Le député des français de l’étranger Afrique de l’Ouest-Maghreb, Pouria Amirshahi, a transmis, dimanche 19 mars, une demande officielle au président de la République François Hollande de levée des archives pour aider à « l’établissement de la vérité » sur l’assassinat de l’ancien chef d’Etat burkinabé. François Hollande veut-il la vérité sur l’assassinat de Thomas Sankara ?
Le 15 octobre 1987, le capitaine Sankara, alors chef de l’Etat, était tué par ses frères d’armes devant la villa du Conseil de l’entente, siège du Conseil national de la révolution (CNR).
Circulez, il n’y a rien à voir
Trente ans après, son meurtrier n’était toujours pas identifié. Le régime burkinabé a en effet toujours refusé d’ouvrir une enquête sur les conditions tragiques de l’assassinat d’une des grandes figures révolutionnaires des Indépendances africaines.
La donne a radicalement changé depuis le renversement du président Blaise Comparé et l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de transition. Son corps a été exhumé par la justice militaire burkinabè qui a ouvert une enquête à la demande des autorités de transition. Le jour de sa mort, Thomas Sankara portait un survêtement rouge avec des rayures noires. Telles sont les découvertes faites par l’équipe chargée de procéder à l’exhumation du corps de l’ancien président. « Les opérations sont aussi minutieuses qu’une fouille archéologique, explique Me Bénéwendé Sankara, avocat de la famille de l’ex-chef de l’Etat. Son corps avait été posé à même le sol dans la tombe. Il n’y a plus que des morceaux de tissus et des ossements ».
Depuis, un juge d’instruction, François Yaméogo, a été chargé de l’enquête sur les conditions de cet assassinat. Le magistrat a lancé une commission rogatoire en France pour demander la levée des documents classés secret défense par les services français et qui concernent cet événement dramatique. La France en effet a traditionnellement maintenu une présence militaire forte au Burkina, y compris par la présence d’une antenne de la DGSE (services extérieurs français). De forts soupçons existent sur sa participation directe ou indirecte dans cet assassinat d’un Président qui affichait son indépendance face à la Françafrique.
Lettre de Pouria Amirshahi à Hollande
Après une nouvelle rencontre avec les avocats et la famille de Thomas Sankara à Ouagadougou, le député des français de l’étranger Afrique de l’Ouest-Maghreb, Pouria Amirshahi, a transmis, dimanche 19 mars, une demande officielle au président de la République François Hollande de levée des archives pour aider à « l’établissement de la vérité » sur l’assassinat de l’ancien chef d’Etat burkinabé. De tels documents bénéficient d’une absence totale de publicité s’ils concernent « les intérêts fondamentaux de l’Etat », touchant à la politique extérieure, la sûreté de l’Etat et la sécurité publique. » L’articulation entre la sûreté de l’Etat, le droit au respect de la vie privée et la possibilité pour la société de se saisir des enjeux historiques, écrit le député à François Hollande, est une question majeure dans un pays démocratique ». Et d’insister sur la nécessité de trouver « un équilibre » qui permette aux historiens de faire leur travail: « L’écriture de l’histoire ne doit pas être instrumentalisée par les enjeux politiciens »
Le président Hollande qui aura montré, durant son quinquennat, une indulgence coupable pour les chefs d’Etat du « pré carré français » – les Bongo, Sassou ou Issoufou – saura-t-il saisir l’opportunité de cette levée du secret défense pour se refaire une image plus favorable aux droits humains?
Nicolas Bau, mondafrique
La vie de Thomas Sankara
Thomas Sankara, né le 21 décembre 1949 à Yako en Haute-Volta et mort assassiné le 15 octobre 1987 à Ouagadougou au Burkina Faso, est un homme politique anti-impérialiste, panafricaniste et tiers-mondiste, chef de l’État de la voltaïque rebaptisée burkinabè de 1983 à 1987.
Il est le maître du pays durant la période de la première révolution burkinabè du 4 août 1983 au 15 octobre 1987, qu'il finit par totalement incarner. Durant ces quatre années, il mène à marche forcée une politique d'émancipation nationale (qui passe par exemple par le changement du nom de Haute-Volta issu de la colonisation en un nom issu de la tradition africaine : Burkina Faso, qui est un mélange de moré et de dioula et signifie pays des hommes intègres), de développement du pays, de lutte contre la corruption ou encore de libération des femmes. Le Conseil national de la révolution de Thomas Sankara exerçait cependant une véritable dictature qui donnèrent lieu à de multiples exactions contre les populations
Il est abattu lors d'un coup d'État qui amène au pouvoir son frère d'arme Blaise Compaoré, le 15 octobre 1987. Son souvenir reste vivace dans la jeunesse burkinabé mais aussi plus généralement en Afrique, qui en a fait une icône, un "Che Guevara" africain, notamment au côté de Patrice Lumumba.
