Décembre 1983. Un petit village de Sourgoubila, à une quarantaine de kilomètres de Ouagadougou. Les ménagères écrasent le millet sur une grande meule commune. C’est là qu’elles échangeaient les informations. C’est là que l’une d’entre elles apprit qu’un de ses anciens amants, parti en Côte d’Ivoire, était de retour. Elle brisa sa calebasse de joie. Abandonnant farine et millet sur la meule, elle rejoignit ce dernier et passa une semaine auprès de lui. Son amant, qui était revenu pour un court congé, refusa de l’amener avec lui quand l’heure du départ fut proche. Elle regagna son foyer en larmes. Pendant qu’elle sanglotait dans sa case, son mari interrogea sa propre mère sur la conduite à tenir. ” Maman qu’est-ce que je dois faire de cette femme ?”
La vieille répondit : ” Fais en sorte qu’aucun homme de ce village n’ait honte un jour de dire qu’il est ressortissant de chez nous. ”
L’époux, blessé dans son amour propre, amena sa femme sur la meule et l’y égorgea avant de se donner lui-même la mort.
La vieille mère de l’époux fut choyée jusqu’à son dernier jour pour avoir donné un aussi ”bon” conseil à son fils : ” Fais en sorte qu’aucun homme de ce village n’ait honte un jour de dire qu’il est ressortissant de chez nous. ”
Ce fait divers rapporté par un de nos confrères il y a deux décennies nous interpelle tous : n’y a-t-il pas des moments où la simple évocation de nos origines nous fait honte ? Dans une Afrique déchirée par des guerres civiles aussi fratricides qu’inutiles, en proie à la maladie, n’avons-nous pas honte de dire publiquement que nous sommes ressortissants de tel ou tel pays ?
Et avec juste raison. L’Afrique est l’un des continents les plus riches en ressources naturelles. Paradoxalement elle occupe la dernière place dans le concert des nations. A l’exception de quelques rares pays qui ont abordé véritablement le chantier du développement, la plupart des pays africains restent la vache laitière d’une Europe en crise sociale sans précédente.
Exploités, nous le sommes. Marginalisés, nous le sommes encore plus. Nos chefs d’Etats qui ne sont ni plus ni moins que des pseudos colonisateurs, saccagent sans pitié les ressources de nos pays, condamnant leurs peuples à croquer quotidiennement la noix de la misère. Nos gouvernants se parent d’artifices démocratiques, d’institutions folkloriques pour vanter les taux de croissance économiques mesurés sur des bases abjectes que l’occident nous impose. A quoi sert une croissance, fut-elle à deux chiffres si les populations à la base c’est-à-dire les plus pauvres ne ressentent pas une amélioration dans leurs conditions de survie ?
Disons-le, nous avons honte de notre pays et de ses dirigeants. Comment peut-il en être autrement ? Comment peut-on être fier de vivre dans un Etat où le chef de l’Etat, dont le score lors des élections fait une concurrence déloyale avec le taux de pauvreté, et que durant son règne la misère ne cesse de faire des victimes ?
Pendant qu’ils sautent leur champagne dans leurs salons feutrés, un enfant meurt de paludisme parce que ses parents manquent de 400 francs CFA soit bien en deçà d’un euro, pour acheter une boite de quinine afin de sauver une vie, celle de leur fils. Pendant qu’ils roulent dans de belles voitures, préoccupés par la recherche de belles femmes, surtout de ”chair fraîche”, le fils du paysan est condamné à l’analphabétisme.
A qui la faute ? Nos dirigeants ? Ils ont dépassé le stade où la honte et la morale peuvent leur faire le moindre reproche. Ils ne sont plus à mesure de comprendre, ils n’ont plus d’âme.
Dans notre pays, il y eut des moments où l’on était fier de dire que l’on est Malien. Cette fierté se justifiait par notre amour au travail, notre sens de la justice et de l’honnêteté, notre courage à vaincre la pauvreté. Hier encore, nous étions jadis prêts à nous sacrifier par amour pour notre patrie si chère à nos yeux, même pauvre. Hier encore, nous acceptions vivre dignement sans sous.
Il est aujourd’hui de notoriété publique que c’est bête de ne pas se ”servir” quand on est aux affaires, c’est-à-dire quand le peuple nous confie une parcelle de son destin. Nous la gageons, comme nous l’avons fait de nos parcelles pour contracter du crédit et acheter un ”au revoir la France”, pendant qu’on vit toujours en location avec femme et enfants. Nous investissons cette confiance du peuple en politique.
Faisons en sorte de ne pas tenter le diable. La solution c’est le respect pur et simple de notre constitution et non sa modification, sources d’incertitudes. Non pas dans la logique actuelle qui consiste à faire de la Loi fondamentale, une cire molle, façonnable et interprétée à dessein en fonction de l’appétit de notre président-bourgeois. Faisons en sorte que la postérité n’ait pas honte de dire qu’elle est Malienne, à défaut d’être fière de l’être.
O. Roland