Annoncée comme un forum où les enfants du pays identifieront et régleront leurs différends, la Conférence d’entente nationale est un grand échec.
En effet, les travaux se sont clôturés, dimanche, sur le refus catégorique des participants de reconnaître le mot « Azawad » et sur la menace de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (rébellion) qui fait de cette reconnaissance une condition sine qua non du retour de la paix au Mali
Prévue par l’article 5 de l’Accord pour la paix et réconciliation, la Conférence d’entente nationale a ouvert ses travaux le lundi 27 mars 2017, sous la présidence du Président de la République, Ibrahim Boubacar Kéita. La cérémonie d’ouverture a enregistré la présence de Baba Hakib Haidara, président de la commission préparatoire de la Conférence, et de nombreux invités.
Mesures sécuritaires
Pour sécuriser les travaux, le gouvernement, à travers le ministère de la Sécurité, n’a pas lésiné sur les moyens. A la veille de l’ouverture des travaux, c’est-à-dire dimanche 26 mars, un impressionnant dispositif sécuritaire a été déployé au Palais de la culture. Accéder au Palais de la culture était déjà devenu difficile. Les journalistes, bien qu’invités à retirer leur accréditation, étaient soumis à un contrôle d’identité rigoureux. La principale voie d’accès au Palais sera fermée à la circulation le lundi. Seuls les véhicules des officiels et des participants munis d’un badge pouvaient pénétrer dans les lieux. Pour arriver à la salle principale contenant la foule des invités, on se faisait fouiller tous les 5 mètres. En plus une ceinture de sécurité a été formée tout autour du palais de la culture.
Ouverture
Boudée, au départ, par la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) et l’opposition politique, la Conférence fera cependant salle comble. A 10 h15 minutes, le président de la République fait son entrée dans la salle, accompagné du président de la Commission préparatoire, Baba Hakib Haidara. Après l’hymne national, les discours commencent.
Discours de Baba Hakib Haidara
Baba Hakib Haidara, dans son allocution, précise que l’objectif de la Conférence est de permettre un débat approfondi entre les composantes de la nation malienne sur les causes des conflits. Il invite les participants à transcender leurs peurs et méfiances afin de disséquer les causes de la crise qui mine le Mali depuis 2012. « Seul ce sacrifice nous permettra d’établir un projet de pacte pour la paix, l’unité et la réconciliation nationale », conclut-il.
Discours d’IBK
Le président IBK prononce le discours d’ouverture officielle de la Conférence. Il compare la patrie à une maison familiale dont tous les fils se rassemblent pour parler des différends internes. Aux frondeurs qui boycottent la Conférence, IBK demande de rejoindre à une prochaine gare le train qui transporte les autres fils de la famille. Et IBK leur lance cette phrase assassine: « Dans la famille, quel membre refusera d’assister à un mariage, à un baptême ou à des funérailles sous prétexte que le délai est court ? Le Mali, cette grande famille est confrontée à des problèmes multiformes et voilà que certains de ses membres, on ne sait pourquoi, refusent d’assister à un conseil de famille censé résoudre les problèmes ! ». IBK conclut son propos par cette mise en garde: « Je ne laisserai jamais un fils bandit, mal intentionné, saccager le Mali, notre famille commune! ».
La cérémonie d’ouverture prend fin avec la répartition des participants entre trois groupes de travail. Il s’agit des commissions Paix, Unité nationale et Réconciliation nationale.
La CMA rejoint le train
Après la cérémonie d’ouverture, une délégation composée de la Médiation internationale et du Haut représentant du président de la République pour la mise en œuvre de l’Accord pour la paix est dépêchée auprès de la CMA, de la Plateforme et de l’Opposition. Les médiateurs arrivent à bout de la CMA et de la Plateforme. L’opposition, quant à elle, persiste dans son refus de participer à la Conférence. La participation de la CMA est annoncée sur les réseaux sociaux par son porte-parole, Almou Ag Mohamed, en ces termes: « Suite aux discussions de cet après-midi sous l’égide du Haut représentant du président de la République et de l’équipe de médiation internationale, et qui ont abouti à la prise en charge de ses préoccupations majeures, la CMA rejoindra dès demain la Conférence d’entente nationale ». Ainsi, le mardi 28 mars, la CMA et la Plateforme prennent le train en marche. Il seront imités, le samedi 1er avril, par l’Opposition dont le chef de file, Soumaila Cissé, accompagné de Tiébilé Dramé du PARENA, viendra lire un long discours dans la salle. Il en ressort que l’opposition souhaite, avant toute Conférence d’entente, des concertations nationales qui prendraient en compte les préoccupations de toutes les forces vives de la nation.