La formation
Thomas Isidore Noël Sankara est un Peul-Mossi issu d'une famille catholique. Son père est un ancien combattant et prisonnier de guerre de la Seconde Guerre mondiale. Il fait ses études secondaires d'abord au lycée Ouezzin Coulibaly de Bobo-Dioulasso, deuxième ville et capitale économique du pays puis, de la seconde au baccalauréat, à Ouagadougou (capitale politique du Burkina), au Prytanée militaire de Kadiogo. Il suit, tout comme Blaise Compaoré, une formation d'officier à l'École militaire inter-armée (EMIA) de Yaoundé au Cameroun, puis à l'Académie militaire d'Antsirabe, à Madagascar, et devient en 1976 commandant du CNEC, le Centre national d'entraînement commando, situé à Pô, dans la province du Nahouri, à 150 km au sud de la capitale. La même année, ils prennent part à un stage d'aguerrissement au Maroc. Ensemble, ils fondent le Regroupement des officiers communistes (ROC) dont les autres membres les plus connus sont Henri Zongo, Boukary Kabore et Jean-Baptiste Lingani.
L'entrée en politique
En septembre 1981, il devient secrétaire d'État à l'Information dans le gouvernement du colonel Saye Zerbo avant de démissionner le 21 avril 1982.
Le 7 novembre 1982, un nouveau coup d'État porte au pouvoir le médecin militaire Jean-Baptiste Ouédraogo. Sankara devient Premier ministre en janvier 1983, position acquise grâce au rapport de forces favorable au camp progressiste au sein de l’armée, mais il est limogé et mis en résidence surveillée le 17 mai, probablement sous la pression de la France.
La Révolution démocratique et populaire
Un nouveau coup d'État, le 4 août 1983, place Thomas Sankara à la présidence du Conseil national révolutionnaire.
Sur le plan intérieur, il définit son programme comme anti-impérialiste, en particulier dans son « Discours d'orientation politique », écrit en septembre-octobre 1983 par Valère Somé et enregistré dans la salle du Conseil de l'Entente puis diffusé à la radio le 2 octobre 1983. Ainsi, en novembre 1986, Thomas Sankara avait attaqué la France de la cohabitation en présence de François Mitterrand et devant les caméras pour avoir accueilli Pieter Botha, le premier ministre d'Afrique-du-Sud, et Jonas Savimbi chef de l'UNITA, l'un et l'autre « couverts de sang des pieds jusqu'à la tête ». De ce fait, aux yeux de Thomas Sankara, ces gouvernants « en portent aujourd'hui et toujours la responsabilité ».
Sur le plan intérieur, son gouvernement retire aux chefs traditionnels les pouvoirs féodaux qu'ils continuaient d'exercer. Il crée les CDR (Comités de défense de la révolution), qui auront toutefois tendance à se comporter en milice révolutionnaire faisant régner la terreur.
L'assassinat
Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara est assassiné lors d'un coup d'État organisé par un de ses camarades les plus proches, Blaise Compaoré. Plusieurs jours plus tard, il est déclaré « décédé de mort naturelle » par un médecin militaire.
Les responsables et les circonstances de sa mort restent assez mystérieux. Le gouvernement français de l'époque - un gouvernement de cohabitation avec Jacques Chirac Premier ministre et François Mitterrand président de la République - ainsi que plusieurs autres gouvernements africains proches de la France sont ainsi soupçonnés d'avoir soutenu cet assassinat, voire Kadhafi.
Son frère d'armes, Blaise Compaoré, qui lui succède à la tête du Burkina Faso, est naturellement soupçonné d'être le principal responsable de son assassinat.
Thomas Sankara et certains de ses camarades tués lors du coup d'État seraient enterrés sans tombe au cimetière de Dagnoën à Ouagadougou (12° 21′ 55,58″ N, 1° 29′ 01,05″ O). Plus tard, de simples tombes en ciment sont construites.
Le 14 mai 2015, pour la première fois depuis 2007, Mariam Sankara revient à Ouagadougou après le renversement de Blaise Compaoré pour être entendue par le juge chargé d'enquêter sur la mort de son mari et est accueillie par plusieurs milliers de personnes. Des doutes subsistent sur le lieu réel de la sépulture de Sankara et en mai 2015, un juge burkinabè ordonne l'exhumation de corps du cimetière de Dagnoën pour déterminer s'il s'agit de Sankara et quelles sont les conditions de sa mort. Le 6 décembre 2015, Gilbert Diendéré, auteur du putsch raté de 2015 au Burkina Faso, est inculpé pour complicité dans l’assassinat de Thomas Sankara, le 15 octobre 1987.
