Pour que ça marche, il faut que les autorités acceptent de parler avec les autres, d’écouter les autres et de reprendre les choses en main. Il faut que la communauté internationale, qui vient normalement pour nous aider, exerce moins de pression sur nous, qu’elle nous laisse nous-mêmes décider ce que nous voyons comme solution de sortie de crise. Cette situation ne peut pas continuer avec son lot de morts chaque semaine, malgré la présence de toutes ces forces internationales (Minusma-Barkhane). On constate que si elles ne sont pas directement attaquées, c’est difficile qu’elles se mobilisent immédiatement contre des assaillants.

Avec ces groupes, qui ont pris les armes contre la République, on a signé ce fameux accord, dont la mise en œuvre demeure problématique, voire chaotique, avec un Comité de suivi budgétivore qui se réunit chaque fois pour ne constater qu’il y a des problèmes et dont les membres perçoivent des millions pour cela. Ce sont autant de ressources de l’Etat qui auraient pu être utilisées ailleurs, notamment dans le développement du Nord et du reste du pays.

Nous avons affaire à des gens qui aujourd’hui, sont d’accord et demain ont un avis contraire. On est donc dans un système où on ne sait plus à qui faire confiance. Les Maliens continuent de se demander comment sortir de la crise, comment mettre fin au calvaire ? Ce ne sont plus les déclarations qui vont rassurer les Maliens, mais des actes concrets.

“Cette révision constitutionnelle va poser des problèmes plus tard”

Le Reflet : Peut-être que la Conférence d’entente nationale pourra nous conduire vers une porte de sortie de crise ?

Sy Kadiatou Sow : Nous, au niveau de l’Adéma-Association, nous fondons beaucoup d’espoir sur cette Conférence d’entente nationale, si elle parvient à être réellement inclusive comme nous le souhaitons. Et nous l’avons rappelé au président de la Commission nationale préparatoire, M. Baba Akhib Haïdara, qui eu l’amabilité de nous recevoir. Nous lui avons dit ce que nous pensons, comment nous voyons l’organisation de cette conférence. Pour nous, elle doit permettre de mettre à plat tous les problèmes qui n’ont pas été pris en compte par ce fameux accord. Et une fois que les Maliens se seront exprimés là-dessus, beaucoup de réformes pourraient être engagés à partir de là.

Nous pensons ainsi que la Conférence d’entente nationale aurait dû précéder la réforme constitutionnelle en cours. Malheureusement, le pouvoir est en train de faire le forcing pour cette révision constitutionnelle, mais ça va poser des problèmes plus tard parce qu’on a compris qu’au lieu que l’Accord se conforme à la Constitution, c’est celle-ci qui s’adapte à l’accord. Ce n’est pas évident que les Maliens puissent accepter cela. Or, même si un débat va se faire avant, le referendum c’est deux questions : oui ou non !

Nous ne savons pas pour le moment d’ailleurs qu’elle est le contenu de la réforme annoncée. Maintenant que l’Assemblée nationale a été saisie, on le saura. Mais, à l’Adéma-Association, nous avons des inquiétudes. Nous pensons qu’il fallait d’abord écouter toutes les composantes de la société malienne, voire s’inspirer des recommandations de la Conférence d’entente nationale pour impulser cette révision.

Cela d’autant plus que, malgré tout ce qui a été dit, les partis politiques et la société civile n’ont pas été réellement consultés avant la signature de cet accord. Il n’y a pas eu de concertations réellement dignes de ce nom. Il n’y a pas eu de concertations locales, régionales et nationales comme on en a eu en 1994. C’est vrai qu’il y avait une urgence et la pression pour vite signer l’accord, mais aujourd’hui beaucoup de Maliens n’y adhèrent pas. Y compris dans les zones les plus concernées. C’est pourquoi il y a de problèmes autour de sa mise en œuvre.

Le Reflet : Comment se rattraper maintenant ?

Sy Kadiatou Sow : Nous, à l’Adéma-Association, nous nous disons que malgré que l’accord a été signé, rien ne nous empêche de revoir certaines dispositions, corriger certaines lacunes. Si on ne le fait pas, l’accord va rester comme tel et on va rester encore des années sans pouvoir l’appliquer. Nous allons alors rester sous tutelle pendant combien de temps ? On aura la Minusma et Barkhane encore pendant combien de temps ? Combien de temps tous ces partenaires vont rester mobilisés autour du Mali ? Personne ne le sait. Autant que les Maliens se mettent d’accord aujourd’hui sur ce qui est essentiel pour le retour de la paix, pour une paix durable et la véritable réconciliation nationale.