Le nom « Azawad » rejeté à l’unanimité des participants
Les débats des commissions « paix » et « unité nationale » ont débouché sur un consensus sur les causes de la crise. Mais le blocage est intervenu au niveau de la commission « réconciliation nationale ». Après trois jours de débats acharnés, le terme « Azawad », si cher à la CMA, a été rejeté par tous les membres de la commission, à l’exception des représentants de la CMA. Selon certains membres de la commission, « ce mot fâche et doit être exclu des débats ». Pour d’autres « l’Azawad fait référence à une entité géographique et culturelle et il est hors de question de lui donner un contenu politique ou institutionnel ». Les représentants de la CMA, eux, restent sur leur position; à leur entendement, l’Azawad est une entité géographique, politique et culturelle et couvre les régions du nord-Mali.
Le blocage devenant persistant, la CMA change de stratégie. Elle propose que les discussions sur le mot « Azawad » soient réservées aux seuls ressortissants du nord-Mali. Refus catégorique des représentants de Gao et de Tombouctou, dont la députée de Bourem (région de Tombouctou), Madame Haidara Aissata Cissé dite Chato, qui lance: « Il faut bannir le mot « Azawad ». Tant que le mot « Azawad » reste dans le langage et que des gens estiment qu’il y a une région qui doit s’appeler « Azawad », le problème du Mali ne sera pas réglé ! ». Même son de cloche au niveau des représentants de la région de Gao qui disent rejeter le mot « Azawad »: « Nous préférons que notre région s’appelle Cité des Askia ».
La CMA passe aux menaces
En dépit de ce rejet du nom « Azawad », la CMA ne ne s’avoue pas vaincue. Elle hausse, au contraire, le ton. Lors de la validation du rapport final de la Conférence d’entente nationale, le porte-parole de la CMA, Almou Ag Mohamed, annonce dimanche dans la salle: « Tant que le mot Azawad ne sera pas reconnu, il n’y aura pas de paix! ». Cette menace gravissime mais claire est reprise par Bilal Ag Cherif, secrétaire général du Mouvement national de libération de l’Azawad, sur son compte Twitter: « Nous ne saurions parler d’entente sans l’atteinte d’un consensus sur le statut politique de la région de l’Azawad ».
La CMA fait changer le calendrier de la Conférence
Sachant qu’elle n’obtiendra pas gain de cause en public, la CMA obtient du gouvernement un réaménagement du calendrier et des termes de références de la Conférence. Dans un communiqué, la CMA annoncé avoir obtenu, sous l’égide de la médiation internationale, le report de la date de clôture de la Conférence prévue pour le 2 avril. « Il ne faut pas bâcler la conférence. Il faut prendre le temps nécessaire », explique Mohamed El-Maouloud Ramadane de la CMA. D’après lui, c’est le « premier round » des discussions qui prendra officiellement fin le 2 avril, mais les débats se poursuivront sous une nouvelle forme, notamment sur le mot « Azawad ». En clair, la Conférence prend officiellement fin le 2 avril mais les débats se poursuivront à huis clos entre la CMA (forte de ses armes), le gouvernement (auquel elle a toujours imposé ses vues) et la médiation internationale (qui se contente, comme toujours, de faire pression sur le Mali.
En attendant ces débats à huis clos, la CMA refuse de signer le principal document qui devait sanctionner la Conférence d’entente : la Charte nationale pour la paix et la réconciliation. Sur un ton assez amer, Baba Akhib Haïdara indique qu’« entre les parties signataires de l’accord, il a été convenu que la Conférence n’approuvera pas une Charte définitive ».
En clôturant la conférence, dimanche, le président IBK lui-même reconnaît que « le train n’est pas arrivé à Diboli puisque la question de l’Azawad n’est pas tranchée ». Il annonce la mise sur pieds d’une commission d’experts chargée d’étudier le vocable « Azawad » qui « ne fait pas consensus ». Pourquoi des experts pour étudier une notion rejetée par l’écrasante majorité de la Conférence ? Comme s’il lisait dans les pensées des uns et des autres, le président IBK se hâte d’ajouter que le Mali reste un et indivisible. Juste après la cérémonie de clôture, la CMA tient un point de presse au cours duquel elle dit rejeter les résolutions de la Conférence au motif que le mot Azawad n’a pas été tenu en compte.