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Tombouctou : Les nerfs à fleur de peau
Publié le jeudi 30 mars 2017  |  L’Essor
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© aBamako.com par mouhamar
Visite guidée de sites historiques (patrimoine mondial de l’UNESCO) en collaboration avec l’UNESCO et le Gouvernorat de Tombouctou
Bamako, le 26 août 2014. M. António Guterres, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a visité ce mardi, des sites historiques (patrimoine mondial de l’UNESCO) à Tombouctou.
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Les difficultés dans l’installation des autorités intérimaires créent une situation de ni guerre ni paix dans la capitale de la 6è région et ses environs. Des groupes armés tiennent mordicus à être impliqués dans le choix des dirigeants de la période transitoire

Vue du ciel, à bord d’un avion de liaison de la MINUSMA, la vielle ville de Tombouctou ne paye pas de mine. Elle donne plutôt l’impression d’un géant site archéologique pris en sandwich par les dunes de sable du Sahara. Mais il faut l’atterrissage du bruyant appareil militaire pour saisir le charme de la cité créée par la vielle Bouctou autour d’un puits depuis les temps immémoriaux. Les marchants arabes et les savants qui y ont séjourné jadis, ont fait sa prospérité légendaire et sa renommée planétaire. L’aérodrome ne reçoit plus de touristes comme naguère. Aujourd’hui, en lieu et place des touristes, ce sont des soldats venus des quatre coins du monde qui débarquent avec armes et bagages sous la bannière des Nations unies. Il y a aussi des humanitaires et quelques privilégiés bénéficiant des avantages accordés par la Mission onusienne. Les installations militaires ont fini par défigurer l’entrée principale de la ville. Avant d’arriver à la hauteur de la dune Chirac à gauche, il faut dépasser la base militaire de la MINUSMA. Celle de l’opération Barkane est située à quelques encablures de là. Les FAMAS sont postés aux check-points.
Avec la présence de toutes les forces armées, Tombouctou respire la guerre. Les vestiges des affrontements de 2012 sont encore visibles. Les murs des bâtiments publics sont toujours criblés d’impacts de projectiles.
Le spectre de la guerre continue de hanter la Cité mystérieuse. Ces derniers temps, la quiétude des habitants était perturbée par des crépitements assourdissants des armes de guerre aux portes de la ville. Pour en rajouter à la psychose, une folle rumeur s’est répandue dans la ville comme une traînée de poudre : une femme kamikaze est activement recherchée par les soldats français de Barkane. Elle serait prête à faire exploser sa charge. La rumeur circulait malgré la perturbation des réseaux téléphoniques à cause, dit-on, d’actes de sabotage sur des pilonnes-relais de Gossi. Le malheur ne vient jamais seul.
La ville de Tombouctou vit donc un épisode fort stressant. La tension est vive dans les ruelles tortueuses de la Citée des 333 saints. Les difficultés dans l’installation des autorités intérimaires mettent les nerfs à fleur de peau. Après deux reports, Bamako a dépêché une forte délégation pour trouver un terrain d’entente avec les groupes contestataires pour procéder enfin à la mise en place des autorités intérimaires dans les régions de Taoudéni et de Tombouctou. Élus locaux et chefs militaires originaires de la région accompagnaient le ministre de la Défense et des Anciens Combattants. Durant le séjour de la délégation, il y a eu de nombreuses séances de concertation avec le MAA et le CJA qui revendiquent leur implication à tous les niveaux. Ces groupes jugent inacceptable le choix du président du collège transitoire de Taoudéni.
Pour mieux comprendre les enjeux, revenons quelques semaines en arrière. Pendant qu’une commission d’organisation locale préparait la salle et les cartes d’invitation pour la cérémonie d’installation de l’autorité intérimaire de Tombouctou et l’autorité transitoire de Taoudenit, des véhicules tous-terrains bourrés d’hommes armés arrivèrent et campèrent à quelques kilomètres de la ville. Avec l’ordre d’empêcher à tout prix la mise en place de cette autorité qu’ils contestent énergiquement. Prêts à en découdre militairement s’il le faut, des combattants surexcités ouvrirent le feu en direction des soldats en poste à l’entrée de la ville. Un échange de tirs s’engagea jusqu’au moment où les militaires décrochèrent et rentrèrent dans leur caserne. Toutes les sorties de Tombouctou venaient ainsi d’être occupées par des groupes armés pourtant tous signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation. La ville était donc prise en sandwich par des hommes en armes prêts à l’envahir. Une médiation des notabilités et des forces internationales en présence permit de calmer le jeu. Mais les groupes armés n’ont pas renoncé à défendre militairement leurs intérêts. Ils tiennent mordicus à être impliqués dans le choix des autorités intérimaires.
Depuis, c’est l’impasse. Les forces en présence, notamment Barkane et les FAMAS ont tapé du poing sur la table en encerclant les combattants qui refusaient de lever le siège de la ville. Mais le feuilleton est loin de connaître son épilogue.
C’est dans ce contexte électrique que le nouveau gouverneur de la région, Koïna Ag Ahmadou, a pris fonction. Il partage ses efforts entre l’instauration de l’ordre publique, la participation de la région à la Conférence d’entente nationale et les négociations en vue de l’installation des autorités intérimaires. Autant dire qu’il a du pain sur la planche.
Dans cette situation, difficile de le rencontrer. Idem pour les leaders impliqués dans la crise. « Ils sont tous à Bamako », s’indigne un fonctionnaire de l’Etat qui précise que « cette crise est manipulée depuis la capitale » et que Tombouctou « n’est que le théâtre de ces grandes manœuvres ». En effet, les combattants sur le terrain sont de jeunes bergers convertis en guerriers naïfs et sans formation structurée. Ils se battent pour des causes dont ils ignorent totalement la portée.

