A la retraite, le vieux prof Mohamedoun Dicko, titulaire d’un Doctorat d’Etat en Histoire Contemporaine et non moins Président d’honneur de l’Adema/Pasj, se prononce sur la conférence d’entente nationale qui se déroule présentement au Palais de la Culture. Dans cet entretien, il nous parle des principales causes de la crise malienne, de la gestion gouvernementale de ce processus, de la participation de la CMA et du boycott de l’opposition politique.
« Honnêtement, la conférence était attendue. Les maliens ont toujours voulu qu’on se rassemble pour discuter. La conférence a même trainé. En dehors de l’accord de la paix qui demandait qu’on organise ces assises, il faut reconnaître que ce besoin de se retrouver persistait. Cette conférence est arrivée dans un désordre. Le gouvernement a cherché à respecter son agenda et les recommandations faites par la communauté internationale. D’un côté, c’est une bonne chose. Mais depuis le départ, depuis les premiers propos du président de la commission d’organisation, j’étais inquiet. Parce que ce que les maliens voulaient, c’est de créer un espace d’expression libre sur toutes les causes des problèmes que notre pays a connus depuis les premières heures de l’indépendance. On n’avait jamais initié un tel débat. La crise de société au Mali, c’est depuis ces moments. Le fond de ces crises, c’est parce que nous sommes dans un cadre qui ne correspond pas à nos réalités, à nos ambitions et qui ne tient pas compte de la diversité, non seulement des populations, mais des régions. Le mode de vie est tout à fait différent. Même au niveau de ces régions, il y a des différences entre les populations. C’est cette sorte de désordre qui est à la base du coup d’Etat de 1968 contre le président Modibo Keïta, respecté de tous. L’expression de cette crise a également fait chasser Moussa du pouvoir en 1991 et ATT en mars 2012. Tout ça, par ce qu’on pas trouvé ce l’on voulait. C’est comme si, les gens ne sentent jamais qu’il y a du changement. Les gens ont toujours senti qu’on ne fait que du sur place.
Concernant le nord particulièrement, les anciens rebelles ont toujours estimé que les armes constituent le meilleur moyen de résoudre les problèmes. Il faut que les gens comprennent cela. Il faut faire attention. Les gens sont meurtris. Depuis le coup d’Etat du 19novembre 1968, l’Etat Malien est fortement répressif. On ne donne rien aux gens et prend tous des gens. Dans ces zones, on a l’impression que l’Etat est absent. Les gens ont toujours les impôts, mais en retour, ils n’avaient rien. C’est un problème que beaucoup de cadre du Mali ne connaissent pas. La cause fondamentale des rebellions cycliques, c’est que les gens se sont sentis frustrés. Avec la nouvelle génération, les gens du nord ne veulent continuer dans cette situation économique beaucoup difficile. L’Etat n’a jamais senti cela devrait être sa préoccupation. Mais ce qu’il faut éviter de déformer, c’est que les populations du nord, dans leur grande majorité sont attachées à la notion Etat nation du Mali. Ces populations se sentent Maliens. La crise de société est assez grave et profonde. Elle n’a pas seulement détruit la chose matérielle, mais elle a pratiquement ébranlé la confiance des gens du nord notamment les zones de nomade à l’Etat.