L’un des objectifs de la Conférence d’entente nationale est l’élaboration et l’adoption d’une Charte nationale pour l’unité, la paix et la réconciliation, mais cela n’est pas possible si on n’écoute pas tout le monde. Une fois que cela sera fait, même les réformes envisagées pourront être mises en œuvre aisément parce qu’elles bénéficieront alors de l’adhésion de tous.

Mais, si l’on veut contourner cette nécessaire consultation populaire pour aller directement à la réforme constitutionnelle, ce sera du forcing et je doute que les Maliens se laissent faire.

Le Reflet : Parlant toujours de la révision constitutionnelle, à la lumière de votre expérience politique, pensez-vous que le Mali a réellement besoin d’un Parlement à deux chambres pour consolider sa démocratie ?

Sy Kadiatou Sow : Non ! Au niveau de l’Adéma-Association, notre position a toujours été claire là-dessus. Nous pensons plutôt que le plus urgent, c’est de renforcer l’Assemblée nationale dans son fonctionnement, donner aux élus nationaux la capacité de faire le travail parlementaire. Les députés ne sont pas élus sur la base d’un CV. On ne leur fait pas confiance pour leur compétence dans un domaine précis, mais en tant que citoyens capables de défendre les intérêts de la nation

Mais, pour faire un travail parlementaire digne de ce nom, ils ont besoin d’avoir des assistants compétents. On va dilapider les ressources pour créer une chambre budgétivore pour caser des gens où ils vont vivre de prébendes, excusez-moi du terme, pour les calmer et ne pas avoir des problèmes, etc. Pour mettre en valeur les leaders communautaires (autorités traditionnelles, notabilités), on n’a pas besoin de créer une chambre. On peut bel et bien leur donner un statut dans notre pays aujourd’hui, leur donner ce qu’ils méritent.

On va créer un Sénat et on mettra tout le monde dedans pour finalement se retrouver avec certains qui sont élus et d’autres désignés. Quelle sera donc la légitimité des uns par rapports aux autres ?

Le Reflet : Dans le contexte démocratique malien, ne trouvez-vous pas qu’un Haut conseil des collectivités est plus représentatif comme institution qu’un Sénat ?

Sy Kadiatou Sow : Bien sûr ! Seulement il n’a pas eu à assumer, comme il aurait dû le faire, ses attributions. Le HCCT n’a pas assumé toutes ses attributions. A la limite on peut relire ses statuts pour corriger ses insuffisances et le renforcer. Mais, on ne doit pas renoncer à cette innovation de la IIIe République pour créer un Sénat parce que d’autres l’ont fait. On a vu certains pays le créer, le supprimer pour le récréer. Cela démontre que, moins qu’une institution, c’est un instrument politique entre les mains des dirigeants d’une époque pour régler certains problèmes. Nous ne voyons pas l’opportunité de créer un Sénat et nous nous élevons contre cela.

Le Reflet : Etes-vous d’accord avec les analystes et une partie non négligeable de l’opinion nationale qui pensent que le Mali est aujourd’hui au bord du chaos à cause de la faillite de sa classe politique ?

Sy Kadiatou Sow : Non ! C’est vrai qu’il y a des problèmes réels dans le pays. Mais, vouloir faire porter toute la responsabilité des problèmes du pays par la classe politique, cela peut-être dangereux. Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac en se disant que c’est la faillite de la classe politique. Sans les partis politiques, il n’y a pas de démocratie. Sans oublier que leurs responsables sont également des produits de la société malienne. Donc, à mon avis, c’est facile de tout mettre sur l’échec de la classe politique.

La société doit s’interroger elle-même. En se disant toujours qu’ils sont tous pareils, est-ce que nous Maliens nous n’avons pas entretenu un système tel celui-là qui nous amène progressivement à un détachement total de la chose publique, à un désintéressement ? C’est nous qui les choisissons, c’est nous qui les élisons régulièrement, c’est nous qu’ils arrivent à mobiliser pour aller faire campagne pour eux.

