Le projet de révision de la Constitution de 1992 initié par le Président IBK est de plus en plus dans les creux de la vague de contestations venant tant du côté des acteurs politiques que ceux de la société civile. En effet, les griefs contre le projet se multiplient et la donne a pris toute une autre tournure avec la saisine de la Commission des Lois Constitutionnelles, de la Législation, de la Justice, des Droits de l’Homme et des Institutions de la République de l’Assemblée Nationale par l’ancien Premier ministre, non moins Président d’honneur de la CNAS Faso-Hèrè, Soumana Sako, aux fins « d’engager contre le Président de la République et son Gouvernement une procédure de mise en accusation pour haute trahison » !
Dans sa correspondance adressée à cette commission, Soumana Sako note : « Nous trouvons l’initiative inopportune, injustifiée, mal inspirée, anticonstitutionnelle, inutilement coûteuse et dangereuse pour la consolidation et l’épanouissement de la démocratie au Mali », du moment que la lettre No : 0022/PRM du Président de la République datée du 15 mars 2017 ne dit pas quelles sont les « lacunes et insuffisances » que l’application de la Constitution de la IIIème République aurait révélées. Une Constitution qui, selon Soumana Sako, a fait ses preuves, pour avoir non seulement survécu au coup d’Etat du 22 mars 2012, mais aussi et surtout, pour avoir servi de principal rempart et point de ralliement de toutes les forces républicaines pour faire échec au putsch.
L’argument, qui s’apparente en fait à une argutie et à un prétexte à peine voilé, relatif aux difficultés ayant entouré l’interprétation de l’article 36 en ce qui concerne particulièrement la durée de l’intérim en cas de vacance définitive de la Présidence de la République est sans fondement, la Cour Constitutionnelle ayant, à l’époque et en harmonie avec ses prérogatives constitutionnelles, tranché la question, note l’ancien Premier ministre, qui trouve par ailleurs que les problèmes de gouvernance, notamment politique et financière, découlent de défaillances notoires dans le choix des hommes et des femmes chargés d’incarner et d’animer les institutions, et non d’imaginaires « lacunes et insuffisances » de la Constitution de 1992.
« La motivation essentielle du projet de révision de la Constitution est donc à rechercher ailleurs : a) légitimation de l’Accord d’Alger, cet Accord de la démission nationale qui viole la Constitution et prépare le lit politique, juridique et diplomatique de la partition de la République du Mali ; b) concessions aux forces antidémocratiques et restauratrices nostalgiques de l’ordre sociopolitique colonial et en quête de remise en cause de la Révolution du 26 mars 1991 ; c) affaiblissement de la souveraineté du Peuple c) velléités de mise en place d’une dictature personnelle au service d’un régime ploutocratique annoncé déjà par la loi électorale du 17 octobre 2016 », souligne au passage Soumana Sako.
Celui qui fut l’un des artisans farouches de l’élaboration de la constitution de 1992 énumère les incohérences, les failles et les pièges qui se trouvent dans le projet de révision constitutionnelle…
La référence à la Charte de Kuru Kan Fuga serait une aberration absolue.
La formulation retenue dans la Constitution de 1992 concernant les langues nationales est la bonne et il n’y a aucune raison d’en changer.
Les institutions prévues dans la Constitution de 1992, y compris la Haute Cour de Justice, doivent être toutes conservées en l’état et dans leur ordre d’énumération et compétences actuels. Le Mali n’a point besoin d’un Sénat.
Le projet de révision ne répond à aucune préoccupation du Peuple. Celui-ci tient à la Constitution de 1992 et à son respect absolu par tous.
Avec l’Accord d’Alger, le Président de la République a violé la Constitution. En particulier, il a violé son serment de « respecter et faire respecter la Constitution ». La violation du serment présidentiel est un parjure et une forfaiture. L’Assemblée Nationale faillit gravement à son rôle et trahit la confiance du Peuple en n’en tirant pas toutes les conséquences tant politiques que de droit.
Et Soumana Sako de conclure : « l’Assemblée Nationale doit faire œuvre de responsabilité et de salubrité démocratiques en rejetant le projet de révision de la Constitution et en envisageant plutôt d’engager contre le Président de la République et son Gouvernement une procédure de mise en accusation pour haute trahison ».
D’autres acteurs majeurs de la classe politique et de la société civile contestent à leur tour le projet de révision constitutionnelle initié par IBK.
Ainsi Me Amidou Diabaté, avocat et ancien ministre de la Justice, également vice-président du Parti pour la Renaissance Nationale (PARENA), Dr Boubacar Diawara, chargé de cours à la Faculté de Droit public, et Mamady Sissoko, Constitutionnaliste, sont unanimes eux aussi qu’il n’y a pour le moment aucune urgence d’aller à une révision constitutionnelle.
Dr Boubacar Diawara part du fait qu’il y a crise au Mali, et qu’en principe, il ne devrait pas y avoir de révision au regard de l’article 118 de la constitution, même si le processus avait été déjà enclenché.
Me Amidou Diabaté, quand à lui, se pose des questions : « Comment ne pas impliquer le peuple dans le processus d’élaboration de la constitution. Le fait de mettre en place un comité d’expert n’est pas une rupture de la constitution, mais, la société civile, les femmes, les jeunes, les autorités coutumières et religieuses ont leur mot à dire. Comment ne pas discuter la révision de la constitution au cours de la conférence d’entente nationale. Sur le plan formel, l’article 118 n’est pas en cause car les groupes armés reconnaissent l’intégrité territoriale. Cependant la paix n’est pas revenue, le nord et le centre sont en ébullition. Vu cet aspect, est-ce qu’il est opportun de réviser ? ». Il faut, au préalable, pacifier le pays plutôt que de réviser la constitution, préconise-t-il.
« Je ne pense pas que la procédure ait été respectée. On ne peut pas confier la révision de la constitution à un organe sans violer la constitution. Le Mali connait des difficultés. La paix s’obtient avec le respect des règles. Nous sommes dans un changement de constitution et non une révision car c’est une 4ème République qui se pointe… L’accord n’a jamais fait objet de contrôle de constitutionnalité. On aurait dû attaquer l’accord pour inconstitutionnalité, le juge serait coincé. L’accord est inconstitutionnel au regard des articles 114, 115 et 116 de la constitution », dira pour sa part le Constitutionnaliste Mamady Sissoko.
Pour ce qui concerne le Syndicat Autonome de la Magistrature « SAM », qui trouve l’initiative de réviser la Constitution salutaire en ce qu’elle contribuera à améliorer le fonctionnement des Institutions de la République et la situation des droits de l’homme, à corriger les imperfections de la Loi fondamentale et à contribuer à la paix et à la stabilité du pays par l’application de certaines dispositions positives de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, il émet des réserves quant à l’opportunité juridique de la révision, au regard de l’article 118 alinéa 3 de la Constitution qui dit : « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ».
Du côté du pouvoir, on entend très peu de réaction à ces arguments développés par ceux qui sont contre la révision constitutionnelle. Et il faut s’attendre dans les jours à venir à de véritables levées de boucliers contre le projet. Le Président IBK, comme ses prédécesseurs, va-t-il renoncer à son projet ? Attendons de voir !
Bamey Diallo