Sur le rapport du Premier ministre, le Conseil des Ministres du vendredi 10 mars a adopté un projet de loi portant révision de la Constitution du 25 février 1992. Mais cette révision constitutionnelle divise les maliens au regard de son opportunité. Pour les partisans du pouvoir, il faut aller à la réforme constitutionnelle pour prendre en charge les éléments de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali.
Par contre, des experts indiquent que la procédure de la révision n’est pas respectée. Ces derniers évoquent que compte tenu de la situation d’insécurité que traverse le pays, il ne devrait pas y avoir de révision constitutionnelle au regard de l’article 118 de la constitution même si le processus avait été déjà enclenché. L’opposition démocratique et républicaine a même souhaité que le projet de révision constitutionnelle face l’objet de débat au cours de la conférence d’entente nationale qui a ouvert ses portes hier lundi au Palais de la culture de Bamako.
‘’Faut-il réviser la constitution ?’’ Tel était le thème de l’émission débat politik de Africable télévision le dimanche 26 mars 2017. Le journaliste Sékou Tangara recevait sur son plateau, Me Mamadou Gakou, président de la Convention parti du peuple (COPP), membre de la Majorité présidentielle, Me Amidou Diabaté, 1er vice-président du Parti pour la renaissance nationale (Parena), membre de l’opposition démocratique et républicaine, Dr Boubacar Diawara, chargé de cours à la faculté de droit public et Mamady Sissoko, constitutionnaliste. Durant plus d’une heure de temps, ce débat d’idée a été quelques fois houleux entre les juristes. Heureusement que le journaliste Sékou Tangara veillait au grain pour que cela ne déborde. D’entrée de jeu, les invités ont donné leurs points de vue sur la date du 26 mars 1991 au Mali.
Selon Dr Boubacar Diawara, le 26 mars a été une époque de révolution soutenue par le peuple et qui a occasionné l’avènement de la démocratie au Mali. Pour sa part, l’ancien ministre de la justice, Me Amidou Diabaté a fait savoir que la révolution du 26 mars fut utile même si toutes les aspirations du peuple malien n’ont pas été comblées. Quant à Mamady Sissoko, le 26 mars fera date de l’histoire du Mali. Aux dires de Me Mamadou Gakou, c’est tout simplement l’anniversaire d’un changement de régime au Mali.
Inopportunité d’une révision
Après ce premier tour de table, les quatre « juristes » autour de la table ont été invités à donner leurs impressions, d’abord, sur la procédure, et ensuite, sur l’opportunité de la révision constitutionnelle. Sans mâcher ses mots, le Dr Boubacar Diawara a fait savoir qu’il y a une crise au Mali, en principe, il ne devrait pas y avoir de révision au regard de l’article 118 de la constitution même si le processus avait été déjà enclenché, a-t-il prévenu. Cependant, il reconnait que la création du comité d’expert pour la révision constitutionnelle n’est pas interdite. Selon lui, la légalité de la révision constitutionnelle est discutable, car, la puissance publique est limitée sur une partie du territoire au Mali. «L’objet de toute constitution est la paix », a-t-il dit. Tout en reconnaissant la suprématie de la constitution, le professeur de droit public a indiqué que l’accord permet de sauver la constitution de 1992.
Pacifier le pays d’abord
Pour Me Amidou Diabaté, ancien ministre de la justice au Mali le fait d’amener la conclusion du comité d’expert de révision constitutionnelle à l’Assemblée nationale n’est pas inclusif. « Comment ne pas impliquer le peuple dans le processus d’élaboration de la constitution. Le fait de mettre en place un comité d’expert n’est pas une rupture de la constitution, mais, la société civile, les femmes, les jeunes, les autorités coutumières et religieuses ont leur mot à dire.
Comment ne pas discuter la révision de la constitution au cours de la conférence d’entente nationale. Sur le plan formel, l’article 118 n’est pas en cause car les groupes armés reconnaissent l’intégrité territoriale. Cependant la paix n’est pas revenue, le nord et le centre sont en ébullition. Vu cet aspect, est ce qu’il est opportun de réviser ? Il faut pacifier le pays plutôt que de réviser la constitution », a souhaité l’ancien ministre de la justice.
En outre, il a émis des doutes sur la possibilité d’organiser le referendum sur l’ensemble du territoire au regard de la situation d’insécurité qui règne. Il a, sans ambages, affirmé qu’il y a certains points dans l’accord d’Alger qui ne sont pas conformes à la constitution. « L’accord ne peut pas être supérieur à la constitution », a-t-il dit. Il a exprimé son désaccord sur la décision de la cour constitutionnelle sur les autorités intérimaires, car, selon lui, les autorités élus ont été enlevés au profit des groupes armés. « Si on veut aller vers la paix, discutons de ce qui est faisable et que le projet de révision constitutionnelle face l’objet d’une large concertation », a-t-il souhaité.
Quant au constitutionnaliste, Mamady Sissoko, il y’a 122 articles dans la constitution de 1992, mais la révision va amener les articles à 140. « Je ne pense pas que la procédure ait été respectée. On ne peut pas confier la révision de la constitution à un organe sans violer la constitution. Le Mali connait des difficultés.
La paix s’obtient avec le respect des règles. Nous sommes dans un changement de constitution et non une révision car c’est une 4ème République qui se pointe », a-t-il précisé. Avant d’ajouter que les conventions politiques ne peuvent pas s’opposer aux règles constitutionnelles. « L’accord n’a jamais fait de contrôle de constitutionnalité. On aurait dû attaquer l’accord pour inconstitutionnalité, le juge serait coincé. L’accord est inconstitutionnel au regard des articles 114, 115 et 116 de la constitution », a déclaré Mamady Sissoko qui a eu quelques « empoignades » avec Me Gakou.
Me Mamadou Gakou qui n’était sur la même longueur d’onde que le constitutionnaliste Sissoko, a fait savoir que le projet de révision est le bienvenu. Avant de signaler que la procédure de la révision de la constitution ne peut pas être anti constitutionnelle parce qu’elle est prévue par la constitution elle-même. Il reconnait cependant que le comité d’expert n’a pas compétence de réviser la constitution mais d’inspirer.
« Tout ce qui n’est pas interdit est permis. Il peut y avoir des jeunes, des femmes au sein du comité d’expert. L’Assemblée nationale aura à examiner ce projet. La commission des lois peut procéder à des consultations, en outre, il y aura le referendum. Il n’y a aucune atteinte, ni cession d’une parcelle de notre territoire, ni occupation du territoire. L’intégrité du territoire n’est pas atteinte», a-t-il dit.
Et de poursuivre que la constitution est une œuvre humaine, en conséquence, ce n’est pas une Bible ni un Coran qui ne peut pas comporter une virgule. « Le Mali est loin d’un Etat fédéral. Le Senat qui est dans le projet de révision constitutionnelle est la même chose que le Haut conseil des collectivités territoriales. C’est l’appellation qui change seulement », a-t-il expliqué. Enfin, il a rappelé que la précédente révision constitutionnelle a échoué parce que le président Alpha Oumar Konaré a décidé de renoncer au regard de la mauvaise interprétation de certains, sinon, poursuit-il, le parlement avait déjà voté le projet de loi.