Certes, il est compréhensif d’interroger les élites politiques sur leur responsabilité, mais aussi la société civile sur ce que chacune a fait, pourquoi n’ont-elles pas fait ce qu’on attend d’elles pour éviter que certaines situations ne dégénèrent ? Qu’est-ce qui nous a conduits à la rupture démocratique de 2012 ?

Quand on est au pouvoir, on est comme dans une sorte de bulle où on aime entendre ce qui est doux à l’oreille. Et ceux qui critiquent, aujourd’hui encore on le constate, sont considérés comme des aigris. Et quand la situation se détériore et que les gens critiquent, ils diront toujours : ils étaient là et ils n’ont rien dit ! Mais, en réalité, ils ont parlé, mais ils n’ont pas été entendus, on ne leur a pas accordé toute l’attention requise, leurs critiques n’ont pas eu les échos nécessaires.

Je suis désolée et triste de le dire, mais à l’ORTM ça ne va pas. Sous le premier régime de l’ère démocratique, on avait des débats contradictoires, face à face entre adversaires politiques. Des débats étaient organisés autour de la gestion de la cité, des problèmes de la gouvernance. Aujourd’hui, on ne voit pas ça, on entend que la voix de son maître. Quand l’opposition s’exprime, quand les organisations de la société civile manifestent et ont des voix discordantes par rapport au discours officiel, elles n’ont droit qu’à une couverture au minima. Cela n’aide pas le pouvoir à avoir une bonne perception des problèmes du moment. Etre démocrates, c’est aussi accepter d’être critiqués, accepter des débats contradictoires.

D’une manière générale, ce que l’on peut reprocher à la classe politique, c’est que les efforts de ses responsables sont, en général, plus tendus vers la préparation des élections, vers les résultats électoraux. Je pense que beaucoup ne se posent même la question de savoir si on va pouvoir faire les élections ? Est-ce que la situation du pays permet d’organiser des élections dignes de ce nom ? Est-ce que nous aurons même un pays debout en 2018 ?

Je ne veux pas être pessimiste ou être de ceux qui noircissent le tableau. Mais, évitons d’idéaliser les choses. Les partis politiques font de leur mieux pour s’exprimer, malheureusement leurs voix ne portent pas loin ! Ils ont une part de responsabilité dans la situation actuelle mais la première des responsabilités est bien celle de ceux qui ont en charge la conduite des affaires de l’Etat.

La société civile malienne doit également s’interroger sur son rôle, sa responsabilité. Ce serait un tort que de jeter l’opprobre sur la classe politique. Nous devons identifier ce qui ne va pas au niveau des partis politiques, les aider à surmonter cela parce qu’il est clair qu’ils constituent un socle pour la démocratie.

Le Reflet : Est-ce qu’il y a une société civile malienne ?

Sy Kadiatou Sow : Il y a bien sûr une société civile. Même si elle se retrouve souvent écarteler…

Le Reflet : De nombreux observateurs trouvent qu’elle est trop inféodée au pouvoir ou aux organisations internationales que manipulent des lobbies ?

Sy Kadiatou Sow : Cette critique est également facile parce qu’on généralise trop ! On prend souvent le cas de quelques figures et on met tout le monde dans le sac avec eux. Il est vrai que des organisations sont financées par l’extérieur et des associations par le pouvoir en place comme d’ailleurs certains de vos journaux aussi. Mais, certains mènent un combat héroïque sans financement extérieur.

Elle existe donc cette société civile et essaye de trouver sa voie en se regroupant surtout. Il y a aujourd’hui des grands pôles d’organisations de la société civile qui se font ainsi entendre. Dans le système actuel de gestion de notre pays, il faudra encore leur faire plus de place pour que leur voix soit mieux et plus souvent entendue. Il faut juste cela et qu’elles (organisations) aient elles-mêmes la capacité de mieux s’organiser, plus de punch et de courage afin de se faire entendre de façon plus vigoureuse et à faire passer leurs messages à l’image de certaines sociétés civiles de la sous-région.

“A ce rythme, on aura la Minusma ici encore pendant des décennies. Ce qui n’est pas dans l’intérêt du Mali”.

Le Reflet : Etes-vous d’avis que la rupture de 2012 (coup d’Etat du 22 mars 2012) est en partie liée au fait que la Révolution de mars 1991 a un goût d’inachevé ?

