Leur rôle dans la victoire d’Amettetaï a été déterminant, mais les soldats tchadiens l’ont payé au prix du sang en entrant par le flanc ouest de cette vallée cruciale, en coordination avec l’armée française, pour faire tomber ce sanctuaire d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Soixante-trois blessés, dont un nombre important à la tête ou dans le torse, preuve que les troupes d’AQMI, lors de leurs entraînements, ont eu le temps de perfectionner l’aptitude au tir de leurs fantassins. Vingt-six morts, aussi. Cela n’a arrêté personne. Et dans la tradition du rezzou (raid avec prise de butin), les soldats tchadiens emportent quelques prises de guerre, dont de précieux pick-up pris à l’ennemi.
Un camion équipé de BM21 (lance-roquettes multiples) a été abandonné sur le site du bivouac de la nuit précédente, simplement parce qu’un de ses pneus avant avait crevé. Plus loin, un camion-citerne a lui aussi échoué quelque part sous les arbres, sans doute en panne. Le bulldozer saisi par les forces tchadiennes, en revanche, avance vaillamment en leur compagnie. Les véhicules sont chargés de munitions jusqu’à la gueule, de groupes électrogènes, et même de nourriture saisie dans les stocks qu’AQMI avait constitués pour tenir un long siège dans l’Amettetaï. Au passage, les Tchadiens ont réussi un tour de force : subtiliser à la Légion étrangère le seul pick-up que ses propres hommes, qui marchent dans le massif depuis des jours (mais qui disposent d’autres moyens de transports), étaient parvenus à récupérer. Le pick-up ne démarrait pas. Des membres de la colonne tchadienne, croisant la route des soldats français, ont obligeamment proposé de les aider à réparer. « Ils ont dit qu’ils allaient l’utiliser pour déposer unemoto un peu plus loin, ils sont partis avec et on ne les a jamais revus », raconte, incrédule, un officier de la Légion.
Ce butin ne ralentit pas la machine de guerre tchadienne, qui a déjà fait ses preuves. Les troupes envoyées combattre aux côtés de l’armée française par le président Idriss Déby ont simplement dû changer un peu de tactique. Eviter deconserver ses véhicules groupés et de monter systématiquement vers des assauts frontaux, qui ont été si meurtriers. Car dans l’Adrar, les troupes ont eu affaire à forte partie. Une attaque bien menée sur leur colonne qui avançait bille en tête, a fait des ravages. Des kamikazes se sont fait sauter à leur approche, assis sur des caisses de munitions, ou jaillissant à l’improviste, le doigt sur l’interrupteur de lampe de chevet pour déclencher l’explosion du mélange de plastic et de billes d’acier contenu dans leur ceinture.
D’autres armées africaines se déploient au Mali à une vitesse qui est fonction de leurs capacités. Leurs hommes ont rarement dépassé Bamako, ou Gao, comme les troupes nigériennes. L’armée malienne elle-même n’a pas encore dépassé la frontière des zones proches du fleuve Niger, pour des raisons qui demeurent floues. Mais le contingent tchadien, de son côté, est parti à la guerre dans le nord du Mali avec près de 2 000 hommes, et vient de jouer un rôle clef dans la prise de l’Amettetaï.
« IL DOIT Y AVOIR CERTAINEMENT DES PERTES »
Sans ces combattants, il aurait été impossible de bloquer l’axe crucial de la vallée entrant par l’ouest dans la zone protégée d’AQMI, laissant béant un espace qu’il aurait été complexe de combler avec des troupes françaises. Les hommes du président Déby, qui a même dépêché son propre fils pour participer aux combats, sont maintenant sortis de la vallée de l’Amettetai et, de passage à Aguelhoc, doivent continuer à participer aux opérations.
Refusant d’être intégrée dans la Misma, la force internationale à composante africaine, qui est la grande absente de la guerre au Mali, de façon à garder toute sa liberté de manoeuvre, le Tchad s’est engagé dans une lutte contre le « terrorisme ». « Nous savons que nous partons en guerre, nous avons pris cette décision grave en sachant que dans ce genre de conflits il doit y avoir certainement des pertes »,a déclaré Moussa Faki, le ministre des affaires étrangères tchadien, dans un entretien à l’AFP à N’Djamena, en ajoutant : « Nous sommes dans une situation où il faut agir pour contenir le péril où il est. Sinon, il y a le risque qu’il se propage. »
La suite des opérations permettra de mieux comprendre l’ensemble des objectifs poursuivis par le Tchad. En 2008, N’Djamena, la capitale, avait été attaquée par des rebelles soutenus par le Soudan, et arrivés jusqu’aux portes de la présidence, avant d’être repoussés avec l’aide de l’armée française. C’est aussi cette dette qui se paye aujourd’hui. Pour le président tchadien, Idriss Déby, cet engagement est par ailleurs une façon de prendre une stature nouvelle dans la région. Au pouvoirdepuis vingt-deux ans, celui-ci a réduit son opposition à l’état de figurants. Ce n’est pas cette opération au Mali qui risque de mettre un terme à la concentration de ses pouvoirs au Tchad.