L’AGACEMENT DES POPULATIONS. Chez les Tombouctiens lambda, c’est plutôt l’agacement. Non loin du marché « Yobou tawo » (nouveau marché), un marchant d’articles divers s’emporte : « d’abord, on nous impose les rebelles d’hier et après avoir accepté, on ne nous laisse pas tranquille. Nous sommes vraiment fatigués de tout ça! ». Même son de cloche chez les cordonniers qui sont établis à l’autre bout du marché. « Hey, m’apostrophe l’un d’eux, dites aux gens de Bamako que s’ils sont incapables d’assurer notre protection, qu’ils arrêtent de semer le désordre ici. Nous, gens de Tombouctou, nous sommes pour la paix. On n’aime pas la violence. Ils ont mis les apprentis sorciers qui, depuis quelques années, font la pluie et le beau temps. Comme dans la région de Kidal, Gao, Tombouctou n’est vraiment pas administrée. Les armes légères et les gros calibres se vendent comme des biscuits. Un Texas à la saharienne. »
Les nombreux groupes armés tiennent tous des postes, perçoivent des taxes et dictent leurs lois au grand mépris des lois de la République. A l’entrée de Tombouctou, le Gandeyzo et le MAA, se donnent les mêmes prorogatives que les forces armées et de sécurité. Traversant les plaines agricoles de Koreomé et d’Amadia, où les pépinières de la contre saison affichent fière allure, un cortège de véhicules flambant neufs passe à un rythme coordonné. Cette discipline est onusienne : soldats impeccablement habillés et casques blindés vissés à la tête. Ici, on les appelle « les touristes » à cause de la nature de leur mission. L’opinion nationale attend de cette force une lutte sans merci contre les terroristes et les groupes rebelles hostiles à la paix. L’ONU a martelé que son mandat reste la sécurisation des populations et la facilitation du retour à la normale.
En faisant une immersion dans la vielle ville, on peut avoir une idée de la température sur le plan sécuritaire. La peur d’une escalade de la violence domine les pensées de Mahmoud, un jeune arabe. Les autorités intérimaires, pour lui, c’est une affaire de « gens d’en haut ». Lui, veut vivre en paix avec les autres habitants de la ville comme l’a fait ses parents venus de Ber depuis deux générations.

L’IMPASSE. Sur la grande place qui jouxte le gouvernorat, le visiteur ne peut s’empêcher d’avoir un haut-le-cœur devant le spectacle affligeant du mythique monument Elfarouk gisant à même le sol. Ce symbole de la ville a été détruit par les terroristes quand ils ont pris possession de la ville en 2012. Si les mausolées, détruits au même monument, ont été restaurés, le monument du légendaire cavalier de Tombouctou, attend toujours d’être reconstruit afin d’achever le pied de nez aux obscurantistes. Elfarouk reste couché, brisé en mille morceaux. En face, le gouvernorat. A droite, le commissariat de police. Le camp militaire n’est qu’à un jet de pierre à gauche.
Pour que tout redevienne normal, il faudrait que la cité soit gérée par ceux qui y sèment actuellement le désordre. C’est tout l’esprit des autorités intérimaires, dispositions prévues par l’Accord pour la paix et dont les modalités opérationnelles sont consignées dans l’entente signée par toutes les parties. Mais le choix des hommes divise. Les mauvaises langues disent ici que le président du conseil régional sortant ne veut pas quitter son fauteuil. Le poste de 3è vice-président qui lui est promis ne semble pas lui plaire.
Pour ce qui est de Taoudenit, la nouvelle région dont le gouvernorat est délocalisé à Tombouctou, un groupe peu connu jusqu’ici, réclame à coups de canons son quota de représentants au sein des autorités intérimaires.
A quand alors l’installation des autorités intérimaires ? La question reste sans réponse. Elle ne dépend que de l’habileté de Bamako et des partenaires internationaux à satisfaire les exigences des hommes armés qui bloquent le processus.