Sy Kadiatou Sow : Est-ce qu’il y a un pays au monde où la révolution a été achevée ? Je n’y crois pas ! Il est clair qu’on aurait voulu faire plus que ça. Mais dans tous les pays où il y a eu un changement brutal comme au Mali en 1991, il y a toujours par la suite des déchirements, des affrontements. Interrogez l’Histoire et vous verrez que dans tous les pays, il y a eu cela. Si on doit voir entre le verre à moitié plein ou à moitié vide, je dirais qu’il est à moitié plein.

Quand on le dit, certains n’y croient pas, mais quand on menait ce combat, beaucoup d’entre-nous n’étaient pas préparés à nous retrouver immédiatement dans la gestion de l’Etat. Très peu y étaient préparés ! Nous menions un combat que nous situons sur les moyen et long termes.

Mais, subitement se retrouver à devoir gérer l’Etat, on y était pas préparés même si on y avait réfléchi théoriquement. Il a fallu faire plus vite, parer au plus pressé et comme on le dit, on a appris à forger sous les feux de l’action. Il nous a fallu apprendre, à prendre en main les affaires de l’Etat dans un contexte extrêmement difficile. Beaucoup oublient volontiers cela.

Avec le recul, c’est facile de dire que ça n’a pas marché. Il est vrai aussi qu’on s’est très vite tous retrouvés dans la gestion du pouvoir, alors qu’on aurait dû s’organiser pour avoir certains parmi nous à s’occuper de la construction de nos jeunes partis pour consolider notre démocratie naissante.

Le Reflet : Est-ce que l’Adéma-Association a une recette particulière pour réconcilier les Maliens ?

Sy Kadiatou Sow : Je ne crois pas qu’il y ait une recette miracle en la matière. Mais, nous pensons que tous les problèmes qui demeurent encore une entrave à la paix doivent faire l’objet de discussion inclusive, de débats sans tabous.

La Conférence d’entente nationale offre l’opportunité à notre pays de définitivement tourner la page des rebellions. Je ne dirais pas qu’il y en aura pas plus, mais je pense qu’on peut mettre fin à ce type de rébellions avec cette agressivité d’une rare violence et avec ces hécatombes. Le préalable, c’est de s’asseoir pour clairement poser les problèmes et d’en discuter.

Secundo, il nous faut compter d’abord sur nous-mêmes, sur nos capacités à réfléchir à la solution et qu’on ne reste pas toujours dans le schéma des autres. Ceux qui viennent nous aider ont en général un schéma en tête. Ils ne le disent pas et ils n’ont pas besoin de le dire, mais il suffit d’analyser pour comprendre qu’ils ont fait leur propre analyse depuis longtemps. Ils ont réfléchi à la situation pour sauvegarder leurs propres intérêts. Nous Maliens, nous devons agir de la même manière, réfléchir pour savoir quel est l’intérêt du Mali aujourd’hui à aller dans tel ou tel sens ? Quel est le meilleur schéma de sortie de crise ?

C’est à nous de le trouver. Il n’y a pas de recette miracle. Si nous acceptons de nous parler les yeux dans les yeux et de se dire clairement les choses, quelle que soit sa région, quelle que soit son ethnie ou sa religion ; qu’on s’entende sur le sens que nous donnons au vivre ensemble, on peut bel et bien nous en sortir. Pour le moment, ce dialogue, cette concertation nous manquent énormément.

Tertio, il nous faut renforcer les capacités opérationnelles de nos forces armées et de sécurité. Cela est aussi une question de choix, de volontarisme. Des mesures sont envisagées. Nous avons rencontré le ministre de la Défense et des Anciens combattants qui nous a donné des informations sur ce qui est en train d’être fait. C’est bien, mais nous pensons qu’il faut renforcer cela et accélérer même. Tant que la priorité ne sera pas donnée au retour de l’Etat, dans tous ses démembrements, dans les zones encore sous occupation, le Mali vivra une situation de partition de fait.

Pour le moment les services de l’Etat ne sont pas là, les services sociaux de base ne peuvent pas être là, cette histoire d’autorités intérimaires risque de se transformer en autorités définitives. Ce sont ces autorités intérimaires qui ont le pouvoir et elles vont se battre pour que les gouverneurs deviennent des fantômes, pour que les élections ne se tiennent pas. Et le pouvoir continuera de dire qu’on a pu les organiser dans plus de 600 communes et que ce n’est pas grave… Si l’on veut que nous soyons dans un seul territoire, dans une seule République démocratique et laïque, il faut que, quelle que soit la partie du pays, les citoyens jouissent des mêmes droits et subissent les mêmes obligations.

