Adoré par le public et apprécié par les professionnels du 7e art à Ouagadougou « Wulu » ou le « Chien » du réalisateur malien Daouda Coulibaly a été curieusement privé d’Etalon du Yennenga au 25e Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco, du 25 février au 4 mars 2017). Ni le bronze ni l’argent à plus forte raison l’or.
L’œuvre se contente du Prix spécial « Sembene Ousmane » décerné par la Fondation Ecobank (un trophée et une enveloppe de 5 millions de F CFA) et celui de la meilleure interprétation masculine décerné à Ibrahim Koma. Ce magnifique film traite pourtant d’un sujet qui compromet l’avenir du continent par son pouvoir de déstabilisation : le trafic de drogue, le crime organisé !
Un thriller hollywoodien autour du trafic de drogue au Mali, notamment dans son vaste septentrion : c’est la trame de « Wulu », le « Chien ». « Le titre fait référence au N’Tomo qui est une initiation que l’on pratique au Mali. Le niveau du chien est le dernier des cinq niveaux qui nous permet de valider l’initiation », explique Daouda Coulibaly.
Un film réalisé par Daouda Coulibaly, avec un budget faramineux : 1,6 milliard F CFA. Mais, le résultat est à la hauteur du sacrifice parce que ce diplômé de philosophie économique originaire de Nioro du Sahel offre aux cinéphiles 95 minutes de pur bonheur, de suspense… d’émotion ! « Wulu » est un film de très belle facture, bien accueillie dans les salles et par la critique.
Il est donc surprenant que cette œuvre ne figure pas au palmarès des Etalons du Yennenga du 25e Fespaco. Et surtout qu’elle traite d’un thème qui est en train de plonger l’Afrique, surtout la bande sahélo-saharienne, dans un cycle de violence et de déstabilisation hypothéquant ainsi tous nos efforts de développement économique, culturel…
Le héros, Ladji, apprenti chauffeur irréprochable, perd son travail. Pour survivre, il accepte de livrer de la cocaïne à la frontière du Mali. Mais, l’appétit vient en mangeant. Bien rémunéré pour ses missions, on ne s’embarrasse que rarement de scrupule. D’ailleurs, quand on est jeune, pauvre et ambitieux, comment résister aux sirènes du crime organisé ?
Le livreur devient vite un homme de main des barons de la drogue dans le désert où les cartels d’Amérique du Sud côtoient la nébuleuse islamiste. Mais ce que Ladji (Ibrahim Koma) n’a pas compris dans son ascension fulgurante, c’est que dans cette jungle on passe aussi rapidement d’un extrême à un autre sans même s’en rendre compte. Autant on atteint aisément le sommet, autant la chute est vertigineuse sinon tragique et mortelle.
Ce film est plus d’actualité parce qu’il s’inspire des facteurs de déstabilisation de l’Afrique, principalement du Mali qui est malade de son Nord depuis près d’une décennie parce que le pouvoir a fermé les yeux sur un trafic dangereux : la drogue !
Le jeune réalisateur lève donc le voile sur « les trois rôles » que les groupes armés peuvent remplir dans le jeu du trafic de drogue : prélever une dîme lorsqu’un convoi traverse leur territoire, protéger le convoi ou faire partie de l’organisation du convoi.
« Quand j’apprends l’existence d’un tel trafic de drogue, j’ai une vision plutôt catastrophiste, c’est-à-dire que je me dis que la guerre va s’installer. Je voyais ça un peu comme au Mexique, où les cartels ont pris le dessus sur l’armée régulière… Donc je me suis dit que ça allait être terrible, qu’il faut absolument en parler », expliquait-il récemment à la presse à Ouagadougou, au Burkina Faso.
« Je me voyais plus comme un lanceur d’alerte, en me disant que si on en parle peut-être ça pourra conjurer la crise qui nous menace. Et c’est au moment où j’ai commencé à écrire, au début de l’année 2012, que la crise était déjà là puisque deux mois plus tard, au mois de mars 2012, il y a eu le coup d’Etat au Mali », a-t-il ajouté.
De l’alerte à la triste réalité du terrain
« Quand la junte militaire a pris le pouvoir, elle a dénoncé l’attitude de certains généraux de l’armée malienne vis-à-vis du trafic de drogue. A partir de ce moment-là, plutôt que de faire un film d’anticipation, je me suis dit qu’il fallait faire un film qui raconte comment est-ce qu’on en est arrivé à cette situation », nous a affirmé Daouda Coulibaly.