Idées et actions politiques
La lutte anti-impérialiste
Thomas Sankara est un des chefs du Mouvement des non-alignés. Il côtoie beaucoup de militants d'extrême gauche dans les années 1970 et se lie d'amitié avec certains d'entre eux. Il met en place un groupe d'officiers clandestins d'influence marxiste : le Regroupement des officiers communistes (ROC).
Dans ses discours, il dénonce le colonialisme et le néo-colonialisme, dont celui de la France, en Afrique (notamment les régimes clients de Côte d'Ivoire et du Mali, lequel lance plusieurs fois des actions militaires contre le Burkina Faso, soutenues par la France).
Il se rapproche ainsi de plusieurs pays du bloc socialiste. En octobre 1986, peu avant le sommet Gorbatchev-Reagan à Reykjavik, il se rend une semaine en URSS, mais aussi à Cuba du 25 septembre au 1er octobre 1984, puis une deuxième fois au mois de novembre 1986.
Parallèlement, il rejette le fardeau de la dette qui pèse sur les pays en voie de développement. Son discours contre la dette [1] [archive], prononcé le 29 juillet 1987 lors d'un sommet de l'OUA, est sans doute le plus connu des discours de Thomas Sankara.
Devant l'ONU, il défend le droit des peuples à pouvoir manger à leur faim, boire à leur soif, et à être éduqués. Pendant ces quatre années le Burkina Faso est ainsi, selon les critères géopolitiques nés au milieu des années 1970, la dernière révolution de l'« Afrique progressiste », opposée à l'« Afrique modérée ».
La démocratie participative
Souhaitant redonner le pouvoir au peuple, dans une logique de démocratie participative, il crée les CDR (Comités de défense de la révolution) auxquels tout le monde peut participer, et qui assurent la gestion des questions locales et organisent les grandes actions. Les CDR sont coordonnés dans le CNR (Conseil national de la révolution). Cette politique visait à réduire la malnutrition, la soif (avec la construction massive par les CDR de puits et retenues d'eau), la diffusion des maladies (grâce aux politiques de « vaccinations commandos », notamment des enfants, burkinabè ou non) et l'analphabétisme (l'analphabétisme serait passé pour les hommes de 95 % à 80 %, et pour les femmes de 99 % à 98 %, grâce aux « opérations alpha »).
Sankara tente également de rompre avec la société traditionnelle inégalitaire burkinabè, en affaiblissant le pouvoir des chefs de tribus, et en cherchant à intégrer les femmes dans la société à l'égal des hommes.
Il institue la coutume de planter un arbre à chaque grande occasion pour lutter contre la désertification.
Il est le seul président d'Afrique à avoir vendu les luxueuses voitures de fonctions de l'État pour les remplacer par des Renault 5. Il faisait tous ses voyages en classe touriste, ses collaborateurs étant tenus de faire de même. Il est célèbre aussi pour son habitude de toujours visiter Harlem (et d'y faire un discours) avant d'arriver à l'ONU[réf. nécessaire].
Postérité
Thomas Sankara est considéré aujourd'hui par une grande partie de la jeunesse burkinabè voire continentale comme une sorte de "Che Guevara" africain (malgré leurs différences importantes). Au Burkina Faso, une multitude de partis et de mouvements de la société civile se revendiquent de lui.
En 2006, le Comité des droits de l'Homme des Nations unies condamne l'absence de tout procès ou de toute enquête de la part du gouvernement burkinabè. Cette décision symbolique constitue une première mondiale dans la lutte contre l'impunité.
Thomas Sankara a été proclamé modèle par la jeunesse africaine au forum social africain de Bamako 2006 et au forum social mondial de Nairobi en 2007.
Depuis le 28 décembre 2005, une avenue de Ouagadougou porte son nom, dans le cadre plus général d'un processus de réhabilitation décrété en 2000 mais bloqué depuis lors. Diverses initiatives visent à rassembler les sankaristes et leurs sympathisants, notamment par le biais d'un comité national d'organisation du vingtième anniversaire de son décès, de célébrer sa mémoire, notamment par des manifestations culturelles, tant au Burkina Faso qu'en divers pays d'implantation de l'émigration burkinabè. En 2007, pour la première fois depuis 19 ans, la veuve de Thomas Sankara, Mariam Serme Sankara, a pu aller se recueillir sur sa tombe présumée lors des 20e commémoration à Ouagadougou.
Les différents réseaux internationaux, notamment le CADTM (Comité pour l'annulation des dette illégitimes), ont fait du discours de Sanakara contre la dette en quelque sorte un étendard et une référence de son combat.
Source : Wilkipedia