Pour ce faire, il faut que les symboles de l’Etat (les forces armées et de sécurité, les services de base, les préfets, les gouverneurs…) retournent dans ces zones. Il faut aussi que nos partenaires jouent le jeu. Le mandat de la Minusma dit qu’il faut aider l’Etat malien à restaurer et à préserver la sécurité des personnes et des biens sur l’ensemble du territoire. Mais quand nos forces armées et de sécurité sont cantonnées alors que les groupes armés, sous prétexte qu’ils sont divisés, sont libres, prennent les armes pour venir les attaquer et on les rassemble encore pour négocier, quand est-ce qu’on va sortir de ce cycle ?

Il faut que chacun joue son rôle, que la Minusma assume son mandat parce qu’à ce rythme nous l’aurons ici encore pendant des décennies. Ce qui n’est pas dans l’intérêt du Mali. Plus tôt nous nous organiserons pour que sa mission prenne fin, mieux cela vaudra parce dans ces zones qui échappent au contrôle du pouvoir central, les gens vont s’habituer à la gestion des jihadistes.

Déjà certains habitants de ces zones contrôlés par les islamistes commencent à dire : au moins avec eux, les règles sont claires ; ils sont certes radicaux dans leurs méthodes, mais au moins ils sont justes entre les gens, car ils ne font pas distinction entre riches et pauvres ; ils n’acceptent pas la corruption…

Ils commencent donc à comparer la gouvernance des jihadistes à l’administration publique. C’est très grave parce que plus longtemps on sera absent, moins on aura la chance de recouvrer la confiance des populations. Ainsi, même s’ils y retournent, les représentants de l’Etat auront du mal à se faire accepter parce que les populations se seraient habituées à un autre système.

Le dernier point, il faut faire en sorte que les conflits communautaires fréquents ces derniers temps ne dégénèrent pas en guerre civile. Il ne faut pas dramatiser cette situation, il ne faut pas non plus la minimiser. Il ne faut pas les réduire à des manipulations politiques ou à de simples différends entre éleveurs et paysans. Ce qui s’est récemment par exemple à Ké-Macina est extrêmement grave. Et il faut que les gens acceptent de se le dire parce que c’est un drame qui reste enfoui. Lorsque des cases sont incendiées avec des femmes et des enfants en train de dormir, les rescapés ne peuvent jamais oublier une telle scène atroce. Et quand ils auront une opportunité de se venger, ils vont le faire. Et cela dans un camp comme dans l’autre, qu’ils soient Bamanans, Bozos, Somonos, Peuls…

Quelle que soit l’ethnie, quelqu’un qui subit ce genre de choc émotionnel et qui ne sent pas une autorité à égalité de distance pour rendre justice, qui se heurte à l’arbitraire des agents de l’Etat, il va chercher à se venger. Les gens ne se sentant plus en sécurité, ils vont chercher à se protéger eux-mêmes.

Et ce n’est un secret pour personne que les armes circulent depuis longtemps dans notre pays et que cette menace a été accentuée par la crise de 2012. En plus des armes légères, on a des armes lourdes un peu partout maintenant. Les gens vont ainsi s’organiser pour se défendre et cela va engendrer des affrontements. A la longue, le sentiment national risque d’être érodé.

Les autorités doivent prendre conscience de ce péril et éviter de minimiser en cherchant toujours des boucs émissaires. Il y a des problèmes réels dans ces zones et si l’Etat n’y retourne pas rapidement pour prendre ses responsabilités, les réseaux terroristes vont en profiter pour recruter de plus en plus de jeunes au sein de toutes les communautés. Et ce sont ces recrues qui vont faire que le pays, qu’on le veuille ou non, sera divisé. On risque d’avoir alors des portions du pays entre les mains des groupes rebelles qui tiennent à leur Azawad, des jihadistes et bien d’autres réseaux criminels. En fin de compte, ce sera comme dans le Far West. J’espère de tout cœur qu’on n’en arrivera pas là et que nos autorités sauront éviter ce piège.

Propos recueillis par Moussa Bolly
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