Comme le reconnaissent plusieurs critiques, ce chef-d’œuvre peint avec une incroyable fidélité « la dérive mafieuse de l’Etat malien ». Corruption, impunité, népotisme, trafic d’influence… Autant de maux qui ont provoqué la déliquescence de l’Etat au Mali.
« Wulu », qui signifie « Chien » en bambara, désigne aussi le dernier degré d’initiation d’une société secrète à partir duquel l’individu initié devient lucide et connaît sa place dans la société. Le Mali a-t-il aujourd’hui accédé à cette lucidité pour réellement prendre son destin en main ?
Malheureusement, la déliquescence du pays s’est poursuivie de plus bel et « les mensonges des politiques » continuent de masquer la réalité au peuple malien. Grâce à un accord supposé de paix, les vrais barons et parrains de ce trafic de drogue et d’armes ont réussi à sécuriser leur territoire. En effet, ils ont imposé leurs hommes de main à la tête des autorités intérimaires et vont bientôt intégrer leurs mercenaires dans la nouvelle armée malienne en gestation.
Ayant sacrifié la souveraineté nationale pour un hypothétique accord, le pouvoir n’a plus les mains libres pour tirer les enseignements de cette crise et redresser le pays.
« On peut affirmer aujourd’hui que le Mali ne s’est pas relevé. Pis, il continue de s’enfoncer… Malgré cela, le président Hollande n’hésite pas à faire de ce pays le symbole de la réussite de sa politique africaine », déplore Laurent Bigot, ancien diplomate français devenu consultant indépendant dans une récente chronique dans « Le Monde » (quotidien français).
Et de rappeler, « si on peut tromper l’opinion publique française avec quelques éléments de langage, il est difficile de faire avaler des couleuvres aux Maliens qui constatent tous les jours à quel point le Mali est devenu otage de logiques mafieuses. Ils en déduisent que la France est une complice active ».
Comment le Mali, longtemps brandit comme un modèle de démocratie en Afrique, en est-il arrivé là ? « Wulu » apporte la réponse la plus réelle et la plus dramatique à cette question que beaucoup d’observateurs se sont posés au début de cette crise.
En attirant les regards sur les raisons de la décadence de l’Etat au Mali, Daouda Coulibaly sonne aussi l’alerte pour les autres Etats africains, surtout ceux de la bande sahélo-saharienne, qui sont loin d’être à l’abri du crime organisé. Avant le Mali, c’est la Guinée-Bissau qui a totalement sombré dans le chaos institutionnel à cause du trafic de drogues qui y a répandu la corruption au point de gangrener la classe politique et l’armée.
La Casamance (Sénégal) est quasiment dans le même engrenage qui menace aujourd’hui tous les Etats du Sahel déstabilisés déjà par le terrorisme qui se nourrit aussi de ce crime organisé.
En plus d’entraver les libertés individuelles, les narco-jihadistes se sont surtout attaqués aux symboles et aux valeurs de la culture au nord du Mali, notamment les mausolées de Tombouctou. Ils ont interdit la musique, détruit les instruments des orchestres ; pillé les espaces de loisirs…
Dans cet environnement apocalyptique, les femmes et leurs filles étaient mises sous tutelle, violées, lapidées et mariées contre leur volonté. On ne parlait plus de droits, à plus forte raison d’émancipation ou d’autonomisation parce qu’un régime avait cautionné le crime organisé qui profitait à ses barons et à des hauts gradés de son armée.
Pour tous ces symboles, nous pensons que « Wulu » méritait de figurer au palmarès des Etalons du Yennenga du 25e Fespaco, notamment la plus prestigieuses des récompenses : Etalon d’or ! Un trophée décerné à « Félicité » du Sénégalais Alain Gomis.
Malheureusement, le jury a visiblement privilégié d’autres considérations. Présenté au début comme un film sénégalais (des scènes ont été tournés au Sénégal à cause de l’insécurité au Mali), puis français et ensuite franco-sénégalais, le réalisateur a sans doute payé son refus de céder au puissant lobby qui dicte sa loi dans ce genre de festival en usant de tous les moyens pour influencer le jury et la critique sciemment orientée pour rehausser ou enterrer une œuvre.
A la veille du festival de Ouagadougou, ont pouvait déjà deviner le lauréat en lisant la presse française ou en écoutant la radio internationale de la propagande française.
N’empêche que « Wulu », coup d’essai et coup de maître, fera encore parler de lui ! Et ça, personne n’y peut rien !