C’est pourquoi, pour régler une telle affaire, la conférence devrait être organisée. Ce n’est pas une question d’agenda. Je pense que le gouvernement aurait dû prendre toutes les dispositions pour qu’il y ait une conférence qui permette de parler de tout ça en toute franchise. C’est le moment, ou rien. J’ai entendu des gens parler de charte. Mais une charte est un écrit. Un écrit ne résout rien sur ce terrain. La démarche du gouvernement n’est pas bonne. Je suis fortement critique vis à vis de la façon de travailler du gouvernement malien. Un problème aussi grave ne doit pas être géré à la va-vite. Le choix des participants suscitent des doutes et d’interrogations. On n’a jamais expliqué aux gens comment ces 300 personnes ont été choisies. Il gens ont besoin de savoir sur quelle base appropriée ces gens ont été choisies. J’ai l’impression que les gens ont été choisis à main levée et qui ne seraient pas en contradiction avec l’Etat. Pour dire vrai, je suis pessimiste. Tout se ce qui passe comme déroulement me rend très préoccupé par l’issu de cette conférence. En tout cas, si c’est la seule conférence, elle ne va pas régler les problèmes du Mali. En l’état actuel, j’avoue que cette conférence ne rassure pas. C’est regrettable que le Chef qui vient en personne dire qu’on peut prendre le train en marche. C’est une insulte. Ces propos ne doivent pas se tenir ici. Nous ne sommes pas des badauds. Il faut qu’il y ait un minimum. Il ne faut prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. La question est tellement sérieuse que même les gens qui ne sont pas venus, ont leur position. Ce n’est pas par fantaisie. Ils ne sont pas d’accord avec ce qui se passe et ce qui se fait. Il faut qu’on sache pourquoi le gouvernement a refusé des objectifs que les uns et les autres avaient souhaité qu’ils soient retenus dans le débat. Je croyais que cette conférence serait tout à fait ouverte. On dirait que le gouvernement a peur de quelques choses. C’est un problème dont il faut rentrer en profondeur pour trouver des solutions adéquates et durables. Le peuple a trop souffert. Dans cette affaire, il faut avoir le courage d’écouter ce qu’on reproche à l’Etat. L’Etat aussi a des choses à reprocher aux mouvements de rébellion, comme l’affaire d’Aguel Hoc. C’est une affaire terrible. C’est dans la vérité que l’on pourra se mettre ensemble. C’est pour toutes ces raisons qu’il fallait bien préparer la conférence pour que ça soit inclusif.
L’opposition a le droit d’avoir la position qu’elle a. Mon rôle n’est pas de dire que c’est bien ou mauvais, ce qu’elle fait. Les maliens oublient que nous sommes dans l’Etat. L’Etat n’est pas soumis à une gestion familiale comme le conçoivent beaucoup de Maliens. La gestion de l’Etat n’est pas une question de famille. Nous sommes des Maliens qui vivent dans un Etat. Il n’y a jamais eu ça au Mali. Ce pays est une terre de violences. Les gens n’ont qu’à revisité leur histoire de façon sérieuse. C’est sentimental de vouloir faire gérer les gens comme en famille. C’est une grande ignorance de dire que la gestion du Mali, n’est pas politique. Le Mali est né dans la politique.
Les empires qu’on a eus sont nés d’action politique. Le libéralisme est politique. C’est la politique qui crée les guerres. L’opposition croit avoir fait une bonne option. Dans une certaine mesure, ils n’ont pas tort, par ce qu’ils disent qu’ils ont des objectifs qui n’ont pas été respectés.
On dit que la CMA n’était pas, mais qu’elle est revenue. Je dis tout simplement que ce n’est que de la politique. Il ne faut pas qu’on se leurre. Le comportement de la CMA, ça s’appelle la politique. C’est de cette manière, qu’ils perçoivent la chose comme allant dans le sens du développement du Mali. On ne sait pas ce qui s’est passé pour que la CMA revienne. Ce qui dit aux gens est une chose. Ce qui n’a pas été dit est une autre. Si l’Etat ne parle pas, les gens ont le droit de spéculer et même d’inventer. Le Mali a changé. L’Etat a le couteau sur sa gorge. Je souhaiterai que le pouvoir en place comprenne que les Maliens sont fâchés et déçus. Les Maliens ne croient plus Si le pouvoir veut aller dans le sens de la défense des intérêts Maliens, il a intérêt à tenir compte de ce que les gens disent. L’Etat n’est pas obligé de faire obligatoirement ce que les gens disent, mais c’est d’en tenir compte. Beaucoup sont apparemment pour, mais à l’intérieur, ils ne sont pas d’accord pour cette conférence. Ça aussi, c’est malien. Au contraire ceux qui sont contre cette rencontre ne sont pas forcément mauvais. La paix, c’est dans la vérité. Sans vérité, il n’ ya pas de paix. Le « moussalaha» auquel les maliens sont habitués ne marchera pas dans cette affaire. C’est de la démagogie et l’hypocrisie ».
Entretien réalisé par Jean GOÏTA