A 19 ans, il a rejoint les djihadistes du Mujao… Rencontre, à Gao, avec un jeune Malien qui a épousé la cause des islamistes armés, avant de comprendre qu’il avait été berné.
C’est une histoire d’enfance et d’amertume. Mohammed, 19 ans, ne craint pas de raconter sa courte histoire avec les islamistes armés du Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’ouest (Mujao), ainsi que les problèmes qu’il pourrait rencontrer avec la justice. « Je n’ai pas peur du Mali, explique-t-il. Ici, quand tu cherches à dire la vérité, on te fait taire avec un foutu billet de banque. Le monde entier a découvert le vrai Mali grâce à ces gens-là. » C’est la dénonciation de la corruption par les islamistes, justement, qui a séduit Mohammed.
Tout a commencé par une affaire de redoublement, injustifié aux yeux du jeune homme. Lui considérait avoir assez travaillé, n’était jamais absent. Il n’a pas toléré que le directeur de l’école lui propose de payer pour son passage en secondaire. Il refuse, l’insulte, redouble. A la fin du deuxième trimestre 2012, ses notes sont bonnes, mais Gao est prise, le 31 mars, par les rebelles touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA)et les djihadistes du Mujao. « Quand je les ai vus, confie-t-il, j’ai cru qu’ils étaient droits. »
Sa famille fuit à Bamako, lui reste à Gao avec son père. « J’ai entendu les rumeurs selon lesquelles les moudjahidines recrutaient. Alors, je suis allé leur dire que je voulais faire le djihad. Ils m’ont répondu: ‘Pas de problème, si tu veux combattre pour Allah’. Moi, je voulais surtout combattre la corruption. J’ai pris un peu de temps pour réfléchir, et puis je les ai rejoints. »
Les chefs, eux, ne priaient pas
Le camp d’entraînement est situé dans le jardin de Jawa, à la sortie de Gao, sur la route de Bourem. Un grand terrain, quelques bâtiments désormais détruits par les bombardements, désormais surveillé par l’armée nigérienne: « Il y avait des 12.7, des Land Cruiser, des armes lourdes. »
Chaque soir, on mangeait du boeuf. Ca, on ne peut pas dire qu’on avait faim!
Mohammed préfèrerait dormir chez son père, mais on lui explique qu’il ne pourrait sortir du camp avant la fin de la formation: 48 jours. « L’entraînement était facile. Il fallait sauter par-dessus des tonneaux, apprendre à monter et démonter les Kalachnikov, tirer sur des cibles. Chaque soir, on mangeait du boeuf. Ca, on ne peut pas dire qu’on avait faim! » Les recrues montent la garde, toute la nuit. « La foi me faisait tenir, » affirme-t-il.
Selon Europe 1, l’armée française a aussi découvert dans le sanctuaire d’Aqmi, au nord du Mali, que le groupe « employait » des soldats d’une quinzaine d’années.
La rage et la foi sont intimement mêlées, chez Mohammed, qui choisit ses mots avec application et se veut précis, car il déteste le mensonge. Des prêches lors de son passage à la « formation », il n’a retenu qu’une chose: « Si tu crains Dieu, les gens te craindront ». Le reste lui est passé au-dessus. Les chefs, eux, ne priaient pas.
La nuit, assis dans un trou à monter la garde, il observe les va-et-vient des véhicules: « La cinquième nuit, j’ai vu que quelque chose clochait. Des gens entraient pour voir les chefs, et sortaient avec des mallettes. Je n’ai pas osé poser de questions. Là-bas, tout ce que je pouvais faire c’était manger, tirer et obéir aux ordres. La sixième nuit, j’ai vu le chef mettre quelque chose dans la cuillère et inspirer par le nez. Le chef disait s’appeler Mouhamar, il était arabe, avec la peau très abîmée. Comme s’il avait brûlé. Il restait assis toute la journée. En tous cas, les chefs, c’était seulement des Arabes et des peaux-rouges [touaregs]. Eux, ils nous prennent toujours pour des esclaves. »
Prendre la tangente
La septième nuit, j’ai compris que ces gens étaient des faux
« La septième nuit, poursuit Mohammed, j’ai compris que ces gens étaient des faux. Des bandits. Des picks-ups arrivaient, tout le monde devait s’éloigner, ils faisaient leurs affaires. J’ai voulu prendre la tangente. » Après quelques jours de négociation, il part sans son arme, avec l’autorisation du gardien, auquel il explique que son père est mourant et qu’il ignore son engagement auprès du Mujao.
Mohammed part à Bamako et rejoint sa famille pour deux mois. Il veut raconter son aventure aux gendarmes, mais on lui rétorque qu’il n’est qu’un enfant. A son retour à Gao, en juin, les membres du Mujao ne le reconnaissent pas. Peu à peu, l’adolescent reprend ses études: « On nous a dit qu’on aurait à manger et tout. Le ministre a dit ça à la télé. Encore un mensonge. En revanche, les sujets d’examen étaient vraiment faciles. » Après un mois, les résultats tombent: « Je n’ai pas vu mon nom sur la liste des admis. Ca m’a choqué. »
Il tente de contenir sa colère avec de la bière, du gin en sachets, puis commence à prendre ce qui détruit les jeunes de Gao depuis plusieurs années. Ils l’appellent le « Tramol ». Il s’agit d’une dose concentrée de Tramadol, un antidouleur que l’on trouve auprès des vendeurs ambulants nigériens, les « djermas ». Ce que veut Mohammed désormais, c’est étudier, avoir une famille, aider les pauvres « si Dieu me prête longue vie ». Son histoire, il n’en a pas honte. « C’est entre moi et Dieu. »