LE FLEUVE NIGER MENACÉ. Sur la toute nouvelle route reliant le sud au Nord (Niono-Tombouctou via Léré et Goundam), les véhicules de la contrebande chargés de farine, de pates alimentaires et de sucre, circulent gaillardement. L’insécurité dissuade en effet les populations ordinaires à voyager sans craindre une attaque des bandits qui circulent très souvent à motos et sèment la terreur sur leur passage.
Le moyen de transport le plus usité reste le fleuve. A ce niveau également, les nouvelles ne sont pas bonnes. Le lit du Niger est menacé par les dunes de sable qui avancent inexorablement. Le président de la République a fait sien ce combat écologique qui nécessite de moyens colossaux.
Le seul point commun que l’on peut observer entre la route et le fleuve réside en la présence de nombreux postes contrôlés par de minuscules groupes armés. Toutes les embarcations s’y arrêtent pour payer 1000 à 2000 Fcfa. Ils sont généralement 2 à 3 hommes totalement dépravés sous un hangar bricolé à côté duquel flotte un drapeau déteint par le vent et le soleil. En termes clairs, ce sont les populations qui sont contraintes de subvenir aux besoins de ces hommes armés qui sont à l’origine de leur malheur. Ils font du racket pour se procurer nourriture et carburant. Aussi, beaucoup ont fait fortune avec les centaines de voitures et d’armes volées à l’Etat.
Indifférentes au malheur des hommes, de nombreuses vaches broutent l’herbe fraîche le long de la berge et semblent heureuses. La présence des hérons au long bec et des hirondelles picorant les bouses ne semble pas les gênent outre mesure. Les pêcheurs Bozo travaillent sans répit à remplir leurs petites embarcations traditionnelles de poissons. Très loin des querelles politico-militaires des agglomérations, ils font partie de cette majorité silencieuse qui ne demande que de la quiétude pour vivre de la sueur de leur front.
Envoyé Spécial
A. M. CISSE


ZONE INTERDITE

À Tombouctou, tout le monde le sait : on ne circule pas la nuit dans le quartier d’Abaradjou. Majoritairement habité par les arabes, ce quartier situé à la sortie de la ville, vers Goundam, est réputé très dangereux. Des meurtres de sang-froid y sont commis. Les véhicules 4×4 sont fréquemment élevés par des hommes armés. Ici, il n’est guère surprenant de croiser dans les rues une escouade d’individus armés circulant dans des véhicules « BJ », drapeau au vent.
Abaradjou, c’était aussi le quartier de l’imam djihadiste et du chef de la police islamique au moment de l’occupation.
Au poste de contrôle, les militaires se sont réinstallés. Des soldats sont postés derrière des sacs de sable. A une centaine de mètres, des combattants d’un groupe armé pointent leurs armes en direction des soldats. Les blindés de la MINUSMA barrent la route empêchant les groupes armés de pénétrer dans la ville. Une ambulance blindée est prête à démarrer. On ne sait jamais de quoi demain fait.
« L’Armée est revenue mais sans véhicules de combat. Sans même des armes lourdes. La raison est stratégique : si les rebelles voient des véhicules ici, ils feront tout pour les enlever dès la tombée de la nuit », explique un riverain. Un peu plus loin du poste, à un jet de pierre, des hommes en turban sont embusqués derrière les dunes de sable et des maisonnettes inhabitées. A 15 km de ce poste, d’autres unités de groupes armés sont en faction attendant des instructions de leurs chefs de guerre. Pour aller plus loin sans difficulté, il est conseillé de se prosterner devant les vaches sacrées. Au poste de contrôle, où tout doit être fouillé pour éviter les surprises désagréables, la garde baisse. Pour éviter de mettre le feu à la poudre.
« Ce sont des combattants de groupes armés qui ont mis en place un dispositif de combat au cas où leurs revendications ne sont pas prises en compte », ajoute la même source qui témoigne que les populations vivent dans la terreur. Ces combattants soutiennent n’avoir jamais pris les armes contre leur pays. Raison suffisante, selon eux, pour ne pas être ignorés au moment du choix des dirigeants pour installer la paix. Notre interlocuteur qui tient à l’anonymat pour des raisons de sécurité, prie de tout coeur pour le retour définitif de la paix dans la Cité des 333 saints.
A. M. C
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